n amorce de sa réunion de secteur en pays foyen, ce mardi 17 décembre à Saint-André-et-Appelles, Stéphane Gabard, le président de l’AOC Bordeaux parle vrai : la filière des vins bordelais fait face à « une crise généralisée, avec pour réponses des arrachages et des cessations d’activité. Mais ce ne sont que des solutions immédiates, il ne faut pas s’arêter là pour tracer l’avenir de la filière. » Faisant du retour de la valorisation un défi prioritaire, le président de l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG) détaille à la cinquantaine de producteurs présents dans la salle polyvalente les axes de travail pour arriver au « juste prix » et au « partage de la valeur ».
Notant que la « sensibilisation de la grande distribution pour arrêter les achats spots à prix cassés » donne encore peu de résultat (après deux réunions d’écoute à défaut d’actions) et que la « sensibilisation du négoce pour remonter les prix du vrac » n’a abouti qu’à une déclaration interprofessionnelle jugeant inacceptable les échanges en dessous de 1 000 € le tonneau (sans que cela ne remonte le prix moyen sur la campagne, le cours du Bordeaux rouge étant de 925 €/tonneau d’août à novembre 2024), Stéphane Gabard est d’avis qu’il faut passer de la sensibilisation à la coercition. Militant pour l’évolution de la loi Egalim afin qu’elle intégre les contrats d’achat amont de vin (« actuellement seuls les contrats de revente sont concernés, pas ceux entre producteur et négociant ») avec des indicateurs spécifiques (coûts de production, prix constatés par des mercuriales… « Cela dépendra des exploitations, mais cela sera toujours un prix supérieur à ceux pratiqués. Aujourd’hui, il n’y a pas un modèle de viticulture qui peut s’en sortir aux prix où est vendu le vin ») pour construire un prix en marche avant (pour le vin en vrac, « je pense qu’il y a moins de problèmes de valorisation sur la bouteille »). Alors que les projets avancent, en parternariat avec les vins du Rhône, ce projet d’Egalim 4 se heurte à une problématique de taille : « il n’y plus personne pour échanger... » regrette Stéphane Gabard, la motion de censure laissant actuellement un gouvernement démissionnaire face à un nouveau premier ministre.
OP Corral
Autre levier à actionner, la création d’une Organisation de Producteurs (OP) pour « concentrer l’offre et construire une stratégie commerciale collective (sans transfert de propriété) » esquisse Stéphane Gabard, rappelant que ça existe dans d’autres filières agricoles française, mais plus dans le vin depuis une réforme de 2013. Le sujet étant sensible pour les Vignerons Indépendants, s’opposant par principe à la création d’OP par crainte de voir les subventions européennes trustées par les OP en général, et les caves coopératives en particulier. Une crainte qui doit être levée pour Stéphane Gabard, afin de massifier l’offre et permettre de parler de prix rémunérateurs.


Dans la salle, les réactions d’impatience ne manquent pas. Dont celle d’un vigneron du secteur de Pellegrue/Sainte-Foy la Grande qui appelle à des réactions d’urgence : « on parle depuis quelques années d’une OP. Si dans 6 mois on ne donne pas une vision claire aux jeunes, on va droit dans le mur. Des gens ont encore de l’espérance, on attend tous quelque chose pour rêver, pour donner une porte de sortie. Comme un prix minimum du Bordeaux à 1 200 € le tonneau pour vivre. »
Chocs en stock
Concrètement, l’AOC Bordeaux « envisage une OP pour le marché du vrac. Il faut fédérer 70 à 80 % du volume de vin vrac de l’AOC Bordeaux pour fixer le prix. Si on parle de prix, ce n’est pas ça qui fait vendre le vin, il faut un équilibre entre offre et demande » pointe Stéphane Gabard. Directrice de l’ODG, Stéphanie Sinoquet pointe qu’il y a encore du travail à faire avec un stock pour l’AOC Bordeaux rouge s’élevant à 17,9 mois de commercialisation. Ce qui est moins que les 20,8 mois de la précédente campagne, mais toujours trop par rapport à l’équilibre à 13-14 mois.
Et ce malgré des récoltes déficitaires (moins d’un million d’hectolitres produits en 2023 et 2024, deux récoltes historiquement basses, soit deux fois moins qu’il y a 15 ans), des campagnes de distillation (en 2020 pour la covid et 2023-2024 pour l’effet de la guerre en Ukraine) et de l’arrachage (10 000 hectares de vignes arrachées en 2024). La faute à une baisse de la consommation forte et durable : Bordeaux rouge atteignant un plateau dans les sorties de chai autour de 1,1 million hl/an.


Si les chiffres peuvent assommer et déprimer, Stéphane Gabard rappelle que « le but ultime » de l’action de l’ODG est de « remettre de la valeur dans les entreprises ». Souhaitant une relance rapide des réflexions sur Egalim, le vigneron de Galgon espère qu’un projet de décret pour créer une OP soit finalisée à la fin du premier trimestre 2025.