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Cognac ne veut pas submerger le marché des vins, mais peut-il l’éviter ?
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Cognac ne veut pas submerger le marché des vins, mais peut-il l’éviter ?

Incertitude maximale pour les viticulteurs et négociants charentais qui expérimentent déjà la crise, avec surproduction et chute des prix, et se préparent au pire, une récolte 2025 abondante et des marchés réduits à peau de chagrin. Les instances de Cognac ne peuvent en l’état qu’affirmer et répéter leur volonté d'empêcher un flot de moûts et vins blancs de noyer les autres régions.
Par Alexandre Abellan Le 28 mai 2025
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Cognac ne veut pas submerger le marché des vins, mais peut-il l’éviter ?
« On traverse la tempête unis entre production et négoce, à parité et en interdépendance » appuie Éric Le Gall, le président du Syndicat des Maisons de Cognac, soulignant la « solidarité du négoce qui a acheté au-delà de ses besoins depuis trois ans. Ça a sa limite. » - crédit photo : Adobe Stock (Barmalini)
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ndigestion de crises. Entre le marteau des menaces de taxes américaines de 2025 (10 % depuis le 9 avril, peut-être 50 % dès le 9 juillet…) et l’enclume de l’enquête antidumping chinoise depuis 2024 (Pékin ne débloquant pas la situation avant la date butoir du 5 juillet, malgré les déclarations de soutien diplomatique français, d’Emmanuel Macron encore récemment), la pression reste forte sur tous les opérateurs de Cognac, où se succèdent les signaux de fragilisation d’une filière encore prospère début 2023. Un air de plan social plane sur la filière charentaise, visible de la maison Rémy-Martin (groupe Rémy Cointreau), qui diminue ses achats d’eaux-de-vie cette année, au leader Hennessy (groupe LVMH), qui réduit sa masse salariale et où « nous achetons de l'eau-de-vie à des petits producteurs et si la demande s'arrête, nous serons dans l'obligation d'arrêter d'acheter » prévient Bernard Arnault, le PDG du premier groupe mondial de luxe.

Nous avons tous vécu la grande vie et nous y avons tous cru

« La fête est finie, la crise ne fait que commencer » soupire un fournisseur de matériel viticole. « Je ne vais pas mentir : c’est la merde » tranche un apporteur auprès de grandes maisons en Grande Champagne, particulièrement secoué par la brutalité du renversement de marché : « il y a encore quelques années, on était un viticulteur partenaire choyé. Maintenant, on n’est plus rien. Moi, je ne suis que viticulteur : je produis le vin que l’on me demande pour des marchés ciblés par le négoce. Les maisons se sont endormies par facilité sur les marchés de volume que sont la Chine et les États-Unis. Nous avons tous vécu la grande vie et nous y avons tous cru. »

Si « pointer du doigt l’erreur ne résout pas le problème », le viticulteur se dit remonté contre les instances professionnelles qui ont demandé d’importantes autorisations de plantation nouvelles ces dernières années (14 600 hectares de nouvelles plantations autorisées de 2016 à 2024*). « Les maisons de négoce annonçaient des croissances à 2 chiffres pour 10 ans, elles ont dégringolé en 2 années et maintenant ce sont nos rendements annuels [d’AOC Cognac] qui chutent à 7,65 hl AP/ha en 2025, alors que l’on était 14 hl AP/ha il y a quelques années [NDLR : 13,59 hl AP/ha pour la récolte historiquement généreuse de 2023]. Nous allons de plus en plus mal avec nos charges fixes et incompressibles. Les dossiers s’accumulent sur le bureau des banquiers » alerte ce viticulteur, qui s’inquiète de futures remises en cause des prix et volumes couverts par les contrats d’achat du négoce.

