éunie ce lundi 28 novembre à Planète Bordeaux, la centaine de vignerons préparant la manifestation du mardi 6 décembre prochain à Bordeaux ne tirait pas de plan sur un hypothétique vin de la comète, mais alertait sur les risques d’extinction par la chute d’une météorite bien réelle : l’impasse socio-économique de vignobles sans avenir. D’abord pratico-pratique*, la réunion organisée à Beychac-et-Caillau par le collectif des viticulteurs de Bordeaux n’a pas manqué de s’échauffer dès qu’il a été question de l’objectif affiché : « soutien à la viticulture, arrachage primé et plan social pour Bordeaux » résume Didier Cousiney, le porte-parole du collectif.
Encore confirmée récemment par le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, l’absence de perspectives pour un arrachage primé reste incompréhensible pour nombre de vignerons qui veulent des aides d’État, similaires à celles débloquées en début d’année pour la peste porcine (« plan de sauvetage » de 270 millions €). S’il n’y a pas d’argent magique, la filière girondine dégage 400 millions d’euros de TVA par an lance un vigneron participant à la réunion publique, notant qu’avec un arrachage de 15 000 hectares à 10 000 €/ha, « les 150 millions € ce n’est pas la moitié de ce qui est versé chaque année. Et l’état retrouverait assez vite ces fonds si les prix se retendent. »


L’alternative actuellement proposée par le gouvernement d’une aide à la reconversion des vignes via les Fonds Européens Agricoles au Développement Rural (FEADER) ne convainc pas. « Il ne faut pas croire qu’il suffit de mettre deux vaches sur un pré arraché pour s’inventer éleveur » rétorque un vigneron sous les applaudissements, expliquant avoir cessé son activité laitière faute de pouvoir mettre aux normes ses ateliers de vinification et de traite. Confirmant les limites de la diversification, Stéphane Gabard, le président du syndicat des vins d’appellation Bordeaux, souligne que cette aide « correspondra à peu d’exploitations. L’idéal, ce serait d’avoir une boîte à outils » pour répondre aux demandes des exploitants voulant réduire leurs surfaces, des vignerons souhaitant arrêter leur activité et des retraités récupérant des parcelles dont les fermages ne sont plus honorés.
« Depuis trois ans, on parle d’arrachage. Il ne faut pas dériver sur d’autres sujets. Il faut d’abord arracher » recadre un vigneron. « Il y a une urgence sociale et on nous demande de nous concentrer sur un sujet microscopique, celui des fonds FEADER » rebondit Dominique Techer, le porte-parole de la Confédération Paysanne de Gironde, notant que « rien n’existe dans les dispositifs à part les aides nationales. Il faut faire sortir le ministre de sa zone de confort. »


Évoquant « une douche froide » lors des derniers échanges avec le ministère, Jean-Samuel Eynard, le président de la Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FDSEA33) est catégorique : « il y a absolument besoin d’une manifestation de masse aujourd’hui. Sollicitez vos maires, les adjoints de vos communes, vos voisins… Même si vos voisins ont une entreprise qui fonctionne bien, il en reste quelques-unes et c’est heureux, il faut qu’il vienne : demain ça sera leur tour. »
Donnant rendez-vous à 9h30 à la place des Quinconces ce mardi 6 décembre, le collectif des viticulteurs appelle à la mobilisation de tous pour obtenir un rendez-vous à la préfecture de région avec la préfète, Fabienne Buccio, le président de la région, Alain Rousset, et le président du département, Jean-Luc Gleyze. Déclarée en préfecture, la manifestation annonce un millier de participants, mais espère en réunir bien plus. « La manif est sans drapeau. C’est le collectif des viticulteurs qui défile, avec les bio, les non-bio, les vignerons, les viticulteurs » annonce Didier Cousiney, qui tranche : « ceux qui ne sont pas au courant aujourd’hui ne veulent pas l’être ».
« Plus il y aura d’écharpes, plus ça portera au niveau de l’État » ajoute le vigneron Bastien Mercier, membre du collectif, qui souligne qu’actuellement les discours varient entre les interlocuteurs (département, Région, pouvoirs publics…) qui renvoient inévitablement les blocages sur les autres institutions : « c’est pour ça que nous voulons les réunir autour de la table. Ils ne pourront plus se lancer la patate chaude. Quant il y a la volonté de résoudre un problème, il y a forcément une solution. » En l’état, la filière se heurte à « un mur du non » rapporte le vigneron Michel Jacquin, qui a interpellé le ministre sur le sujet de l’arrachage lors du salon des Vignerons Indépendants à Paris.
Quand il n’y a pas d’accord de toute la filière française derrière une demande, « il est facile pour le ministre de dire non pour l’arrachage » examine Bernard Farges, le vice-président du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), qui semble toujours regretter la fin de non-recevoir apportée à la proposition girondine de financer son arrachage par les aides européennes de l’Organisation Commune du Marché vitivinicole (OCM vin). À Bordeaux « nous sommes toujours les seuls à dire et à penser qu’il faut prendre l’argent là où il est » pointe Bernard Farges, alors que, pour lui, « si l’on avait eu la volonté et que toute la viticulture dise au ministre de l’Agriculture que c’est ce qu’il nous faut car […] en 10 ans on a perdu 30 % de commercialisation de vins rouges en France. Pas que de Bordeaux. Il y a un vrai sujet de restructuration. Nous ne sommes pas dans le déni, certains le sont encore. Cette piste européenne ne sera pas explorée. Mais c’est facile à dire pour le ministre, ce serait surprenant qu’il dise le contraire puisqu’il n’y a pas une vraie volonté nationale. »


Soulevant l’urgence des situations individuelles, Patrick Vasseur, vigneron tout juste retraité, estime que « ce n’est pas à nous de chercher l’argent. Il faut éviter des suicides avec un plan social accompagné. » Gagnant en vivacité, les interventions deviennent des prises à partie : contre les prélèvements, avec l’idée d’une grève fiscale, contre le négoce, qui se contente de prix bas pour les Bordeaux et alimente ses lignes de conditionnements en vins d’Espagne…
« Il faut avoir un discours uni » reprend Didier Cousiney, qui souffle cependant le chaud et le froid en la matière, remerciant d’un côté le soutien de toutes les institutions viticoles à la manifestation, pour mieux donner un coup de griffe : « ce n’était pas à nous [collectif vigneron] de le faire, mais vous [institutionnels] auriez déjà dû le faire depuis longtemps ». Assez rares dans l’histoire bordelaise récente, les dernières manifestations vigneronnes remontent à décembre 2004 : pour demander le tonneau à 1 000 € se souvient Didier Cousiney.


« Et ça a marché ? » lui lance, mi-figue mi-raisin, un vigneron. « On l’a obtenu pendant quelques mois… On ne vendait pas cher le vin, mais à l’époque on le vendait. Aujourd’hui, même pas cher on ne le vend pas » soupire Didier Cousiney, annonçant des lendemains qui déchantent : « les six prochains mois vont être terribles. Il n’y a aucune visibilité à l’export et une forte déconsommation sur le marché français. C’est une catastrophe. » Comme l’impression de regarder une météorite s’approcher toujours plus près de la Planète Bordeaux.
* : De la mise en place de bus depuis l’Entre-deux-Mers à l’arrivée des tracteurs quai de la Souys, en passant par la gestion de la ventrèche pour le barbecue et l’approvisionnement en vin (l’apport de verre à vin est conseillé pour éviter les verres jetables).
La réunion publique se tenait ce lundi 28 novembre en fin de journée à Beychac-et-Caillau.