e bâtiment est gigantesque, au milieu de la plate campagne de la Somme. Usine sucrière jusqu’en 1985, l’édifice tout en briques rouges a ensuite servi de stockage pour des vélos. Ternovéo (filiale du groupe Advitam de la coopérative Unéal) y a injecté 1,5 millions d’euros pour le transformer en chai viticole, vaisseau amiral d’un projet futuriste de nouvelle filière pour ses agriculteurs.
Pour l’instant, seule une toute petite partie des 3 200 m2 disponibles sont occupés. De 17 ha récoltés en 2022, la production est déjà passée à 40 ha en 2023 (et vise 200 ha d’ici 10 ans). A termes, le chai pourra produire et abriter 1 million de bouteilles, selon une stratégie courant jusqu’en 2030, et pensée par Christophe Dubreucq, directeur commercial.
Mais en cet automne 2023, le maître de chai Guillermo Arancibia se réjouit surtout de la récolte 2023, après une saison plus compliquée qu’en 2022. « Avec 11,5° de moyenne, nous sommes satisfaits. Nous sommes tous encore en apprentissage », rappelle-t-il. « Le challenge est technique, bien sûr… Mais surtout humain. Créer un vignoble, c’est d’abord un exercice de grande humilité. »
Car tout est à construire. Ternovéo ne possède pas les vignes en propre : le modèle choisi est celui du négociant vinificateur. Les agriculteurs (déjà en contrat) sont invités à planter de la vigne, « à leurs frais », précise Guillermo Arancibia.
Ternovéo « aide pour le matériel végétal, le palissage, on les forme à la taille, au traitements, on leur propose des applis, des conseils techniques, etc. ». L’investissement de départ, 35 000 € par ha en moyenne, avec « aucun retour sur investissement avant au moins 6 ou 7 ans » est un autre filtre.
92 agriculteurs se sont lancés dans l’aventure à ce jour, en plantant chacun 1,5 ha maximum. « C’est notre projet : avoir 130 agriculteurs avec 1,5 ha », en complément d’activité. Toutes les parcelles sont en HVE, certaines en conversion bio.
Les critères sont stricts : « Il faut être passionné par le projet. Ceux qui partent avec l’a priori, assez répandu chez les agris, que cultiver une plante pérenne est facile, s’aperçoivent rapidement qu’il y a du boulot. Ils trouvent ça assez dur, mais il y a aussi beaucoup de plaisir. Beaucoup ont organisé des repas de vendanges, par exemple. »
L’élément clé reste la parcelle disponible. « La terre d’ici est très riche, il faut chercher le bon endroit pour la vigne, pas trop loin de chez eux et en jachère. » Les parcelles plantées s’étalent sur un territoire gigantesque, allant de Saint-Omer (pas très loin de Calais) à Laon (au Sud-Est d’Amiens, à 2h30 de route), le chai se situant au centre. Visitée, une parcelle située à Chuignes s’étale sur un (léger) coteau exposé Sud Sud-Est, planté à 5 000 pieds/ha avec 2 mètres entre les rangs, avec un rendement visé de 8 tonnes / ha.
Certains poursuivent leur intérêt jusqu’au chai, univers encore plus inconnu de ces Nordistes. Il est aujourd’hui équipé de deux pressoirs, de trois cuves de débourbage de 45 hl, une douzaine de cuves inox de 50 hl, des œufs en béton de 17 hl, une trentaine de barriques en chêne de 28 l et un foudre de 16 hl.
L’objectif fixé est de produire « au moins trois cuvées, une plutôt pensée pour l’apéritif (Azimute), une autre pour la gastronomie (Parallèle 50) et une dernière pour la garde, élevée en barriques (Fragments) », détaille le maître de cave, qui a longtemps vinifié au Pérou et aux Etats-Unis. Pour l’instant, ces cuvées sont à base de chardonnay exclusivement, et l’influence bourguignonne se fait largement sentir. Mais des essais de chenin, sauvignon blanc et cépages rouges sont déjà dans les tuyaux.
Le millésime 2022, le tout premier, est déjà commercialisé localement sous la marque « Les 130 ». Maîtrisées, les cuvées sont plaisantes… même s’il est encore beaucoup trop tôt pour y déceler une identité "du Nord". « Il faudra du temps pour que tout le groupe monte en compétence. Mais il y a de l’ambition et surtout une totale liberté. »