Il n’existe pas 36 façons de changer l’impact environnemental de la distillation : il faut travailler sur la flamme nue » pose Christophe Valtaud, le maître de chai des cognacs Martell (groupe Pernod-Ricard). L’expert des alambics ne parle pas en l’air, la maison réalisant depuis deux ans des essais pour trouver des solutions techniques permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre de la distillation sans en affecter le résultat qualitatif. Lancée par le Bureau National Interprofessionnel du Cognac (et sa section d’Organisme de Défense et de Gestion), la réflexion sur le verdissement de la chauffe nécessite d’envisager un procédé autre que le seul feu nu actuellement autorisé est saisie au bond par Martell, qui privilégie la piste d’une boucle vapeur externe.
« Cette approche existe déjà dans le whisky, mais il a fallu l'adapter aux spécificités des alambics charentais et aux types de vins à distiller. Le fait d'ajouter une boucle externe sur un alambic existant permet d'avoir une solution transposable sur n’importe quel alambic actuellement en place » indique Christophe Valtaud, dont l’objectif est de proposer une solution déployable avec un minimum de surcoût pour les opérateurs charentais, dont les 600 bouilleurs de cru partenaires de Martell.
Concrètement, le dispositif testé à la distillerie de Galienne utilise un générateur à vapeur électrique relié à un échangeur, positionné sur le côté d’un alambic de 25 hectolitres. « Nous branchons la boucle externe sur le point le plus bas de l’alambic, la gargousse (vanne de vidange). Une pompe met en circulation le liquide (vin ou brouillis), qui se charge en énergie lors de son passage à travers un échangeur. Puis ce même liquide est réinjecté en partie haute de la cucurbite. Le fait de travailler dans cette boucle en légère surpression nous permet de nous assurer que les phénomènes d'ébullition se déroulent exclusivement dans la cucurbite » explique le maître de chai.
D’après les premiers résultats de la commission de dégustation du BNIC, il n’y a pas de non-conformité dans les premiers lots distillés à la vapeur. « C’est dans le style de Cognac. Je n’avais pas de doute, comme le procédé ne modifie pas la chauffe. On respecte la courbe de chauffe et il y a les mêmes débits de chauffe » note Christophe Valtaud. Devant encore réaliser une campagne de distillation pour avoir des données statistiquement robustes, Martell pourra ensuite passer à la phase d’optimisation de la performance énergétique du dispositif.
Permettant d'imaginer une alternative de chauffe au gaz (voire au bois, dans de rares cas), le recours à un générateur de vapeur électrique pourrait permettre de réduire de manière significative les émissions de gaz à effets de serre de la filière indique le maître de chai, notant que dans le bilan carbone de la filière Cognac, plus de la moitié des énergies sont consommées lors de la distillation. Alors que des projets de loi prévoient de réduire à terme l’utilisation d’énergie fossile primaire, comme le gaz, la nécessité de trouver des alternatives énergétiques devient cruciale. Ce constat est partagé dans la filière charentaise, d’autres maisons s’engageant dans les essais enclenchés par Martell. Un autre alambic modifié va être installé chez un bouilleur de cru travaillant pour les maisons Hennessy (groupe LVMH) et Rémy Martin (groupe Rémy Cointreau), ce qui permettra de tester le système de chauffe avec d’autres modalités de distillation (avec des lies).
Suivi par l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), ce protocole pourrait aboutir à une modification du cahier des charges de l’AOC Cognac. Christophe Valtaud note que l’obligation de feu nu est inscrite depuis 1936 dans l’appellation pour interdire tout recours aux colonnes droites, et n’autoriser que l’alambic charentais double chauffe à repasse.