Le marché des vignes reflète la crise que traverse la filière viticole française, ça se voit sur les prix à l’hectare » pose, ce 22 mai en conférence de presse, Loïc Jégouzo, adjoint du responsable du service études, veille et prospective de la Fédération Nationale des Sociétés d'Aménagement Foncier et d'Établissement Rural. En 2024, le réseau des SAFER enregistre 8 650 transactions de biens viticoles (libres ou loués, -1 % par rapport à 2023) pour 16 000 hectares de vignes (surface stable) et 1,11 milliard d’euros (-5 % en valeur). Dans son analyse, la SAFER précise que « le recul du nombre de transactions s’explique principalement par la contraction observée en Val de Loire-Centre (- 9 %) et en Charentes-Cognac (- 13,6 %), où le marché subit une baisse encore plus marquée de sa surface (-39 % à 1 130 ha) et de sa valeur (-42 % à 40 millions €) » avec un prix moyen de la parcelle de Cognac tombant à 35 000 €/ha (-25 000 € en un an).
Globalement, les SAFER enregistrent un repli généralisé du prix des vignes en 2024, une parcelle en appellation tombant à 176 400 €/ha en moyenne (-1,1 % par rapport à 2023), et même à 93 800 €/ha en AOP hors Champagne (-4 %), à 51 100 €/ha en AOP pour eaux-de-vie (-10 %) et à 13 800 €/ha hors AOP (-7 % pour les IGP et vins de France, VSIG). Au-delà de ces données macroéconomiques, on trouve de grandes disparités (voir carte ci-dessous), allant d’un prix plancher à 4 000 €/ha en IGP Loir-et-Cher jusqu’au sommet de 2,55 millions €/ha en appellation Bourgogne premier cru blanc.
Arrachage en toile de fond
La crise viticole des vins rouges marque le bilan des transactions foncières 2024, sur fond d’arrachage des vignes à 4 000 €/ha face à un excédent d’offre faisant fondre la valorisation. On note ainsi la chute à un prix plancher de 8 000 €/ha dans le Sud-Ouest pour les appellations concernées par la réduction du potentiel viticole : ainsi Buzet (-27 %), Côtes du Duras (-27 %), Fronton (-6 %)... Et dans le Languedoc, comme en Corbières (-6 %). Les prix chutent même à 5 000 €/ha en IGP et VSIG Haute Garonne (stable), à 6 000 €/ha en VSIG Lot-et Garonne ou AOP Saint-Sardos, à 7 000 €/ha en Bergerac rouge (-22 %)… « Les excès d’eau et le mildiou dans le Sud-Ouest et la sécheresse dans le Languedoc-Roussillon s’ajoutent à la crise de commercialisation des vins rouges » résume la SAFER*.
Le prix de nombreuses appellations de Gironde sont également nivelés à 8 000 €/ha : l’AOC régionale Bordeaux (blanc et rouge, avec -33 et -11 % en un an), et les Côtes : Blaye Côtes de Bordeaux, Côtes de Bourg, Castillon et Francs Côtes de Bordeaux (respectivement -20, -43 % et -60 %). D’autres chutes marquantes touchent des AOC jusque-là résistantes, comme les communales du Médoc : -17 % à Pauillac (2,5 millions €/ha), -7 % à Margaux (1,4 million €/ha), -20 % à Saint-Estèphe (400 000 €/ha), -43 % en Moulis (40 000 €/ha), -50 % en Listrac (20 000 €/ha)… Tandis que l’AOC Médoc tombe à 14 000 €/ha (-44 %). Si la rive droite tient encore, on voit des signes de fragilisation, ainsi Saint-Émilion tombe à 250 000 €/ha (-7 %), Lalande de Pomerol à 150 000 €/ha (-17 %), les satellites de Saint-Émilion à 35 000 €/ha (-56 %)... « La crise viticole se poursuit et la baisse du prix moyen du bassin Bordeaux-Aquitaine s'accélère » résume la SAFER. Pour Loïc Jégouzo, « cette année, les appellations haut de gamme voient leurs prix diminuer. On a des baisses actées en Gironde qui ne concernent pas que les appellations Bordeaux et côtes de Bordeaux, mais l’ensemble du vignoble » y compris « les appellations communales les plus prestigieuses ».
Surcôte d’Or
Ne connaissant pas la crise, le vignoble de Bourgogne affiche une tendance globale à la stabilité de la valorisation de ses appellations socles et une nouvelle bonification de ses crus. Les appellations communales en côte de Beaune blanc passe ainsi le million d’euros en moyenne (1,05 million €, +9 %). « Malgré une légère ouverture en 2024, le marché y reste très concurrentiel et les prix sont influencés par le marché sociétaire » précise la SAFER, notant que le marché est porté par la Côte-d’Or sur la zone. Si Mâcon se valorise (75 000 €/ha en blanc, +7 %) comme le Chablis (245 000 €/ha, +20 %), il y a une légère érosion dans le Beaujolais (-4 % pour les crus, à 61 390 €/ha), tandis que le Jura reste stable.
