isparu ce 25 mars à 97 ans au château Brane Cantenac (Margaux), Lucien Lurton aura marqué les vins de Bordeaux en général, et de sa rive gauche en particulier. « Avec lui, le Médoc perd un géant, l’un de ses plus fervents soutiens, un immense bâtisseur qui a su très tôt initier le renouveau bordelais dès les années soixante-soixante-dix » résume Jérôme Baudoin, le rédacteur en chef de la Revue du Vin de France, qui a annoncé cette disparition.
Enfant de l'Entre-deux-Mers, le fils de François Lurton (et frère d’André Lurton, bâtisseur de Pessac-Léognan) a hérité du château Brane Cantenac en 1954 (acheté par son père en 1925 avec Léonce Récapet, son grand-père maternel). Un grand cru classé en 1855 de Margaux dont il a fait son QG pour y ajouter 9 propriétés, de l’Entre-deux-Mers à Sauternes, avec les châteaux Durfort- Vivens (1961), Climens (1971), Villegeorge (1973), La Tour de Bessan, Haut-Nouchet, Camarsac (1974), Bouscaut (1979) et Desmirail (1980). Ayant passé la main à ses 11 enfants en 1992 (qui ont fondé le négoce Lucien Lurton en 1993, rebaptisé La Passion des Terroirs depuis 1999), a constitué un véritable vivier de grands vins. Et ce contre vents et marées.


« Quel talent ! Avoir tout perdu en 1956 avec le gel et se dire, comme il était ingénieur agronome, qu’il allait plier les ceps [selon la technique du pied couché] et qu’ils allaient repartir* » salue le grand-reporter Jean-Pierre Stahl, qui a réalisé une série télévisée pour France 3 sur la famille Lurton en 2014 et se souvient que Lucien Lurton « ne voulait pas être interviewé, c’était un taiseux qui ne voulait pas se mettre en avant. Il était à la retraite, mais toujours présent » sur les propriétés familiales.
« C’était un Monsieur discret, très aimable et très engagé, à la fidélité en amitié reconnue » salue Philippe Castéja, le président du conseil des Grands Crus Classés en 1855, une fonction qu’a occupé Lucien Lurton, qui est longtemps resté impliqué dans la vie syndicale du Médoc. « C’était un grand monsieur et c’est une grande page qui se tourne. C’est pour nous une grande tristesse d’apprendre cette nouvelle » témoigne Philippe Castéja.


« Je suis très admiratif. On a maintenant une vision dorée du Médoc : il a connu des périodes très difficiles. Ce n’était pas gagné à l’époque » ajoute Jean Merlaut, figure du Médoc (notamment propriétaire du château Gruaud Larose, cru classé de Saint-Julien-Beychevelle), qui souligne que « c’était très dur financièrement. Il fallait avoir la foi pour se lancer dedans. Le Médoc était pauvre quand il a commencé. C’était un connaisseur remarquable des terroirs du Médoc, ce qui lui a permis d’acheter des châteaux parmi les plus beaux. Il était l’un des premiers à comprendre que tout venait du sol. Qu’avoir un sol vivant et de qualité était essentiel. »
Conseillé par l’œnologue Émile Peynaud, Lucien Lurton voit ses efforts reconnus avec la réussite du millésime 1961. Il était également épaulé par l’agronome Henri Enjalbert, « précurseur bordelais en géographie et géologie viticole » précise un communiqué de la famille Lurton, rappelant également le soutien de son épouse : Marie-Jeanne Duvoisin. « Au fur et à mesure des années, toujours dans ses cartes et sur le terrain, cet amoureux du Médoc, son pays d’adoption, et de ses habitants, avait acquis une connaissance intime de ce terroir, plus sauvage que l’on croit, et dont il connaissait par cœur l’histoire agricole et le parcellaire, chaque sentier, chaque coin de forêt » ajoute sa famille, rappelant ses combats les gravières et pour la révision d’aire d’appellation (notamment à Margaux).
Les obsèques de Lucien Lurton se tiendront à l’église Saint-Didier-de-Cantenac ce vendredi 31 mars 2023 à 10 heures.
* : Comme le précise un communiqué de la famille Lurton, « ce lutteur décide de jouer le tout pour le tout et de réinvestir massivement dans l’outil de production à un moment où plus personne n’y croit. Il souscrit un énorme emprunt bancaire bonifié, et réintroduit des pratiques viticoles anciennes qui lui permettent de replanter tambour battant dès les années 1960. Et même dès 1956 en utilisant la technique du pied couché qui est une forme de marcottage plurielle. »
Lucien Lurton aura vécu 70 ans au château Brane Cantenac. Photo : archives de la famille Lurton.