il rouge pour vin blanc : démontrer la typicité des terroirs et élevages propres aux vins blancs du Médoc. Adopté ce 30 mars en assemblée générale à Cissac-Médoc (Gironde), le projet d’extension en blanc du cahier des charges de l’appellation Médoc n’est pas une création, mais une reconnaissance explique Hélène Larrieu, la directrice du syndicat viticole des AOC Médoc, Haut-Médoc et Listrac-Médoc. Le cahier des charges qui va être proposé aux comités régionaux (ce printemps) et nationaux (en fin d’année) de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) s’appuie en effet sur l’histoire des vins blancs du Médoc (abondamment documentée aux XIX et XXème siècles) et sur leur renouveau actuel (de 90 hectares pour 50 producteurs en 2017 à 173 ha 75 producteurs en 2022).
Témoignage de ce travail de synthèse entre passé, présent et futur, la liste des cépages proposés par l’ODG pour le Médoc blanc. On y trouve d’un côté les traditionnels cépages principaux bordelais (muscadelle, sémillon, sauvignon blanc et gris), de l’autre côté des cépages expérimentaux résistants au mildiou et à l’oïdium ou au changement climatique (les Variétés d’Intérêt à Fin d’Adaptation, VIFA : floréal, sauvignac, souvignier gris, alvarinho, liliorila et voltis, qui ne peuvent pas dépasser de 5 % des surfaces et 10 % de l’assemblage). Et entre les deux se trouvent des cépages accessoires pour le moins inhabituels : chardonnay, chenin, gros manseng et viognier. Soit des cépages emblématiques d’appellations tranquilles de Bourgogne, du Val de Loire, du Sud-Ouest et de la Vallée du Rhône.
Ne pouvant pas dépasser plus de 15 % de l’encépagement et de l’assemblage, ces cépages ne pourraient pas être étiquetés (l’étiquetage d’un cépage n’étant possible qu’au-delà de 15 %). Mais il n’est pas sûr que cela permette à l’AOC Médoc d’intégrer ses cépages si les vignobles dont ce sont des cépages patrimoniaux s'y opposent. Un précédent existe en la matière : le veto des vins du Sud-Ouest (Jurançon, Irouléguy, Pacherenc et Saint-Mont) à l’intégration du petit manseng comme VIFA dans l’AOC Bordeaux en 2020. Si l’INAO donne des raisons techniques à ce refus du petit manseng (en termes de concentration des sucres), les AOC du Sud-Ouest souhaitaient clairement défendre leur identité et leur cépage emblématique (une disposition qui n'existe pas pour l'évolution de l'encépagement, et a été rejetée lors du comité national INAO du 30 novembre 2022*). L’ODG Médoc précise pour sa part se baser sur l’encépagement actuellement constaté pour la production de vins blancs dans le Médoc. Où l’on trouve les cépages traditionnels bordelais : sauvignon blanc (106,5 ha), sémillon (32,2 ha), sauvignon gris (7 ha) et muscadelle (4,2 ha). Mais aussi des variétés plus exotiques : chardonnay (8,6 ha), gros manseng (2,3 ha), viognier (2,2 ha), chenin (1,6 ha), alvarinho (0,8 ha), liliorila (0,7 ha), petit manseng (0,7 ha)… « On souhaite être larges dans nos cépages. Qui peut dire dans 30 ans que tel cépage marchera ici ? il faut démarrer et partager les expériences » estime Claude Gaudin, le président de l’ODG Médoc. « On propose, la commission d’experts dispose » ajoute Hélène Larrieu.


Conservant les mêmes rendements et densité de plantation que les rouges (soit 55 hl/ha maximum et 5 000 pieds/ha minimum), les vins blancs du Médoc auraient la spécificité d’être vinifiés, élevés et conditionnés en bouteille de verre à la propriété afin d’éviter l’oxydation. Autre spécificité, un élevage en barrique pour au moins 30 % des volumes. À l’aveugle, tous les vins n’ayant pas vu de bois ont été classés comme typique de Bordeaux et non du Médoc par panels de dégustateurs (producteurs, négociants et consultants) indique Hélène Larrieu, qui résume : « l’élevage bois est un déclencheur de la typicité du Médoc, sans le marquer ».
