a notion d’AOC est d’un vignoble l’autre assez élastique. La loi Evin ne sera plus le bouc émissaire des professionnels du vin. Ô stupeur, et comment donc, le meilleur vin blanc du monde n’est pas français et ne coûte que onze euros ?
Elasticité de l'AOCLa notion d’AOC est assez élastique, et comme femme, souvent varie. « Du Vouvray vendu comme simple vin de table. C'est le sort réservé aux dizaines de milliers de bouteilles de Jacky Blot et François Chidaine, deux grandes figures du Val de Loire. Leur vin a perdu l'appellation Vouvray car ils vinifient leurs raisins dans leur chai de Montlouis, de l'autre côté de la Loire », s’émeut France Bleu. « Piliers de l'appellation Montlouis-sur-Loire, Jacky Blot et François Chidaine sont en guerre contre le syndicat de Vouvray. Ils veulent continuer à vinifier leurs vouvrays à Montlouis, ce qui est interdit par le cahier des charges. Depuis 1938, Montlouis-sur-Loire est une AOC située juste en face de Vouvray, sur la rive sud de la Loire. Montlouis a construit sa réputation en particulier grâce aux vins de Jacky Blot (domaine de la Taille aux Loups) et de François Chidaine. Lesquels ont aussi des vignes en AOC Vouvray, dont ils vinifient les raisins à Montlouis», renchérit Ingrid Proust dans Vitisphere. Jean-Michel Pieaux, président du syndicat des vignerons de Vouvray, invoque le cahier des charges de l’appellation : « Jacky Blot avait obtenu de l'INAO une dérogation jusqu'aux vendanges 2013. Il y a un an, je lui ai notifié par écrit qu'il devait se mettre en conformité. François Chidaine a lui vinifié ses Vouvray dans l'aire de l'AOC jusqu'en 2012. Depuis il les vinifie à Montlouis. Tous deux savaient qu'ils allaient être contrôlés, comme tout opérateur. L'INAO leur a signifié ce manquement ». A quoi François Chidaine qui exploite 10 ha en Vouvray répond : « Le cahier des charges de Vouvray autorise la vinification à Nazelles-Négron, à 13 km de Vouvray, alors que Montlouis n'est qu'à 2 km à vol d'oiseau. J'estime que le syndicat a la volonté de nous nuire ». L’article de Vitisphere suscite des commentaires enflammés. Il y est beaucoup question de règles et de conformité, et pas du tout de réalité fonctionnelle. Imagine-t-on les Bourguignons de la Côte de Nuit vinifier dans l’appellation de leurs grands crus qu’ils ont plusieurs ? Pendant ce temps à Bordeaux, moins sourcilleux, « le Comité interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB) est favorable à une modification de la réglementation permettant l'introduction, à titre expérimental, de cépages étrangers aux Appellations d'origine contrôlée (AOC) pour faire face au réchauffement climatique ». C’est à lire dans Le Point. Droit dans ses bottes et sans un regard sur les pratiques viticoles, Bernard Farge y explique : « Nous vendangeons aujourd'hui en moyenne dix jours plus tôt que dans les années 80 et cette évolution va se poursuivre. (…) L’un des principaux cépages des vins de Bordeaux, le merlot, vendangé en premier, souffre particulièrement du changement climatique (…) L’expérimentation de l'acclimatation dans le vignoble bordelais de cépages hybrides sera menée notamment avec l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et devrait s'étaler sur huit années ». Et c’est ainsi que l’on peut continuer à chauffer la planète.
