C’est une pratique qui s’impose aux vignerons plus qu’ils ne la choisissent, analyse Bruno Guillet, conseiller viticole au laboratoire Gresser œnologie. Avec le réchauffement climatique, le blocage de la fermentation malolactique (FML) se développe dans le but de conserver au vin de la fraîcheur, alors qu’auparavant, on bloquait la malo afin de se différencier. »
Pierre Mittnacht, installé en 2020 sur le domaine familial de 11 ha à Hunawihr, dans le Haut-Rhin, illustre bien cette tendance. En 2017, alors qu’il travaillait déjà sur le domaine, il bloque la malo sur sa cuvée de crémant extra-brut. « C’était une année caniculaire. Nous avons voulu garder de la fraîcheur car notre crémant est à 80 % à base d’Auxerrois, un cépage qui, s’il manque d’acidité, perd ses arômes fruités et donne un vin un peu lourd. Depuis, nous avons bloqué la malo sur tous les millésimes, à l’exception de 2021 qui a été une année plus fraîche. »
Pour empêcher la FML, le jeune vigneron apporte 2,5 à 3 g/hl de SO2, après avoir soutiré et refroidi le vin à 14 °C pendant 24 heures dès la fin de fermentation alcoolique. Il réalise ensuite une filtration stérile avant la mise en bouteille. « La prise de mousse se fait sans difficulté, et je n’ai jamais eu de malo en bouteille », assure le jeune vigneron.
Son confrère Adrien Herrbach, qui travaille en famille sur un domaine de 14 ha à Dambach-la-Ville, dans le Bas-Rhin, fait lui aussi l’impasse sur la FML depuis trois ans. « Nous ne faisons qu’une cuvée de crémant par an, d’environ 80 à 100 hl, argumente-t-il. Nous ne cherchons pas la rondeur apportée par la malo, mais plutôt des profils vifs qui sont difficiles à obtenir les étés chauds. » Après un sulfitage entre 2 et 3 g/hl en fin de fermentation, après soutirage et une filtration sur kieselgur avant la mise en bouteille réalisée en février-mars, la prise de mousse n’a jamais posé problème. « Nous sommes très vigilants à l’hygiène, et nous analysons régulièrement les vins en cuve de façon à suivre le SO2 libre, le SO2 actif, l’acidité volatile…, précise-t-il. En bouteille, nous surveillons la prise de mousse en suivant les populations de levure et la teneur en sucres. »
En Champagne, l’absence de FML est une pratique plus ancienne. Fabrice Rémy, des champagnes Rémy-Collard, un domaine de 11 ha dans la vallée de la Marne, perpétue un usage vieux de quatre générations. « Nous bloquons la FML sur toutes nos cuvées. Nous tenons à garder l’acide malique afin de conserver de la fraîcheur et allonger le potentiel de garde de nos champagnes. » Les vins sont sulfités une première fois au pressurage, puis en fin de fermentation, après soutirage et passage au froid (10 à 13 °C). « Ces champagnes méritent un élevage sur lattes un peu plus poussé, confie Fabrice Rémy. Il faut au minimum 18 à 24 mois pour atténuer le côté mordant. »
Chef de cave de Champagne Brice, à Bouzy, qui exploite 13 ha de vigne en propriété, Christophe Constant a, lui aussi, toujours bloqué la FML. « Je fais du vin avant de faire du champagne. Je recherche de belles maturités. Quand on récolte entre 11,5 et 12 % vol., on peut se permettre de bloquer la FML, le potentiel aromatique et la structure du vin équilibrent l’acidité. Et avec le dérèglement climatique, les pH progressent. Bloquer la malo évite d’acidifier. »
Le vigneron sulfite ses moûts à 5 g/hl, puis ses vins à 3 g/hl afin de bloquer la malo. « Auparavant, quand on bloquait les malo, il fallait élever les vins sur lattes plus longtemps mais avec le changement climatique, on ramasse plus mûr, les équilibres sont différents, cette exigence n’est plus si fondamentale. »
À Damery, la maison Goutorbe Bouillot ne pratique plus les malo depuis l’an 2000. « Cette décision est liée à notre méthode d’assemblage, explique Bastien Papleux, à la tête, avec son père, de cette maison familiale. Depuis 1980, nous travaillons avec une réserve perpétuelle composée de tous les millésimes depuis cette date. Chaque année, nous assemblons 70 % de cette réserve et 30 % de vins de l’année. Comme nous avons beaucoup de vieux vins, nous avons fini par bloquer la malo afin de garder de la fraîcheur. Avec un pH plus bas, les vins tiennent mieux dans le temps. »
Autre habitude de la maison : elle conserve les champagnes au moins six mois après dégorgement, avant de les expédier. « Nous faisions déjà cela quand on faisait la malo, ce n’était pas forcément nécessaire, assure Bastien Papleux. Sans malo, ça devient indispensable. Et les vins sont encore meilleurs un an après le dégorgement. » Il ajoute que l’absence de malo est une manière de se différencier et d’asseoir un style. Un atout qui pourrait bien disparaître si, sous l’effet changement climatique, l’absence de malo devenait la norme.