rchestrée avec fracas, la démission du Syndicat des Producteurs de Crémant d’Alsace (SPCA) de la Fédération Nationale des Producteurs et Élaborateurs de Crémant (FNPEC) semble moins surprendre qu’agacer dans les sept autres appellations de crémant (Bordeaux, Bourgogne, Die, Jura, Limoux, Loire et Savoie). Où l’on tique sur un positionnement alsacien de gardien du temple qualitatif, avec la critique de la réduction des durées d’élevage en Loire et le refus des essais de machine à vendanger pour expliquer cette sortie brutale de l’AOC leader des crémants. Directeur du SCPA (mais plus de la FNPEC depuis ce printemps), Olivier Sohler estime ainsi que « les débats qui s’instaurent à la Fédération sur les essais de vendanges mécaniques et la durée d’élevage ne sont pas les nôtres. L’Alsace veut coller au haut de la pyramide (NDLA : coiffée par le Champagne) et encore accroître sa notoriété. C’est pourquoi l’Alsace a été moteur pour encadrer le fonctionnement des sites de pressurage afin que le raisin soit totalement respecté. »
Dans le reste du vignoble, le départ alsacien n’est « pas une très grosse surprise, il y a une certaine déception, c’est dommage » résume David Maugin, le co-président du syndicat des crémants de Loire, qui se pose autant la question de déceptions que d’incompréhensions pour expliquer ce départ. « Plusieurs demandes de réduction du temps d’élevage ont été faites par plusieurs AOC » indique-t-il, ajoutant que « cela a été accepté pour le crémant de Loire, qui a ses raisons, les marchés sont très demandeurs, les stocks sont très tendus et on a justifié de notre demande, ce qui a été compris et accepté par l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO). Il est hors de question de prolonger cette dérogation ou de refaire une demande, cela est lié à plusieurs aléas climatiques sur les dernières années. »
Si les crémants de Loire et de Bourgogne bénéficient d’arrêtés dérogatoires depuis le 26 juin dernier et le 22 novembre 2022, les crémants du Jura attendent la réponse de l’INAO à leur demande de raccourcissement de 12 à 9 mois. « Nous n’avons pas obtenu de réponse » indique Franck Vichet, le président de la commission crémant au sein de la société de viticulture du Jura. « Avec le gel 2021, on a produit 2 500 hectolitres de crémant, alors que l’on en vend 19 000 hl. Et en 2022 on a produit 18 000 hl, on a demandé de pouvoir réduire l’élevage pour pouvoir boucher les trous lors des ventes de Noël » indique Franck Vichet, qui a l’espoir que les vendanges 2023 permettront de refaire le stock et de ne plus avoir besoin de dérogations (le Jura en avait obtenu une en octobre 2022). Ayant déposé une demande similaire en raison d'une tension sur la fourniture de bouteilles, la coopération alsacienne l'avait retirée après avoir trouvé une solution interne à sa famille professionnelle. Tandis que les crémants de Bordeaux auraient refusé cette demande émanant d’un négoce.
Si dans son communiqué de départ (voir encadré) l'Alsace ne critique pas la demande du Jura, victime d'aléas climatiques et qui a besoin de libérer des vins plus tôt, la pique est pour la Loire, qui n'aurait pas subi d'événement climatique majeur, mais qui a obtenu sa dérogation. Rappelons que l'ensemble des 8 régions françaises productrices de crémant se sont entendues il y a des années pour passer la durée sur lies de 9 à 12 mois et à l'inscrire dans leur cahier des charges. Chacune peut donc demander de diminuer ce temps minimum.


Concernant les essais de machines à vendanger conspués par le SPCA, Franck Vichet « pense que tout doit être étudié. Des essais n’engagent pas à changer le cahier de charges. Si on n’essaie pas, on ne le saura jamais. On essaie bien aujourd’hui des Variétés d’Intérêt à Fin d’Adaptation (VIFA). » Pour un administrateur de la FNPEC, la machine à vendanger reste actuellement un sujet de réflexion interne, « il n’y a pas raison d’avoir peur aujourd’hui. Ce sera un sujet mis sur la table à l’avenir quand il y aura un consensus. »
Un accord sacré qui ne semble pas être à portée, comme en témoigne un opérateur des crémants de Bordeaux : « je n’ai jamais entendu parler d’une idée de machine à vendanger pour vendanger nos effervescents. Il ne faut pas toucher à l’intégrité des raisins, c’est rédhibitoire. » Sujet de débat, les essais de machines à vendanger ne sont pas seulement techniques, le prix d’une modification du cahier des charges en termes de régression d'image interpellant la filière des crémants. Comme le pose un opérateur : « comment aller vers l'excellence si on commence à tirer les modalités de production vers le bas ? »
Vice-président du Comité Interprofessionnel des Vins de Savoie (CIVS), Pierre Viallet, rejette ces débats techniques pour expliquer la scission alsacienne de la « bannière commune des crémants ». Relevant une communication alsacienne sur « des choses pas actées », Pierre Viallet regrette ce manque d’unité : « cette brouille a des dégâts politiques et personnels : ça ne profite pas aux appellations du crémant. Il faut de l’union pour être audible. » Pour lui, « le sujet de divergence, c’est que l’Alsace ne veut pas communiquer sur les crémants de France, mais d’Alsace. Le vrai problème vient de là. L’Alsace, c’est 36 millions de cols* sur les 105 millions de crémants de France. Quand on met en place une communication commune, on paie à proportion. »
Le modèle de la FNPEC prévoit en effet une répartition au prorata des volumes écoulés, donc la région la plus importante payerait le plus. Pour les Alsaciens, cela financerait des opérations profitant à l'ensemble des crémants, donc surtout aux régions qui en vendent moins pour l'instant. Sur ce point, les trois familles alsaciennes sont unanimes pour estimer que l'Alsace n'a pas beaucoup à espérer d'une promotion commune, car elle est déjà le leader français et que le vignoble alsacien touche à son plafond de production autour de 40 millions de cols/an (290 000 à 300 000 hl sur une récolte qui n'atteint plus le million d'hl depuis trois ans). « Une Fédération nationale "à tiroirs" dans laquelle chaque région participe selon ses ambitions nous irait très bien » déclare Pierre-Olivier Baffrey, président de la Fédération des caves vinicoles d'Alsace. Pour lui, la situation actuelle pose désormais la question « de la représentation des crémants d'Alsace au niveau national ». Pour un négociant alsacien, « c'est à la Fédération de reprendre les choses en main en définissant des besoins et des objectifs ».