Notre vignoble est disproportionné

« Il y a une réelle inquiétude, qui est légitime, dans l’ensemble de la viticulture » reconnait Anthony Brun, le président de l’Union Générale des Viticulteurs pour l'AOC Cognac (UGVC, 1 500 adhérents), faisant état d’« activations de clauses contractuelles, de contrats dénoncés totalement ou partiellement ». Le constat restant implacable pour le viticulteur de Saint-Bonnet-sur-Gironde (Charente-Maritime) : « aujourd’hui, on a structuré le vignoble pour vendre 220 millions de bouteilles comme il y a 2 ans. Mais nos ventes sont descendues à 160 millions de bouteilles, alors qu’il n’y a pas encore de taxes américaines. C’est mécanique, notre vignoble est disproportionné alors que le stock a été constitué pour un marché qui n’existe plus (avec 12 ans de stock sans évaporation, 10 ans avec la part des anges). »

Défendant les dernières décisions interprofessionnelles (comme ce début 2025 « un rendement volontairement voté tôt pour donner la possibilité d’utiliser le VCCI », le Volume Complémentaire Cognac Individuel permettant de compenser un arrachage de parcelles par une augmentation de rendement), Anthony Brun « constate un désengagement de certaines entreprises du négoce frappées de plein fouet par les difficultés, avec des répercussion sur la viticulture qui sont parfois trop fortes. Il va y avoir des situations désastreuses s’il n’y a pas d’évolution. »

Nous avons perdu 10 ans de croissance commerciale en 2 ans

Pour recentrer le débat, Éric Le Gall, le président du Syndicat des Maisons de Cognac (SMC) indique que « ces trois dernières années, les maisons ont acheté 50 % au-dessus de leurs besoins. Ce qui pèse sur les comptes de résultat. Nous avons 12 milliards d’euros d’eaux-de-vie en élevage à Cognac. Avec les taux d’intérêt qui augmentent, les trésoreries sont mises sous pression », alors que les ventes chutent : « nous avons perdu 10 ans de croissance commerciale en 2 ans (2022 et 2023). Il y a eu un début de stabilisation, mais les différends commerciaux avec les États-Unis et la Chine nous empêchent de rebondir. C’est violent. » Face à l’effet ciseau de l’augmentation du portage des (sur)stocks et les baisses de chiffre d’affaires, le directeur des affaires publiques de Rémy Martin reconnaît que « les maisons serrent forcément les boulons et limitent les investissements ».

Marché libre

Une vague de repli qui emporte au large la valorisation du marché secondaire, celui libre hors contrat. « Il n’y a pas beaucoup d’échanges, mais les prix volent très bas. On entend de ces transactions et propositions d’achats… » note un prestataire connaisseur du vignoble charentais, notant que « pour des gens pris à la gorge, qui ont dénoncé leurs contrats quand ça marchait bien, il faut faire tourner la boutique et rentrer de la trésorerie. » Circonspect, Florent Morillon, le président du Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC) note qu’il faut remettre le marché libre à sa juste place, plus de 90 % des échanges d’eaux-de-vie se faisant sous contrats pluriannuels. « C’est un peu comme la Bourse : on peut y gagner et perdre beaucoup. Il y a quelques années des prix élevés y circulaient pour faire des coups, maintenant c’est l’inverse » analyse le directeur des affaires institutionnelles des cognacs Hennessy, notant qu’« il existe des personnes pouvant brader sans contrat, mais c’est mineur dans l’analyse macroéconomique ».

« Dans la quasi-totalité des cas, les prix pratiqués sont conformes aux contrats des récoltes précédentes » confirme Anthony Brun, le président de l’UGVC pointant qu’« aujourd’hui, on sait qu’il y a des opérations très limitées à des prix bien en dessous des coûts de production. Le second marché est constamment dans l’excès. Nous l’avons toujours dénoncé. Nous sommes dans une filière qui se prévaut du luxe, ce n’est pas normal que pour produire les viticulteurs perdent de l’argent. » Pour faire de la trésorerie alors que les rendements baissent, la question de l’affectation des parcelles se pose avec acuité dans le vignoble charentais : entre espoir de prix et crainte d’afflux cassant le marché en jus de raisin, vins de base mousseux et vins de France (VSIG). « Tout le monde attend le résultat des feuilles d’affectation ce 30 juin. Il va y avoir une bascule des contrats perdus sur les VSIG, avec le risque de commencer la saison à un prix qui va chuter. Les autres régions ont raison de s’inquiéter, ça risque de piquer » glisse un courtier, rappelant que le vignoble charentais ne produit pas 50 hl/ha de vin blanc, mais 100 ou 150 hl/ha.

