iminution significative de l’ajout de SO2, augmentation du pH ou encore fermentations spontanées, les circonstances favorisant l’apparition de goûts de souris sont connues, même si les causes et les mécanismes précis qui conduisent à ces défauts ne le sont pas encore. Mais l’étau semble se resserrer autour d’Oenococcus oeni.
En juin dernier, Pierre Moulis présentait à l’ISVV de Bordeaux sa thèse portant sur le goût de souris. Ce chercheur a prélevé 25 vins présentant ce défaut pour analyser leur flore microbienne. Il a ainsi isolé 353 micro-organismes. Et parmi toute cette flore, seules B. bruxellensis, Lentilactobacillus hilgardii, une bactérie lactique, et Oenococcus oeni se sont avérées capables de produire les composés sourissés en milieu modèle.
O. Oeni était présente dans 21 des 25 vins étudiés, tandis que Brett ne l’était que dans 5 d’entre eux. Sur la base de cette découverte, Pierre Moulis a testé l’aptitude d’autres souches d’O. oeni, les unes indigènes, les autres commerciales, à produire des goûts de souris dans un vin synthétique. Toutes s’en sont avérées capables, avec de fortes variabilités entre les souches. À noter que ces expérimentations ont été réalisées dans un milieu modèle bien plus riche que le vin en précurseur des composés responsables du goût de souris.
Sur le terrain, d’autres observations amènent à suspecter le rôle de la bactérie de la malo dans l’apparition de ce défaut. En effet, la co-inoculation pose question. « Nous nous sommes rendu compte que la perception du défaut était plus importante lorsque l’on faisait de la co-inoculation avec O. Oeni, précise Emy Heguiaphal, ingénieur R & D en microbiologie à l’IFV, sans que l’on sache précisément pourquoi, tant avec les bactéries indigènes que commerciales. »
De plus, « une corrélation entre goûts de souris et acide D-lactique, preuve d’un développement de bactéries lactiques sur des sucres, a pu être mise en évidence », explique Nicolas Richard, œnologue à l’institut Rhodanien.
De ces observations découlent quelques pistes de réduction des risques de voir apparaître ce défaut. Pour éviter que les bactéries ne se développent, le temps de latence entre fermentations alcoolique et malolactique doit être le plus court possible. « Si la malo tarde, utiliser des bactéries sélectionnées peut constituer une solution pour éviter un “vide” microbiologique », préconise Emy Heguiaphal.
Et s’il faut bien complémenter les moûts en azote afin d’assurer une bonne fermentation alcoolique, il ne faut pas voir la main trop lourde non plus. « On a souvent retrouvé de l’azote résiduel sur des vins sourissés… », prévient-elle.
En ce qui concerne la co-inoculation, s’il faut l’éviter avec O. oeni, rien n’empêche de la pratiquer avec Lactobacillus plantarum. « La malo va se faire très rapidement. Mais le moût doit s’y prêter : L. plantarum fonctionne bien sur les vins de pH élevé. Lorsque le pH est inférieur à 3,3, cette bactérie ne fonctionne pas. »
Plus radical : Nicolas Richard propose… de ne pas faire la malo ! « Pas facile lorsqu’on fait des vins sans sulfites, mais on peut essayer de la bloquer en utilisant du lysozyme ou de l’acide fumarique », indique-t-il. À noter que ce dernier se dissout très mal et n’est pas autorisé en bio.
Autre piste, selon Emy Heguiaphal : « Pour bloquer la malo, on peut utiliser les levures acidifiantes Lachancea thermotolerans ». En plus de baisser le pH, celles-ci transforment les sucres en acide lactique. Or, on sait qu’au-delà de 5 g/l d’acide lactique, le développement d’O. oeni est bloqué. Encore faut-il réussir à piloter les Lachancea thermotolerans de façon à éviter d’obtenir des vins trop acides…
Une fois la malo terminée, l’emploi de tout ce qui peut diminuer les micro-organismes est conseillé. « Les lies contiennent de l’azote et des micro-organismes : un cocktail parfait pour générer des pyridines, responsables des goûts de souris, précise Nicolas Richard. Soutirer, filtrer, coller… Il faut clarifier du mieux que l’on peut afin d’éliminer les micro-organismes. »
Enfin, l’oxygène est suspecté de jouer un rôle dans la production des goûts de souris. « On sait qu’un fort apport d’oxygène peut favoriser l’apparition du défaut. Il faut maîtriser son apport, surtout au moment de la mise, et maintenir un bon équilibre rédox », précise Emy Heguiaphal.
Toutes ces précautions « sont des pistes que nous envisageons de tester avec un groupe de travail que nous sommes en train de constituer », annonce Nicolas Richard. Et si le rôle crucial d’O. oeni dans l’apparition des goûts de souris se confirme, il restera aux chercheurs à trouver comment l’empêcher.
D’après Nicolas Richard, la détection précoce des goûts de souris est un incontournable. « Dès la fin de la FA, il faut commencer à tester les vins puis les suivre tous les mois pendant l’élevage », conseille-t-il. Dans ce but, il faut ajouter 5 g/l de bicarbonate de soude au vin à tester de façon à atteindre un pH voisin de 5, ce qui révèle le goût de souris, les pyridines n’étant pas volatiles au pH très acide du vin. « Si vous détectez le goût de souris, le seul moyen de l’atténuer… c’est de sulfiter », poursuit Nicolas Richard. En inhibant les bactéries, le SO2 stoppe la production de pyridines et – hypothèse audacieuse, à confirmer – les rendrait inodores en se combinant avec elles, de la même manière qu’il se combine avec l’éthanal.