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Les chaudières refroidies par une distillation de crise encore nébuleuse
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Question de risque
Les chaudières refroidies par une distillation de crise encore nébuleuse

Si les distilleries commencent à signer des contrats d’engagement dans le vignoble, elles restent prudentes sur le lancement massif des distillations. Le risque est fort que le volume actuellement financé soit dépassé, notamment avec les demandes bordelaises, et qu’une réfaction des aides soit réalisée, pour l’ensemble des contrats.
Par Alexandre Abellan Le 08 juin 2020
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Les chaudières refroidies par une distillation de crise encore nébuleuse
A l'aveuglette en termes de volumes éligibles aux subventions nationales, les distilleries se montrent particulièrement prudentes ce début juin. - crédit photo : Alexandre Abellan (Archives 2017)
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aviguant à vue, les distilleries ne s’enflamment pas malgré l’intense activité qui s’annonce pour leurs chaudières. Officiellement ouverte depuis ce vendredi 5 juin, la campagne française de distillation des excédents de vins liés à la crise du coronavirus est loin de battre son plein, malgré un délai contraint (fin des distillations ce 15 septembre) et d’importants volumes attendus (2 millions hl d’après l’enveloppe budgétaire actuelle). Le véritable lancement de la distillation de crise devrait avoir lieu le 19 juin, quand FranceAgriMer aura aggloméré les demandes reçues et donnera le volume engagé dans la procédure nationale. Cette annonce donnant la visibilité sur les aides réellement disponibles pour chaque contrat, un stabilisateur de volume étant prévu en cas de dépassement des fonds actuellement prévus (ce budget pourrait être revu à la hausse par le gouvernement français, voire la Commission Européenne).

Alors que 3 à 3,5 millions d’hectolitres de vins seraient à distiller, selon les estimations des élus du vignoble, l’hypothèse d’une réfaction de 30 % pousse les 33 distillateurs agrées par FranceAgriMer à la prudence. Pour ne pas dire à l’attentisme face à l’imprécision des retours du terrain. « C’est très calme en pays nantais, mais ça s’énerve sur Vouvray, comme les contrats sont déjà envoyés par la fédération » rapporte Pascal Baron, le directeur des distilleries Baron (dans le Pays Nantais) et de Vouvray (Touraine). Signant ce lundi 8 juin ses premiers contrats, le distillateur se montre un brin fataliste : « on signe et après on verra, on n’en est qu’à la mise en place et on en saura plus le 19 juin. Aujourd’hui c’est trop frais. »

Simplification administrative

Alors que le gros des colonnes à distiller ne sera pas actif avant la fin du mois, les distillateurs se montrent optimistes dans leur capacité à distiller les vins et livrer les alcools avant la date butoir du 15 septembre prochain. « Je pense qu’à nous tous nous pourrons ingurgiter les 2 millions hl » avance Axel Tapissier, le directeur des distilleries Sud Languedoc (à Ornaison et Sigean). Sa confiance s’appuie notamment sur la simplification administrative de la mise en œuvre de cette campagne de crise : « cette procédure de distillation est plus simple que la dernière, de 2009. L’administration devait avoir plus de temps à l’époque pour nous demander plus de choses… L’essentiel est qu’aujourd’hui les contrats soient clairement définis, ainsi que les engagements entre distillerie, vigneron et FranceAgriMer. »

Si le cadre réglementaire a le mérite d’être clair, il n’en est pas de même sur le cap pris par cette distillation. « Le principal problème, c’est l’aléa dans la vision globale de cette campagne » pose Yoann Maillard, le directeur marketing du groupe Grap’Sud. Ayant réalisé un premier sondage auprès de ses 2 000 adhérents, la coopérative table sur 50 000 hl à distiller en Alsace et 300 000 hl dans le Midi (des Pyrénées Orientales au Var). « Certains opérateurs attendent de voir s’il faut aller vers la distillation ou rester sur le marché du vin face à la mobilisation des courtiers et négociants. Mais notre raison d’être reste d’être capable d’accueillir rapidement les volumes de nos adhérents » rapporte Yoann Maillard. Avec des équipes prêtes et des cuveries libérées, le groupe Grap’Sud se dit paré à traiter 60 à 72 000 hl de vins par semaine. « Nous avons toujours répondu aux besoins de la viticulture, nous serons à ses côtés pour répondre à l'ensemble des demandes alsaciennes. Il y aurait 50 à 70 000 hl qui pourraient être distillés, voire 100 000 hl » ajoute Erwin Brouard, le directeur exécutif de la distillerie Romann (filiale de Grap'Sud à Kaysersberg, dans le Haut-Rhin).

Tsunami bordelais

Alors que le vignoble bordelais s’annonce très demandeur de distillation, les distilleries de Gironde et des alentours sont également sur le pied de guerre. « Heureusement que l’on s’est préparé face à un système où l’on ne sait rien. Nous espérons arriver à signer les contrats et distiller dans les délais. Pour nous c’est un tsunami compliqué qui s’annonce dans le Bordelais. Il faut se mettre dans le sens de la vague » témoigne Bernard Douence, le président du groupe des distilleries Douence. Se préparant à une déferlante, le distillateur se prépare au doigt mouillé : « honnêtement, on ne saura pas les volumes avant le 19 juin. Nous commençons à recevoir des contrats la fin de semaine dernières. Certains viticulteurs viennent pour leur récolte entière… »

Amplifié par la crise du coronavirus, l’important surstock des vins de Bordeaux se fait ressentir au-delà de la Gironde. « Il y a peu de demandes dans les Charentes. Même excentrés, nous recevons des sollicitations significatives de Bergerac et de Loire. Mais nous sentons que le gros potentiel est sur Bordeaux » confirme Jean-Michel Naud, le président de la distillerie de la Tour (à Pons, en Charente-Maritime). Ne se disant pas surpris si la demande de distillation bordelaise dépasse les 700 000 hl au final, le distillateur a lui-même une capacité traitement de 200 à 250 000 hl.

