Newsletters
Magazine
ui a dit que la presse du vin était un métier de passionnés ? Sans doute la vingtaine de rédacteurs de la revue Le Rouge et Le Blanc dont aucun n’est rémunéré depuis 40 ans qu’existe le média indépendant… Où les articles de visites et de dégustation sont écrits bénévolement. « Ce n’est pas un métier de travailler pour nous, les gens ont forcément une autre activité ou sont à la retraite » rapporte Philippe Barret, le rédacteur en chef du trimestriel indépendant* Le Rouge & Le Blanc, rentré à la rédaction pour l’an 2000 par cooptation. Autre particularité de la revue fondée en 1983, elle n’a pas de publicité dans ses contenus, un gage de « la liberté totale que l’on peut avoir. Nous n’avons pas d’amis dans le vignoble, mais de bonnes relations. Notre seul financement, ce sont nos lecteurs » pointe Philippe Barret.
Plafonnant à 2 500 abonnés ces dernières années, Le Rouge et Le Blanc peut souffler ses 40 bougies avec 400 nouveaux abonnés depuis son évocation sur la radio France Inter, dans l’émission On va déguster de François-Régis Gaudry. Une réimpression de 600 exemplaires a même été nécessaire : du jamais vu pour la revue, répondant aux demandes de nouveaux abonnés et de points de ventes spécialisés (cavistes et librairies, diffusant habituellement 500 exemplaires dans 90 magasins). Préparé depuis deux ans, ce numéro anniversaire repose sur un cahier spécial, remplaçant le concept de salon qui avait été mise en place pour les 30 ans de la revue, et qui avait été critiqué par les lecteurs attachés à l’impartialité du titre, comme le rapporte le journaliste Jean-Marc Gatteron, cheville ouvrière du numéro anniversaire.
Reprenant les évolutions majeures des 40 dernières années pour la filière vin dans un dossier de 36 pages, Le Rouge et Le Blanc évoque l’arrivée sur les radars de vignobles méconnus, l’évolution qualitative de l’offre de vin, l’augmentation de la consommation des vins blancs, rosés et à bulles, l’impact du dérèglement climatique, l’évolution de l’élevage, l’installation de néovignerons, l’évolution de la dégustation (très centrée sur la robe, puis sur les arômes et désormais sur le goût)… « Sans oublier l’envolée des prix depuis 1983. Quand j’ai commencé à m’intéresser aux vins en 1975, ont pouvait déguster quasiment tous les grands noms en se groupant entre amateurs (sauf la Romanée Conti et Petrus). Aujourd’hui, ce n’est pas évident quand on n’est pas CSP++ » relève Jean-Marc Gatteron, qui précise ne pas avoir pu mettre au sommaire toutes les mutations de la filière, à commencer par la féminisation des métiers de la vigne.
Autre marqueur de ces 40 dernières années, le carrefour difficile dans lequel se trouve aujourd’hui vignoble français face à la diminution drastique de la consommation de vin, notamment sur les vins rouges, liquoreux et Vins Doux Naturels. « On voit de plus en plus un vin à deux vitesses. Celui qui illustre un marqueur social et celui de consommation courante produit industriellement. Ce vin boisson est très en crise, particulièrement en rouge » analyse Philippe Barret, pour qui les sélections de Le Rouge et Le Blanc suivent une tendance exigeante en phase avec les attentes des amateurs éclairés de vin.
Suivant une logique de découverte et non de guide d’achat, le trimestriel repose sur un principe fort : « pas une ligne sans une visite chez le vigneron » indique Jean-Marc Gatteron, qui « pense toujours au lectorat pour le prendre par la main dans un domaine qu’on aime bien pour qu’il ait l’impression d’avoir visité le domaine. Nous avons une grande liberté, nous pouvons décider de mettre 10 pages sur petit domaine/vignoble. C’est une grande liberté d’action, mais dans le cadre d’une décision collégiale. » Le collectif des 21 rédacteurs et dégustateurs de la revue s’accorde sur la réduction des interventions à la vigne et à la cave, qui répond à une demande de ses lecteurs.
« Le sujet du vin nature agite beaucoup, pas au sein de la revue, mais du lectorat comme la définition est imprécise. C’est un point très sensible parce que l’on a évolué avec le monde du vin vers plus de bio et de nature » réagit Philippe Barret, pour qui « la voie du tout ou rien de certains naturistes est stupide ». Refusant « un dogmatisme du tout bio ou tout nature (même si les vins bio et nature représentent 80 à 90 % de nos sélections) », Jean-Marc Gatteron explique qu’il y a de tout dans le vin nature de tout : « on trouve de bons vins nature et des vins surnaturels… Où l’on se demande où l’on est, ce sont des vins déviants et pas marchands. Mais une fraction de la population les apprécie... » La presse du vin est aussi le reflet des passions de l’époque.
* : 22 actionnaires : ça bouge pour qu’il y ait actifs. Michel Bettane, un des premiers actionnaires dans années 1980, collaborateur ponctuel.