La récolte, qu’est-ce que l’on va en faire ?

« Que faire ? Il ne se vend plus de VS et de VSOP dans cette crise foudroyante. La seule question qui se pose : la récolte, qu’est-ce que l’on va en faire ? » s’alarme un viticulteur charentais. Avec un rendement de « 7,65 hl AP/ha, on sait que beaucoup de viticulteurs peuvent être dans la difficulté. D’où le plan d’adaptation [NDLR : le VCCI] qui peut aider des exploitations » indique Florent Morillon, le président du BNIC, qui pointe la particularité du pilotage du vignoble charentais : « nous avons un cépage, l’ugni blanc, qui peut avoir un rendement allant du simple au double d’une année sur l’autre. Ce qui peut faire une différence de 5 millions hl ! »

Récolte à gérer

S’il est trop tôt pour chiffrer le potentiel de production du millésime 2025 à Cognac, l’interprofession travaille à la gestion d’un possible excédent. « Nous avons un accord avec les autres régions : ne pas venir les perturber. On se doit de tenir parole et de travailler à une batterie d’outils et de débouchés secondaires en espérant ne pas en avoir besoin » esquisse Florent Morillon, qui évoque la possibilité de produire des jus de raisin, des vins de base, d’autres débouchés… Une quête qui doit « éviter d'impacter autres filières et trouver des solutions pour la viticulture » résume Anthony Brun, le président de l’UGVC soulignant que le vignoble de Cognac a la particularité de produire « un vin blanc différent de celui des autres vignobles, qui peut être utilisé pour d’autres produits, avec des débouchés à identifier, non concurrentiels et non bloquants » pour les autres bassins viticoles.

Possible que les affectations de VSIG augmentent

Ce qui a déjà été fait rassure Éric Le Gall, le président du SMC pointant qu’il y a eu ces dernières récoltes (y compris celle historiquement généreuse de 2023) « une maîtrise absolue par l’interprofession des affectations de VSIG ou d’autres débouchés. Nous attachons énormément d’importance à ne pas perturber d’autres filières ». Comme avec le VCCI donc, un « arrachage temporaire qui montre la responsabilité de la filière, financé par elle-même pour essayer de contenir les affectations à d’autres débouchés » rapporte Éric Le Gall, qui prévient que « si une solution politique n’est pas trouvée d’ici juillet, il est possible que les affectations de VSIG augmentent. Ce n’est pas notre souhait, ce serait le signe d’une guerre commerciale que nous subissons. Nous demandons aux autorités d’agir en urgence pour éviter ce scénario et nous permettre de maîtriser les flux. »

Ugni B.

Mais le président du négoce se veut rassurant sur les risques de perturbation du marché des vins de France alors que les souvenirs des crises d’il y a 30 ans reste fort : « l’ugni blanc n’est pas à la hauteur qualitative de ce que peuvent proposer les autres régions. Il s’agit de vin de distillation, pas de vin de bouche. » Même pondération pour Florent Morillon : « il faut se rendre à l’évidence qu’en 40 ans la concurrence des vins charentais d’ugni blanc n’est plus la même. Ce n’est pas le même niveau qualitatif alors que les consommateurs ont d’importantes attentes aromatiques et gustatives, même sur des vins moins chers. »

