ême les vins d'AOC valorisées s’y mettent. Laurent David, vigneron et propriétaire du château Edmus (1,6 ha en Saint-Émilion Grand Cru), a commercialisé son premier vin désalcoolisé en janvier 2024. Pour sa cuvée Zéro Edmus, il a été accompagné par B et S Tech et Derenoncourt Consultants. Il a choisi de désalcooliser un assemblage de 2022 de merlot et cabernet franc élevé en barrique.
« Avec ses tanins plus fondus que ceux du cabernet franc, le merlot est un bon candidat à la désalcoolisation, explique-t-il. D’après moi, l’élevage en barrique apporte aussi un plus.» Côté technique, il opte pour l’osmose inverse avec passage du perméat dans une colonne de distillation, « une méthode douce proposée par Michaël Paetzold ».
Pour sa prochaine cuvée, Laurent David réfléchira dès la vigne à l’objectif sans alcool. «On vendangera un peu plus tôt afin de limiter la teneur en alcool. Pas besoin d’aller chercher de la complexité en poussant les maturités. On a surtout besoin d’un vin fruité, avec des tanins souples.»
Dans le Muscadet, Mathilde Ollivier, associée au domaine de la Grenaudière, a déjà produit 5 000 cols de sa cuvée Phénomène, un melon de bourgogne désalcoolisé. «Tout le stock est écoulé alors on renouvelle l’opération», indique-t-elle, cette fois pour 15 000cols, dont la moitié partira à l’export. Comme avec le premier tirage, elle s’est tournée vers Zenothèque, maître d’Å“uvre du chantier. «On leur livre le vin, explique la vigneronne. Ils nous le retournent désalcoolisé, tiré bouché. On leur fait entièrement confiance. Finalement, la seule chose que l’on choisit, c’est le vin de base et la formulation du vin désalcoolisé.»
Sur ces deux points, quelques changements sont à prévoir. Pour son second lot, elle a opté pour un vin expressif de 11,5 % vol., qui présente un bon potentiel aromatique. «Cette fois, on va le désacidifier avec l’objectif de 3 g/l environ d’acidité totale, car la distillation concentre l’acidité comme elle concentre l’amertume, détaille-t-elle. Et de préciser : La recette finale était à 15g/l de sucres pour le premier tirage. Là , on va peut-être ajouter 2 à 3 g/l. On va remonter le CO2 de 1 200 mg/l à 1 400mg/l et rester à 5 cl/hl de gomme arabique. Pas plus car cela alourdit le vin.»
Comme pour la première fois, Zenothèque confiera la désalcoolisation à une entreprise équipée d’une colonne à cônes rotatifs (ou SCC, pour spinning cone column). Le principe est le même qu’une distillation sous vide : une succession de cônes tourne dans une colonne chauffée et sous vide. Le vin s’étale sur les cônes, ce qui augmente la vitesse d’évaporation de l’alcool. Chez ce prestataire, la désalcoolisation a lieu en deux passages. Lors du premier, les arômes sont récupérés pour être réintégrés au vin final.
Reste à stabiliser le produit final, puis à le conditionner. La première de ces étapes est délicate, tant d’un point de vue microbiologique que physique. Nicolas Dutour, Å“nologue-conseil aux Laboratoires Dubernet, met en garde. «On ne conditionne plus un vin classique mais un vin désalcoolisé, qui est plus sensible aux pathogènes, particulièrement s’il contient du sucre.»
Trois techniques sont utilisées pour la stabilisation microbiologique : la flash-pasteurisation, le tunnel de pasteurisation et le dicarbonate de diméthyle (DMDC). Mathilde Ollivier a opté pour ce dernier.
Selon Nicolas Dutour, la «pasteurisation est la technique la plus sûre». On chauffe pendant quelques secondes à 70°C et on le refroidit. Un bémol tout de même : la température peut dégrader les arômes.
En revanche, l’Å“nologue se veut prudent vis-à -vis du DMDC. «Des refermentations en bouteille avec du DMDC, j’en ai vu un paquet !, affirme-t-il. Un trouble peut apparaître en quinze jours. Cette technique nécessite une certaine maîtrise. Il faut connaître la charge microbienne initiale afin de décider du type de filtration à adopter et afin de pouvoir la réduire suffisamment pour garantir la stabilité du vin avec un ajout de DMDC.»
Selon Vincent Renouf, directeur du laboratoire Excell, des précipitations calciques, protéiques ou de matière colorante peuvent également apparaître avec la désalcoolisation. «Nous avons adapté nos protocoles de stabilisation aux vins désalcoolisés de façon à analyser leur stabilité, indique Vincent Renouf. Aujourd’hui, pour établir un diagnostic complet des vins désalcoolisés, nous proposons un pack “stabilité” dans lequel sont regroupées les analyses de stabilité microbiologique, cristalline, protéique et de matière colorante.» Avant de rappeler qu’une excellente hygiène s’impose dès lors que l’on veut produire des boissons désalcoolisées.