Prudentes distillations

« Nous sommes très sollicités, nous sentons que les gens sont aux abois. Ils cherchent absolument à réaliser rapidement leur distillation, avant la récolte qui s’annonce abondante et précoce » note Jean-Michel Naud. Malgré cette pression vigneronne, « il va falloir faire des enlèvements partiels, pour les viticulteurs présentant de petits volumes ce sera plus compliqué, ils seront sans doute retirés en derniers, pour ne pas venir deux fois et éviter de surdistiller » explique le distillateur de Cognac.

Les autres distillateurs reconnaissent que les petits volumes ne pourront pas être distillés en priorité. Malgré le système  de pénalisation prévu pour éviter les surengagements, le risque de ne pas pouvoir subventionner tout un volume engagé à la distillation reste trop important. Affichant sa prudence dans le Midi, Axel Tapissier compte aller chercher au maximum 30 % des volume à distiller pour ses gros contrats afin de les distiller dès maintenant. Pour le reste, le directeur de Sud Languedoc estime qu’« il est urgent de ne pas se presser pour distiller. Je ne suis pas fort en spéculation. On entend tout et son contraire sur volumes. Je n’ai pas l’impression des retours de terrain qu’il y ait tant de volumes, à part le rafraîchissement de certaines caves. Mais à entendre fédérations, sera un déluge… »

Ouverture des vannes aux négociants

N’ayant pas sa langue dans sa poche, le distillateur méridional juge que « le problème, c’est l’ouverture des vannes de la distillation de crise aux négociants. Cette décision politique risque d’augmenter le volume de réfaction. Si l’on atteint 4 millions hl, la réfaction sera de 50 %, et les caves qui veulent faire de la place avant la vendange n’y arriveront pas, ce qui ne résoudra pas forcément le problème de la viticulture. » Demandé par le négoce, cet accès à la distillation de crise est une première qui peut chambouler un dispositif jusque-là calibré par la production. Au moins en termes de volumes, les cours étant un autre sujet, sensible.

En termes financiers, les distillateurs sont loin d’être entièrement satisfaits par leur enveloppe de 10 millions € pour 40 €/hl d’alcool pur. « Nos aides ne sont pas élevées. Avec 5 €/hl quand transport le monte à 2 €/hl, il est faux de croire que distillateurs vont se faire de l’argent pendant la crise » estime Bernard Douence à Bordeaux. « 5 €/hl, ça ne couvre pas tous nos frais, de distillation, d’administratifs, de dépollution, de traitement par rectification ou dénaturation…. » renchérit Jean-Michel Naud.

Pas de paiements anticipés

Le distillateur charentais anticipe d’ailleurs un problème de liquidité des distilleries pour régler les aides aux vignerons, FranceAgriMer demandant aux distilleries de centraliser les paiements aux producteurs (78 €/hl de vins AOP et IGP, 48 €/hl pour les vins de France). « En difficulté, les viticulteurs qui vont nous livrer cherchent à vider leurs cuves et avoir de la trésorerie. Mais ce sera aux distillateurs de les payer, sans avoir l’assurance d’un paiement rapide de FranceAgriMer, qui ne fait pas d’avance cette campagne » souligne Jean-Michel Naud, pour qui payer 78 €/hl sur d’importantes quantités va demander des trésoreries que les distilleries n’ont pas. « Nous ne pourrons pas anticiper les paiements aux viticulteurs avant que les aides de FranceAgriMer ne nous soient versées (entre le 15 et le 31 octobre). L'arrêté nous impose de payer les viticulteurs entre le 15 et le 30 novembre, nous ne pourrons le faire que dans la limite des versements de FranceAgriMer. Les distilleries ne sont qu'une boîte aux lettres pour le reversement » ajoute Erwin Brouard.

Au-delà des défis industriels et administratifs de cette distillation, les distilleries doivent veiller à ce que le surstock vinicole ne devienne pas surstock d’alcool. Réservés à des usages industriels non-alimentaires, les alcools obtenus vont faire face à des marchés difficiles. « Il est certain que si l’on distille 2 millions hl de vins, cela fait 220 000 hl d’alcool. Je ne suis pas sûr que tout partira en gel hydroalcoolique… Ce marché est trop petit par rapport à la grosseur des volumes attendus. Le marché le plus facile sera la biocarburation, les usages industriels en absorberont aussi » estime Axel Tapissier.

Peu de disponibilité de stockage

En cas de difficultés de commercialisation de ces alcools de vin, leur stockage a déjà été anticipé. En témoigne Yohan Lemaire, le directeur du site de stockage Foselev Logistique à Port-La-Nouvelle (Aude). Avec une capacité de stockage inox de 190 000 hl d’éthanol, l’industriel attend les premiers arrivages : « j’ai des réservations fermes et j’ai peu de disponibilités. Les demandes viennent de la France entière. Nous en avons même reçu de l’étranger (elles ont été déclinées). Cela témoigne d’une capacité de stockage inox limitée en France. »

Quel que soit le bout par lequel on prenne cette distillation de crise, la question des volumes y reste centrale.

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