euxième pays importateur de vin en volume dans le monde, premier en vrac, l’Allemagne reste la deuxième destination des exportations françaises de vin avec 14% de part de marché, malgré un recul de 10% en 2023. Globalement, les ventes de vins en Allemagne ont régressé de 4% l’an dernier, selon le rapport que vient de publier l’Institut du vin allemand DWI, mais davantage pour des questions économiques qu’à cause d’une désaffection pour le vin. En effet, l’analyse pointe une baisse du nombre de ménages achetant du vin (-4,5%), notamment parmi les ménages à faible revenu, conjuguée à une stabilité des quantités achetées et de la fréquence d’achat. L’impact de la crise économique s’est manifestée par ailleurs dans le choix des origines : si les ventes de vins allemands, plus chers que leurs homologues étrangers, ont régressé de 9%, celles des vins importés n’ont reculé que d’un pourcent.
Pressions économiques
« Il ne faut pas oublier que nous traversons une période très difficile, entre le Covid et désormais la guerre en Ukraine et le conflit israélo-palestinien. Les consommateurs ne savent pas ce que l’avenir leur réserve et ils hésitent à dépenser de l’argent », relativise Frank Schulz, directeur des communications auprès du DWI. « Les médias n’aident pas, en créant un sentiment d’insécurité qui n’encourage pas les gens à consommer du vin ». La baisse du pouvoir d’achat n’est pas étrangère non plus à ce phénomène : « Nous avons assisté à un afflux de vins espagnols dont le prix de vente débute à 2,5 euros. Par conséquent, les Espagnols ont été moins désavantagés que les Allemands, avec les Français et les Italiens au milieu. Mais les vins espagnols ont payé ce succès en volume avec des prix bas ».
La mainmise des discounters
La « sensibilité » des Allemands au prix des vins est un secret de polichinelle : « Le PDG de Jacques’ Wein-Depot dit toujours, « Les Allemands sont fidèles au prix, non au vigneron ! », lance Christian Feucht, propriétaire de deux magasins sous cette enseigne en Bavière. C’est ce qui explique le rôle primordial joué par les discounters sur le marché allemand : « Environ 70% des vins se vendent en grande surface ou chez les discounters », rappelle Frank Schulz. « Les discounters ont une influence telle sur le marché que les agriculteurs dénoncent l’existence d’un cartel. Toujours est-il qu’ils peuvent s’avérer utiles pour ceux qui ont de gros volumes à vendre et recherchent des débouchés stables. D’ailleurs, en deux décennies même les domaines prestigieux en Allemagne, les VDP, sont revenus sur leurs positions. Avant, ils considéraient que c’était scandaleux de proposer leurs vins dans les enseignes discount ».
Démystification et singularité
Il n’empêche que l’inflation des coûts n’a pas épargné le marché allemand. « Depuis 18 mois, les prix sont revus à la hausse tous les mois à cause des augmentations des coûts des matières sèches, de l’énergie, du transport etc », confirme Christian Feucht, dont les magasins commercialisent 250 références, soit la totalité de l’assortiment proposé par la centrale d’achat de Jacques’ Wein-Depot. L’enseigne, qui fête cette année sa cinquantenaire, reste fidèle à ses origines à moitié françaises, avec une gamme de vins du Sud de la France dont le rapport qualité-prix reste toujours aussi prisé par les Allemands. Ce qui n’est pas le cas d’autres grandes régions françaises : « Les vins de Bourgogne et de Bordeaux sont trop chers et ont une image vieillotte, du point de vue des consommateurs allemands », estime le détaillant, qui reconnaît que dans le sud du pays, les vins italiens ont tendance à rafler la mise. « Les producteurs bordelais le savent et tentent de réagir, mais aujourd’hui mes clients recherchent des vins décomplexés ». La singularité est également devenue un critère d’achat, ce qui explique le succès actuel des vins portugais et géorgiens avec leurs cépages autochtones, au détriment des cabernets et autres chardonnays.
Frank Schulz du DWI estime qu’on pourrait voir le retour des « coolers » à base de vin, aptes à séduire les jeunes générations
La teneur en alcool réoriente la consommation
Les vins rouges, comme ailleurs, sont globalement à la peine, notamment en raison de leurs teneurs en alcool jugées trop élevées. « Le titre alcoométrique est aujourd’hui un vrai sujet de discussion », note Frank Schulz, qui souligne une tendance de fond vers des produits plus sains, notamment chez les jeunes. « Lorsque j’ai lancé mon activité il y a 22 ans, les teneurs en alcool se situaient entre 12 et 13% », rappelle Christian Feucht. « Désormais, il est normal de voir des vins du Sud de la France qui titrent entre 14 et 15%. Or, la première question que mes clients me posent c’est, quelle est la teneur en alcool ? » Résultat : les vins blancs, rosés et effervescents sont de plus en plus plébiscités, de même que les produits à faible teneur en alcool, voire sans alcool. « Il y a deux ans, nous n’avions pas une seule référence de vin sans alcool. Aujourd’hui, nous en avons plus de dix », précise le détaillant qui rappelle que l’une des particularités de l’enseigne consiste à proposer tous les vins en rayon à la dégustation.
Le décalage entre les désirs et la réalité
Les vins rosés aussi taillent des croupières aux vins rouges : « La tendance des rosés progresse d’année en année de manière très sensible, depuis 6-7 ans. Il y a 20 ans, personne ne s’intéressait aux rosés. On pensait que c’était des vins sucrés pour les femmes. Aujourd’hui, j’ai des clients qui m’en demandent même au mois de mars. Au printemps et en été, nous en proposons plus de 40 références ». Un nombre à comparer à l’assortiment des vins bios. « Nous proposons une vingtaine de vins bios sur 250 références au total, soit moins de 10% » explique Christian Feucht. L’une des grandes thématiques choisies cette année par ProWein, le développement durable peine à convaincre des consommateurs : « Les Allemands sont très sensibles au développement durable, mais personne ne veut le payer ! » commente Frank Schulz. « Tout le monde veut vivre une vie plus durable, mais lorsque les gens se retrouvent devant le rayon vins et qu’il faut payer 2 euros de plus la bouteille, ils réfléchissent à deux fois. C’est tout le problème des sondages, il y a un vrai problème d’hypocrisie ». Exception faite du packaging : « Nous vendons beaucoup de bag-in-box », précise Christian Feucht. « Jacques’ Wein-Depot a lancé ce format il y a 40 ans et nous en sommes désormais les leaders du marché. D’autres conditionnements alternatifs se développent aussi ».
L’innovation au cœur des enjeux
« Globalement, nous vivons une époque charnière où l’innovation est indispensable, même si elle est toujours difficile en temps de crise », estime Frank Schulz, qui se montre plutôt optimiste pour les mois à venir. « Nous pourrions voir un tournant au deuxième semestre de cette année, et je pense que 2025 ira mieux parce que la pandémie sera bien derrière nous, même si la situation géopolitique reste déterminante. Mais, en termes de communication autour du vin, nous devons absolument faire preuve d’innovation ».