Alors que les vins rouges de Bordeaux sont en difficulté (voir encadré), la création d’une nouvelle identité sur les vins blancs permettra de différencier le Médoc explique Claude Gaudin : « l’objectif n’est pas de faire un Bordeaux, mais un produit valorisé » avec ses propres typicités. Actuellement, le prix public moyens de la bouteille de vin blanc produite dans le Médoc affiche 31,5 € (de 11 à plus de 300 €/col). Un autre fil rouge pour ce vin blanc.
* : L'idée d'une liste des variétés emblématiques de chaque vignoble français n'a pu se concrétiser, le groupe de travail sur l'évaluation des cépages estimant que c'était impossible. Ces experts préconisent cependant aux ODG « la nécessité de bien identifier les problématiques visant à être résolues par l’introduction de VIFA tout en permettant le maintien des caractéristiques de l’appellation, de bien préciser les arguments techniques recherchés (résistances au gel, à la sécheresse, aux maladies, productivité des variétés...) » et « le groupe souhaite également rappeler que l’on puisse s’assurer que les demandes ne sont pas guidées uniquement par des opportunités commerciales mais bien sur des considérations techniques ».
Comptant parmi les déclencheurs des récents mouvement au Conseil des Vins du Médoc (CVM*), le vigneron Rémy Fauchey, château l’Inclassable (Blaignan-Prignac), exprime sous les applaudissements le mal-être d’une partie des vins de Bordeaux : « Ça vaut le coup que les sans grades prennent la parole. Quand on dit que les chiffres ne sont pas bons, c’est un truc technique de bureaucratie. En tant que paysan, je dirai que dans le Bordelais beaucoup de vignerons vont disparaître. Dans six mois, s’il n’y a pas de mieux, je serai en cessation de paiement ». Pour le vin en vrac, « le négoce bordelais ne joue plus le jeu depuis 20 ans. Quand les crus classés ont des plus-values énormes à l’export, ils se sont engouffrés là-dedans : les deuxièmes vins, le Médoc des crus classés... » ajoute le vigneron, qui reproche aux instances bordelaises de ne pas avoir empêcher cette dégradation malgré leurs budgets.
Lui répondant, Claude Gaudin se place en soutien : « soyez convaincus que la conscience de la difficulté et des douleurs du moment elle est là pour le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), la Fédération des Grands Vins de Bordeaux (FGVB), le conseil d’administration de l’Organisation de Défense et de Gestion (ODG) et pour tout le monde. Le repenti, OK : on s’est trompés sur beaucoup de choses, surement. Le plus difficile aujourd’hui, c’est que l’on n’est pas capable de vous dire ce qui va se passer. On n’a que des choses un peu négatives. On ne peut pas vous dire faîtes le dos rond 12 mois, 15 mois, derrière ça va aller mieux. Aujourd’hui, on ne sait pas » Soulignant sa confiance dans les orientations politiques de l’ODG (notamment sur la promotion de la notoriété, avec un budget dédié de 480 000 €), le président de l’AOC estime qu’« il y aura un avenir pour certains. Combien, je ne sais pas. On ne peut rien promettre aujourd’hui. »
Expert comptable, Adrien Bossu rappelle aux opérateurs que des dispositions existent pour sécuriser l’activité des entreprises en difficultés économiques. « Avant d’être en cessation de paiement, placez-vous sous la protection du Tribunal de Commerce. Cela peut permettre de passer l’orage qui se déroule aujourd’hui et de voir venir. C’est une protection qui permet de ne pas avoir à rembourser ses emprunts pendant un petit moment » indique le commissaire aux comptes de l’ODG.
* : « Aujourd’hui il n’y a pas de pertes d’énergie » entre ODG, CVM et CIVB évacue Claude Gaudin lorsqu’il évoque le dossier de la démission soudaine du président du CVM, pointant qu’il faudra des concertations si, à l’avenir, le CVM veut davantage s’implique sur le marché français (en dehors du pavillon sur Bordeaux Fête le Vin et des portes ouvertes du Médoc). En attendant un conseil d’administration pour réélire le bureau du CVM, l’organisation a pour vice-présidents Claude Gaudin et Éric Miailhe (président de l’ODG Margaux).