Si le foncier viticole se bonifie globalement en Champagne, on note l’exception en côtes de blancs : -3 % à 1,6 million €. Mais avec « des hausses enregistrées ailleurs dans la Marne ainsi que dans l’Aube et l’Aisne », la SAFER indique que « le recul des expéditions suscite la prudence. Pour autant, le prix moyen progresse de 1,7 %. »
Vallées de stabilité
Dans ce panorama foncier, le val de Loire et le Centre Loire semblent globalement stables (prix moyen de 51 000 €/ha, -2 %) avec des croissances notables (+27 % en Reuilly à 90 000 €/ha, +8 % à Montlouis-sur-Loire à 14 000 €/ha, +4 % à Vouvray pour 26 000 €/ha) et quelques replis en Loir-et-Cher (-14 % Touraine à 12 000 €/ha, -20 % en vins IGP à 4 000 €/ha) et en Anjou (-23 % Saumur à 24 000 €/ha, -5 % Anjou et Anjou Villages à 19 000 €/ha, -4 % Côteaux du Layon à 22 000 €/ha…). La Vallée du Rhône présente un foncier plutôt stable en dehors de son appellation régionale (-13 % à 20 000 €/ha pour l’AOC Côtes-du-Rhône dans le Vaucluse et « la crise des Côtes du Rhône se renforce dans la Drôme et dans le Gard » précise la SAFER) et des valorisations sur les crus cotés (+7 % pour Saint-Joseph à 150 000 €/ha, +3 % pour Crozes-Hermitage à 155 000 €/ha, +2 % pour Châteauneuf-du-Pape à 520 000 €/ha…).
Si la Corse est globalement stable dans sa valorisation, la Provence reste en croissance, avec notamment l’AOP Côtes de Provence affichant +14 % de prix moyen (à 40 000 €/ha). « Dans le Var, malgré une conjoncture moins favorable pour le rosé, le prix des vignes se maintient » constate la SAFER. En Alsace et dans l’Est, les prix se maintiennent à 117 000 €/ha, mais « la relative stabilité des prix masque des disparités selon les cépages et les terroirs » note la SAFER, ajoutant que « si certains grands crus ou lieux-dits restent attractifs, d’autres secteurs moins réputés ou plus sensibles aux aléas climatiques ne trouvent plus preneur. »
Eau dévisse
Affichant un fort repli, Cognac marque un tournant dans ce bilan du foncier viticole : en Grande Champagne on enregistre une baisse de 8 % à 60 000 €/ha, en Bons Bois un repli de -14 % à 30 000 €/ha… « Les difficultés de la filière cognac se poursuivent en 2024. Les financements bancaires et la contractualisation avec les maisons de négoce sont difficiles à obtenir, et la demande de foncier diminue » analyse la SAFER, qui remet cette chute dans un contexte historique. « Après avoir baissé de plus de moitié en valeur constante entre 1992 et 1999, puis avoir stagné au début des années 2000 autour de 20 000 euros/ha, le prix a été multiplié par 2,7 entre 2004 et 2022. Cette remontée progressive s’expliquait par le développement des exportations de cognac, en particulier vers les États-Unis et la Chine » pointe l’établissement foncier, notant depuis 2023 « un coup d’arrêt significatif à cette augmentation régulière » face au repli des marchés américains et chinois, ainsi que « l’extension progressive de la surface plantée du vignoble (amorcée en 2016 jusqu’en 2023) ».
À Cognac, « les maisons de négoce ne font pas de nouvelles contractualisations, de ce fait la demande en foncier a diminué mécaniquement et les prix sont à la baisse. L’Armagnac est également en baisse » note Loïc Jégouzo. Dans l’immédiat, « le contexte politique mondial et le volume actuel du stock, correspondant à onze années, ne laissent pas entrevoir une sortie de crise à court terme » esquisse la SAFER, rappelant qu’« un contexte d’incertitudes économiques entraîne des difficultés d’accès aux financement ».
* : Ce qui n’empêche pas la confirmation d’appellations valorisés du Languedoc (Pic Saint-Loup, Picpoul de Pinet, Terrasses du Larzac à 34 000, 75 000 et 27 000 €/ha).
« On voit l’impact de la crise sur les prix et on verra en 2025 comment les prix vont évoluer » esquisse Loïc Jégouzo. Crédit photo : FNSAFER-Thierry Borredon.
La carte nationale du prix moyen des vignes témoigne de la grande hétérogénéité des valorisations. Crédit : FNSAFER-SSP.