ans la filière vin en général et le monde des grands crus classés en particulier, il faut avoir une identité forte qui tienne en quelques mots pour se distinguer et marquer l’esprit des acheteurs pose José Sanfins, le directeur général du château Cantenac Brown (64 hectares de vignes en production à Margaux). Pour le troisième grand cru classé en 1855, son image de marque repose sur son histoire écossaise (création au XIXème siècle d’un château de style Tudor par John-Lewis Brown) et ses terroirs de plateaux (Cantenac et Margaux). Un ADN enrichi par la typicité de ses nouveaux bâtiments de production alliant bois massif brut et terre crue : avec un chai à barrique cathédrale et des murs en pisé aux lignes rouges.
Créant une nouvelle signature (voir photos ci-dessous), ces nouvelles installations marquent la prise en main du cru classé par de nouveaux propriétaires : la famille Le Lous, propriétaire des laboratoires médicaux Urgo (groupe producteur de pansements, soins des plaies et douleurs…). Ayant acquis la propriété fin 2019 au milliardaire britannique d’origine syrienne Simon Halabi, la famille Le Lous s’est immédiatement projeté sur la concrétisation des projets de rénovation de l’outil de production. Ayant annoncé investir 20 millions € fin 2020, au lancement des travaux, les propriétaires ont pris le parti de l’écoconception avec un architecte connu pour son esprit frugal : Philippe Madec. Réalisant son premier chai, le pionnier de l’architecture durable ne donne pas dans le geste architectural habituel pour un chai de grand cru classé, mais opte pour l’efficience thermique et la praticité ergonomique.


Si les techniques œnologiques sont dans l’air du temps, la propriété s’équipant pour des vinifications parcellaires (passant de 33 cuves de 180 hl à 70 tronconiques inversées de 50 à 120 hl) et gravitaires (sans pompe avec de cuvons prenant l’ascenseur pour les raisins, puis des cuves sur ascenseur pour les remontages dans le chai), c’est bien la démarche écologique du nouvel outil de production qui en fait son originalité. « L’idée était de construire avec les matériaux de notre époque » résume José Sanfins, qui pointe l’objectif du « moins d’artificialisation du sol et le moins de déchet possible. Nous avons donc réarrangé les bâtiments existants et creusé là où il le fallait. »
Les matériaux de construction suffisent ainsi à la décoration intérieure, spartiate, et sont visibles pour signer la construction, comme le mur en terre crue visible depuis la route d’Arsac. Dont les deux bandes rouges sont un clin d’œil au vin de Margaux, mais n’ont pas pu être réalisées avec du vin (dont la coloration ne tenait pas), mais avec de l’acide ferrique (2 mm d’épaisseur). Pour éviter le béton, la terre a été pisée sur place, c’est à dire coffrée et compressée pour être agglomérée par couches successives. Au final, les murs sont épais d’un mètre : 55 cm de terre pisée de Montpon-Ménestrol (Dordogne), 25 cm de liège, 5 cm de vide sanitaire et 15 cm de brique de terre compressée (BTC). Le tout pour tamponner au maximum l’atmosphère des chais et cuviers, avec une isolation thermique et hygrométrique optimisée, et complétée par des puits climatiques/canadiens (4 cheminées sont placées à l’extérieur). « Il n’y a pas de climatiseur ni d’humidificateur » note José Sanfins, pointant les ventilateurs aux plafonds des bureaux, les 35 cm de laine de bois sur le toit…
Dans son ensemble, l’outil de production du château Cantenac Brown allie l’écoconception (cuves en inox polymiroir pour faciliter le nettoyage et réduire la consommation d’eau…) et l’amélioration des conditions de travail (gigantesque halle de 500 m² pour l’arrivée des vendanges, pas de bruit autres que les ascenseurs dans le cuvier…). Ainsi que la hiérarchisation de l’image de marque : le château historique prime, l’outil technique le complète tout en restant en retrait. En témoigne le jeu de toitures du cuvier, qui fait en sorte d’être bien plus bas que le château pour rester en retrait dans les perspectives. « Le chai n’écrase pas le château, qui est notre signature » relève José Sanfins, qui n’est pas peu satisfait par l’effet de l’impressionnante arche du nouveau chai à barrique. Pouvant accueillir deux récoltes sur deux étages (avec 2 500 tonneaux), cette imposante structure en bois et métal sera une étape marquante des visites de la propriété (rouvrant au public en mai, après l’inauguration de la propriété lors des primeurs, fin avril).
Ayant la capacité d’accueillir la production de 80 ha de vignes (la propriété en possède désormais 75 ha, par le jeu d’acquisition), Cantenac Brown prévoir dans le futur de se doter d’un cuvier dédié à la production de ses vins blancs (cuvée Alto depuis 2011), avec une augmentation des surfaces passant prochainement à 5 ha (sauvignon blanc, sémillon et sauvignon gris), pour une appellation n’envisageant pas de passer en Médoc blanc pour préférer rester en Bordeaux blanc : « nous sommes fier d’être dans la famille des Bordeaux. Bordeaux est une marque plus connue et parlante à l’autre bout du monde » estime José Sanfins, gardant l’efficacité marketing en ligne de mire.
Visibles depuis la route, les lignes rouges du mur en terre crue sont la seule fantaisie apparente de ce bâtiment rénové.
A l’intérieur, une véritable coque de bateau renversée pour le cru classé de Margaux.
Le cuvier remplace la piscine de l’ancien hôtel, qui datait de l’époque Axa (une activité hôtelière qui a été stoppée : « c’est une autre métier » conclut José Sanfins)
Les gammes du château Cantenac Browne se dotent de nouveaux cartons pour reprendre la signature des lignes rouges (ici en peinture à l’eau).
Souci du détail, les jeunes vignes de cabernet sauvignon devant le domaine ont été semées de trèfle nain, qui aura une couleur carmin rappelant la ligne rouge du chai.