Une vision rassurante qui ne convainc pas ce viticulteur charentais : « ceux qui disent que l’ugni blanc n’est pas capable de produire un bon vin charentais essaient de montrer patte blanche pour rassurer les autres régions, mais on peut faire des produits qualitatifs, parfaits en assemblage. » Sachant que les raisins et moûts blancs charentais pourraient aussi être fléchés vers les rosés : la réglementation autorisant l’assemblage de moûts ou raisins blancs et rouges pour produire des vins de France rosés (alors que le mélange direct de vins blancs et rosés est illégal). « Donc Cognac va aussi déstabiliser le marché des vins de France rosés dans le Midi » s’inquiète un vracqueur languedocien, estimant que « peu d’opérateurs étaient là en 1992 quand les mêmes planètes s’étaient alignées. Et depuis, l’Espagne a progressé alors que la consommation a chuté. Ça va tanguer ! »

Les choses ne bougent pas assez vite alors que la situation se dégrade rapidement

Alors que montent dans le vignoble des tensions (avec une récente lettre ouverte des Jeunes Agriculteurs interpellant les représentants de la production et du négoce), Anthony Brun reconnaît que les structures n’ont « peut-être pas communiqué comme il le fallait sur les actions menées ». Indiquant que les instances mettent la pression à tous les niveaux politiques pour résoudre les conflits diplomatiques en cours, le président de l’UGVC comprend « le sentiment que les choses ne bougent pas assez vite alors que la situation se dégrade rapidement dans le vignoble. Si en juillet les choses se confirment dans le mauvais sens avec les États-Unis et la Chine : comment s’en sortir ? Rien ne bouge en France et en Europe, alors que le Royaume-Uni réussit en même temps à négocier avec les États-Unis et l’Inde. »

Anthony Brun appelle à ne « pas se voiler la face : il faudra trouver rapidement des solutions pour la viticulture s’il n’y a pas de volonté collective de trouver des solutions. » Le bouilleur de cru à façon évoquant par exemple la possibilité de proposer des cognacs plus accessibles en prix (après un cycle de premiumisation atteignant ses limites face à la crise actuelle de pouvoir d’achat dans le monde). Soulignant que Cognac fait tout pour éviter de perturber les marchés d’autres vignobles, Éric Le Gall répète que « la seule solution est la sortie par le haut, en retrouvant une dynamique commerciale. » Il faut « faire en sorte que nos viticulteurs, négociants et partenaires vivent de leur métier : le cognac » confirme Florent Morillon, pour qui « on sait que les débouchés secondaires ne vont pas faire le revenu de la filière. On doit s’assurer que le rendement multiplié par le prix du cognac couvre l’ensemble des charges. » Si l’objectif reste à terme de « vivre normalement de l’activité cognac » comme le valide Anthony Brun, l’enjeu est pour le président de la viticulture que « les hommes et les femmes qui font le cognac aujourd’hui passent la crise ».

 

* : Avec 35 ha en 2016, 800 ha en 2017, 1 500 ha en 2018, 3 374 ha en 2019, 3 398 ha en 2020, 2 306 ha en 2021, 3 129 ha en 2022, 3 129 ha en 2023 et 100 ha en 2024.

 

Outils de crise

Ce 25 avril, les préfets de Charente et Charente-Maritime ont réuni « la cellule de veille viticole mise en place dans le cadre de la crise du Cognac » indique un communiqué. Mis en place depuis décembre 2024, ce dispositif permet de centraliser les outils de soutien financiers et psychologiques disponibles auprès d’une cellule d’accompagnement en Charente-Maritime (pilotée par la DDTM17) et un guichet unique en Charente (DDFIP16). Parmi les demandes portées dans cette cellule de vieille viticoles, les préfectures rapportent « l’utilisation possible des stocks comme garantie de financements (sous réserve de trouver un montage juridique et financier rendant cette technique opérationnelle), une réflexion sur un portage foncier temporaire permettant aux jeunes installés de se désendetter (en vendant des parcelles ou aux viticulteurs plus âgés de céder leur exploitation), l’identification des blocages juridiques pour permettre la diversification (par exemple vers les vins mousseux ou les jus de raisin) et, enfin, sur la nécessaire détection des situations difficiles le plus en amont possible afin de pouvoir apporter des solutions ».


 

 

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