our vous, les demandes de la filière pour réviser Egalim afin d’imposer un prix rémunérateur aux vins ne sont pas justifiées, comme le jugement de février dernier à Bordeaux permettrait déjà de leur appliquer le concept de prix excessivement bas…
Louis Lacamp : Il est vrai que la loi pourrait être plus précise sur certains points, mais c’est le cas de très nombreux textes. En France, ce sont bien souvent aux juridictions de venir préciser les conditions d’application des lois. En tout cas, il est certain que les prix abusivement bas sont déjà prohibés. Pourtant, à entendre certains agriculteurs, on a l’impression qu’aucun texte n’existe !
Pour vous, la réglementation actuelle est suffisante pour assurer un prix rémunérateur ?
Comme l’a démontré le Tribunal de commerce de Bordeaux en première instance, le texte est parfaitement susceptible d’être mis en œuvre. La volonté du législateur était claire : non pas s’assurer qu’un agriculteur puisse vendre toute sa production, mais garantir, lorsqu’une vente a lieu, que celle-ci soit rémunératrice. A l’heure actuelle, une seule action a été menée (celle de mon client Rémi Lacombe), et une condamnation a été prononcée, d’un montant conséquent qui plus est – bien qu’un appel soit en cours. C’est un signe très encourageant mais tant que les agriculteurs n’agiront pas massivement, les pratiques ne changeront pas fondamentalement – la décision de première instance avait pourtant eu beaucoup de répercussions à elle seule…ce qui aurait dû inciter d’autres agriculteurs à agir pour faire bouger les lignes.
Dans la filière, on entend l’argument que la rédaction d’Egalim sur la notion d’"imposer un prix excessivement bas" manque de précision, à la fois sur la façon d’"imposer" et sur la définition de "prix excessivement bas".
Comme évoqué, il est certain que la rédaction du texte aurait pu être plus précise, mais cela est souvent le cas – et la volonté du législateur était en revanche très claire. Quel que soit le texte adopté, des objections seront toujours opposées en défense. Ce qui est essentiel de comprendre, c’est qu’aucune loi ne pourra jamais forcer, en amont, les négociants à acheter à un meilleur prix. La loi ne peut prévoir qu’une sanction judiciaire, a posteriori, si le prix était trop bas…ce qui suppose que les agriculteurs saisissent la justice. Ce sont à eux d’oser faire valoir leurs droits.
Certains agriculteurs espèrent que les négociants se mettront spontanément à proposer de meilleurs prix. C’est un doux rêve. La réalité est que la situation perdurera tant les agriculteurs n’agiront pas judiciairement. Évidemment, cette démarche n’est pas aisée : ceux qui engageront des actions s’exposeront à des risques de représailles, comme ce fut le cas pour mon client et comme l’avait anticipé l’Autorité de la Concurrence dans son avis sur ce texte. Mais plus ces actions seront collectives, plus les risques seront limités.
La création d’indicateurs interprofessionnels pour calculer un prix en dessous duquel le vin ne serait pas rémunérateur vous semblerait-elle pertinente ?
De tels indicateurs seraient pertinents car ils pourraient donner un indice aux juridictions. Mais ils ne me paraissent pas pouvoir être le seul critère : les coûts propres au producteur doivent également être pris en compte. En outre, on rappellera que la loi Egalim prévoyait dès 2018 la mise en place d’indicateurs, mais huit ans après aucun indicateur n’a été publié dans le vin. Il s’agit d’un échec de l’interprofession qui permet de se questionner sur la bonne représentation des agriculteurs au sein de celle-ci, car évidemment l’absence d’indicateurs ne bénéficie qu’aux négociants.
Des réunions avaient d’ailleurs eu lieu entre négociants, agriculteurs et courtiers, durant lesquelles tous affirmaient qu’il fallait mettre un terme aux prix trop bas. Pourtant, dans ses dernières conclusions d’appel, la société Cordier sollicite l’écart de la loi Egalim au motif qu’elle serait contraire au droit européen (qui, selon elle, interdirait de fixer un prix minimum d’achat). Cela illustre que derrière les déclarations d’intention, certaines sociétés de négoce restent opposées à un réel changement des pratiques.
Que pensez-vous de la mise en place d’organisations de producteurs pour pouvoir parler de prix ?
Généralement, plus des acteurs sont rassemblés, mieux ils négocient. Il s’agit donc d’une bonne piste de réflexion.