Assurant désormais l’animation de la FNPEC (qui n’a plus de directeur), Édouard Cassanet temporise : « on espère que le dialogue ne sera pas rompu. Nous souhaitons avoir des interlocuteurs à l’avenir. Il y a une réaction épidermique que l’on regrette, alors que l’on souhaite être une famille unie. On défend et porte le même nom. » Estimant qu’il y a une accumulation de tension et pas un fait générateur dans le départ du SPCA, l’ancien directeur de la cave de Lugny estime que la FNPEC « se doit d’aborder tous les sujets. Comme réfléchir aux essais de machine à vendanger, qui peut répondre à des enjeux d’embauche, comme d’autres outils (la disponibilité des saisonniers, etc.). »
Financièrement, si l’Alsace représente 40 % des volumes regroupés au sein de la FNPEC, « comme il n’y a pas de cotisation proportionnelle mais un fortait, l’impact sera limité sur notre fonctionnement » ajoute Édouard Cassanet, qui note le souci de ne plus regrouper que 7 AOC sur 8, sans le leader du segment. Pour résoudre ce conflit, « il n’y a pas de guerre entre régions, mais des soucis entre Alsaciens à régler » grince un opérateur ligérien.
* : 38,7 millions de cols au rythme actuel.
Le Syndicat des Producteurs de Crémant d’Alsace démissionne de la Fédération Nationale des Producteurs et Elaborateurs de Crémant et souhaite poursuivre son rôle de garant qualitatif de l’appellation alsacienne en plein succès.
Dans un contexte particulièrement favorable des ventes de l’appellation Crémant d’Alsace qui ne cessent de grimper, et après tant de records successifs années après années (39 millions de bouteilles vendues en douze mois) certains font usage de leur pression pour tenter d’aboutir à des facilités qui ne sont pas en phase avec les valeurs qualitatives que le Conseil d’Administration du Syndicat des Producteurs de Crémant d’Alsace souhaite véhiculer et auxquelles il aspire à l’unanimité de ses membres.
Ces pressions arrivent jusqu’au niveau de la Fédération Nationale des Producteurs et Elaborateurs de Crémant.
Les démissions de l’ensemble des caves coopératives alsaciennes en tant que membres du Syndicat des Producteurs de Crémant d’Alsace, jusque-là composé de l’ensemble des 3 familles viticoles régionales (vignerons indépendants, producteurs-négociants, caves coopératives), apportent cependant une certaine clarification des objectifs.
Le soutien aux essais souhaités par certains et soutenus par la Fédération Nationale des Producteurs et Elaborateurs de Crémant en matière d’utilisation de la machine à vendanger sont contraires à nos ambitions qualitatives alors même que nous avions réussi à inscrire dans le marbre du Règlement Communautaire une version plus restrictive qui oblige à la récolte manuelle, gage incontestable de qualité et de garantie d’acheminement des raisins entiers jusqu’au pressoir.
Le soutien en matière de réduction de la durée de commercialisation à certaines entreprises ou appellations, même de manière dérogatoire, pour passer de 12 à 9 mois, et comme cela vient d’être validé dans certaines régions qui n’auront pas souffert d’un état de catastrophe naturelle comme cela a pu être le cas dans le Jura avec ses récoltes successives déficitaires, parfois réduites à 10% d’une récolte normale, est encore une aberration.
Nos politiques viti-vinicoles s’éloignent semble-t-il, et les efforts auxquels nos générations précédentes auront consentis semblent être oubliés. Ils sont pourtant incontestablement le fruit du succès de notre appellation Crémant d’Alsace, et de nos huit appellations Crémant en général.
Mais la politique viticole engagée par certains n’est définitivement pas notre façon de voir les choses et le pilotage de notre Fédération ne convient plus au Syndicat des Producteurs de Crémant d’Alsace, lui-même maintenant amputé d’une de ses trois composantes.
Ce sont ces différentes raisons qui ont conduit le Syndicat des Producteurs de Crémant d’Alsace à démissionner de la Fédération Nationale des Producteurs et Elaborateurs de Crémant avec effet immédiat.
Le Syndicat des Producteurs de Crémant d’Alsace souhaite néanmoins poursuivre la mission qu’il s’est fixé en prônant le maintien d’une haute valeur qualitative de l’appellation qu’il défend et promeut depuis près de 50 ans. Il souhaite également poursuivre de jouer son rôle de garant qualitatif de l’ensemble des Crémants d’Alsace, à l’image de ce dîner d’exception qu’il avait organisé en ce début d’année et en associant les plats d’exception des plus grands chefs étoilés à une sélection des plus grands flacons de l’appellation.
Charles Schaller, président du Syndicat des Producteurs de Crémant d’Alsace.