l y a huit ans, à Ghisonaccia, en Corse, les vignerons de la cave coopérative d’Aghione ont eu envie de mettre à l’honneur un cépage rouge autochtone, le niellucciu, sous la forme d’un blanc de noir tranquille. « Ce raisin étant particulièrement tachant, il a fallu mettre en place un protocole de récolte et de pressurage strict, assure Fabrice Testa, l’œnologue de la cave coopérative. Comme nous refusons d’utiliser du charbon végétal pour décolorer les moûts, tout a été pensé afin d’éviter de les tacher. Pour cela, nous récoltons les raisins pas trop mûrs, entre 11 et 11,5° probables et à un pH de l’ordre de 3,3. On sait par expérience que plus le pH est bas, moins on risque d’extraire de la couleur. Et nous récoltons toujours les raisins de nuit, tout début septembre, lorsqu’il fait moins de 20 °C. »
L’œnologue précise que les parcelles pour cette cuvée se trouvent seulement à quelques kilomètres du chai. « Ainsi, à peine réceptionnés, les raisins sont triés, égrappés puis envoyés vers un pressoir pneumatique où ils subissent un pressurage en douceur. La clé, c’est de travailler très vite. Il faut moins d’une heure aux raisins pour aller du pied de vigne au pressoir. »
L’élaboration de ce blanc de noir nécessite la récupération de tous les jus d’égouttage à l’égrappoir et au pressoir. « Rien qu’avec les jus d’égouttage, on récupère 40 % du volume de notre cuvée, indique Fabrice Testa. Ensuite, on lance le pressoir. Les jus issus des séquences de pressurage jusqu’à 0,5 bar complètent la cuve de blanc de noir, puis le reste est vinifié en rosé ». S’ensuit alors un débourbage à 5 °C, après ajout de neige carbonique au-dessus de la cuve de débourbage de façon à protéger les moûts de l’oxydation et à éliminer un maximum de molécules colorantes, avant de lancer la fermentation alcoolique.
À Gruissan, dans l’Aude, Jean-Rémi Mourad, le propriétaire du domaine Le Cartel, élabore un blanc de noir 100 % cinsault. Lui aussi récolte à la fraîche. Pour limiter au maximum les effets de la macération dans la benne à vendange, il la recouvre de neige carbonique une fois pleine, ce qui refroidit les raisins et les protège.
« On n’hésite pas à en mettre également dans le pressoir pneumatique, au fur et à mesure que l’on envoie la vendange égrappée. Au total, on en ajoute 40 kg dans le pressoir qui a une capacité de 15 t de vendange égrappée. On le remplit au maximum à 80 % de sa capacité, on évite ainsi d’écraser les baies, puis on lance un programme de deux heures. Seuls les jus de gouttes et les 30 premiers hectolitres extraits jusqu’à 0,4 bar seront vinifiés en blanc de noir. Le reste finira dans une cuve de rosé », explique Jean-Rémi Mourad.
À Saint-Quentin-de-Baron, en Gironde, Jérôme Boutinon, propriétaire du Château Hostin le Roc, ne récupère quant à lui que les jus de goutte pour élaborer son blanc de noir 100 % merlot. « Même à 0,1 bar de pression, on a un risque d’extraire des jus tachés, considère-t-il. Alors pour élaborer cette cuvée, nous avons mis tout un protocole en place. Les merlots sont issus de deux parcelles de 50 ares, âgées d’une vingtaine d’années, productives, avec des grappes lâches et de gros grains juteux qui ont une faible surface de peau par rapport à la quantité de jus. On récolte ces raisins très tôt le matin, à la machine, on ajoute de la carboglace dans la benne à vendange et dans le pressoir d’une capacité de 30 hl, puis on récupère 6 hl de jus de goutte, avant un débourbage à froid pendant 24 à 48 heures. »
Malgré toutes ces précautions, il arrive que les jus se colorent. Jérôme Boutinon se permet alors d’y ajouter du charbon végétal activé, à hauteur de 50 g/hl, avant le débourbage, afin de les éclaircir. Pour sa part, Jean-Rémi Mourad préfère ne pas décolorer ses moûts et faire de leur couleur légèrement teintée un argument commercial. « Les années solaires comme 2021, les moûts tachés étaient quasiment inévitables, rapporte-t-il. Nous avons donc préféré transformer ce léger défaut en une jolie histoire à raconter aux clients. » Ou comment contourner un obstacle avec finesse.