Loi EvinCe fut le débat parlementaire de la semaine, clos dans la nuit de mercredi à jeudi par un vote à l’Assemblée nationale. « En refusant de revenir sur un amendement adopté début mai au Sénat qui distingue information et publicité sur l’alcool, les députés ont modifié, jeudi 11 juin, la loi Evin, un texte qui encadre strictement depuis janvier 1991 la publicité sur les boissons alcoolisées en France », nous apprend Le Monde. La ministre de la santé, Marisol Touraine dénonce « un coup dur porté à la santé publique ». La proposition adoptée avait été adoptée par le sénateur (Les Républicains) de Gironde Gérard César. Ce qui fait écrire aux journalistes : « Le lobby du vin a une très large emprise locale et dépasse tous les clivages politiques ». Le dit lobby assure « qu’il est difficile d’évoquer le vin et l’« œnotourisme » dans la presse ». L’express évoque « le long combat des députés pro-vin ». « Dans ces débats, on ne parle pas d'alcool mais de produit culturel. On différencie les méchantes multinationales des petits vignobles qui font la France. On vilipende les mélanges d'alcool aux couleurs acidulées pour glorifier le grand cru. L'offensive de cette nuit ne s'est pas jouée sur le terrain de la santé publique mais sur celui de l'économie. Le cadre n'est plus la loi Santé de Marisol Touraine, mais la loi pour la croissance d'Emmanuel Macron », décrypte L’Express. Le journaliste extirpe deux perles versées au débat. Voici celle du député PS Denys Robiliard : « Au sujet des supposés risques de faire la promotion du vin: "Un exemple? Eh bien, prenons-le dans la peinture, avec les natures mortes de Cézanne. Que croyez-vous qu'il y ait, dans les bouteilles? De l'eau? Certainement pas! De l'absinthe ou du vin. Eh bien, les Cézanne, quand vous les exposez, n'êtes-vous pas en train de commettre un acte... Je tiens également à ce qu'on puisse, à l'avenir, relire Alcools d'Apollinaire sans craindre les foudres de la Cour de cassation ». Le Point qui a créé un site vin tenu par les émérites Jacques Dupont et Olivier Bompas se réjouit : « Loi Evin : le choix de la clarification ! ». Olivier Bompas cite Joël Forgeau, président de Vin & Société, association créée en 2004 et qui représente les 500 000 acteurs de la vigne et du vin : « Cette situation est un juste retour à l’esprit initial de la Loi Évin, poursuit Joël Forgeau , les parlementaires réaffirment le fondement même de leur mission - légiférer - et définissent un cadre légal clair pour les journalistes, les acteurs de l’oenotourisme, les milliers d’artistes et d’écrivains, les agences de communication et de publicité, les avocats, tous concernés par les conditions d’application de la Loi Évin. Ils adressent également un signal fort à toutes les régions viticoles dans lesquelles émergent des projets emblématiques soutenus par des fonds régionaux ou départementaux comme la Cité des civilisations et du vin à Bordeaux, la Cité des vins de Bourgogne à Beaune, la Cité de la gastronomie à Dijon. Ce sont des projets ambitieux qui contribuent à l’attractivité de nos territoires déjà visités annuellement par quelque 12 millions d’œnotouristes venus du monde entier ». En résumé, en distinguant la publicité de l’information, on serait revenu « à l’esprit initial de la loi Évin ». On attend maintenant François Hollande à Vinexpo.
Chauvinisme et clichésJusqu’où vont se nicher le chauvinisme et les clichés ? L’information ne réside pas tant dans les faits que dans leur interprétation. Voici les faits tels que relatés dans Le Point à la rubrique Société : « Le Concours mondial de Bruxelles, considéré par beaucoup comme le "Championnat du monde du vin", a couronné début mai un chenin blanc 2013 de la Réserve familiale de Kleine Zalze, un domaine situé aux portes de la capitale du vin sud-africain. Il est issu de vieilles vignes plantées dans la région de Stellenbosch, dans l'arrière-pays du Cap, sur un domaine historique qui ne fait pas pour autant partie des grands noms du vignoble sud-africain. Il a été choisi en Italie par 299 experts venus de 49 pays, qui ont goûté pendant trois jours plus de 8 000 vins venus de 45 pays. En 2014, le concours avait couronné un vin blanc portugais ». Mais voilà que la presse s’emballe sur le mode : « Le meilleur vin blanc du monde n’est pas français ! » (Le Point), « Le meilleur vin blanc du monde en 2015 n’est pas bourguignon, mais sud-africain » France 3, « Le meilleur vin blanc du monde ne coûte que 11 euros la bouteille », L’obs. L’Afrique s’enthousiasme : « Ce fut une surprise générale à Bruxelles. L’édition 2015 du concours international de vin dénommé « le championnat du monde du vin » a consacré un vin sud-africain », écrit Roger Adzafo sur le site Africa Top Success où l’on ne s’attend pas particulièrement à lire des nouvelles vinicoles ! L’hebdomadaire Jeune Afrique y va aussi de son couplet à la rubrique Economie, et pour le coup a rencontré le vigneron : « À Stellenbosch, le maître mot est « élégance » pour le vigneron Reginald (RJ) Botha. Pas de treilles majestueuses dans les vignes dont il a tiré son vin blanc récompensé à Bruxelles, mais des pieds taillés en gobelet (…) Répandue dans le midi de la France, en Espagne, au Portugal ou en Italie, cette façon de tailler la vigne concerne moins de 10 % du vignoble sud-africain. Les rendements y sont trois fois plus faibles qu’ailleurs, et les coûts salariaux plus élevés, car tout doit se faire à la main, remarque Reginald Botha. Mais cela vaut la peine: « Sur une treille, tous les raisins sont au même endroit et presque tous ont donc le même microclimat, tandis qu’avec une taille en gobelet, surtout sur ces vieilles vignes, une grappe est au soleil, une autre ne l’est pas, une autre est un peu plus proche du sol… Il y a tellement de microclimats différents dans chaque petit plant qu’ils apportent de la complexité, avec des saveurs différentes pour un seul pied. » « Cela donne un vin merveilleux », ajoute-t-il. Même, surtout la Chine s’en mêle : « Le meilleur vin blanc du monde n’est pas français », a l’air de se réjouir Le Quotidien du Peuple. Il n’y a que dans un certain regard posé sur la vigne que l’on peut rencontrer l’universalité.