n paradoxe champenois : frappé du sceau du secret, l’outil de mesure en temps réel du gaz carbonique émis pendant la fermentation alcoolique des moûts est déployé sur toutes les cuves des champagnes Moët & Chandon (groupe LVMH). Cet outil permet un suivi fin, avec une mesure toutes les millisecondes du débit de CO2 explique Marc Brévot, le directeur du centre de recherche Robert-Jean de Vogüé à Oiry (Marne). Ayant demandé une dizaine d’années de développement avec l’expertise œnologique de l’école d’agronomie Montpellier Supagro (docteur Jean-Marie Sablayrolles) et les capteurs de Vivelys (groupe Oeneo), l’outil permet de mesurer finement la cinétique fermentaire et de la mettre à profit pour piloter automatiquement les vinifications (gestion de la température, ajout d'oxygène...).
« Le suivi du CO2 est bien plus informatif que de faire la densité, qui ne permet pas d’avoir une dynamique, ou de réaliser des analyses œnologiques, ne donnant que quelques points » indique Marc Brévot, qui pointe notamment l’intérêt de connaître le moment de dégagement maximal CO2 : « Vmax, le point de bascule entre la phase exponentielle de croissance [des levures] et la phase stationnaire » explique-t-il. Avec les données de ces capteurs et les typicités de chaque lot de raisin, Moët & Chandon a développé de véritables recettes de conduite de la fermentation alcoolique. Suivant une logique de « retro-engineering », les vinificateurs de Moët & Chandon pilotent la fermentation de chaque lot selon avec l’objectif d’obtenir un profil de produits finis répondant à la signature organoleptique maison indique Marc Brévot, notant qu’« on cherche le sur-mesure : chaque cuve est traitée différemment » grâce à des algorithmes de pilotage. La collecte et l’analyse des données des précédents millésimes permet d’adapter la stratégie de vinification à chaque cas particulier. Avec des données par exemple utiles cette année pour « affiner la stratégie de complémentation azotée au vu des conditions climatiques du millésime » rapporte Marc Brévot. Les conditions optimales de fermentation ont également été déterminées dans les recettes : turbidité, lipides, sulfitage précoce…
Pour le centre de recherche, l’enjeu est d’améliorer encore le système pour pouvoir le déployer sur de petits volumes de microvinifications. Ce qui permettrait d’utiliser l’outil sur des fûts et barriques. Un autre développement permettrait d’améliorer l’efficience énergétique des vinifications, en réduisant la consommation de froid pendant la fermentation alcoolique. « Un gros poste de consommation » glisse Marc Brévot, qui indique avoir « des idées derrière tête », mais n’en dira pas plus.
Enrichi des données de LVMH pour superviser des processus autres que la seule fermentation, cet outil spécifique reste interne au groupe du luxe. Avec Montpellier SupAgro, Vivelys a développé un outil similaire, Scalya, permettant d'optimiser les vinifications (consignes thermiques, ajout d'azote...) avec le suivi en temps réel la fermentation (par le biais de capteurs) ou la modélisation des cinétiques fermeentaires (avec des alogorithmes corrigés selon les relevés de densité) explique Laurent Fargeton, directeur du développement de Vivelys.