Quand on a vu l’eau du bac de lavage, on aurait dit du Smecta tellement elle était trouble ! », s’exclame Denis Arquié, le régisseur des 25 ha du domaine La Rouviole à Siran, dans l’Hérault. En 2024, ce dernier a testé sur du carignan la présérie de la nouvelle laveuse de raisins Niagara de Socma.
Son principe est simple : les grappes sont convoyées sur une bande ajourée qui les achemine vers un tunnel de douchage. Seul prérequis : travailler en grappes entières.
« C’est le flux important d’eau qui entraîne les particules et les résidus », explique Laurent Chancholle, l’œnologue bordelais qui a conçu la laveuse avec Socma. Au milieu du tunnel, une petite marche du tapis provoque le retournement des grappes. « Cela permet de les laver des deux côtés », poursuit-il. Puis l’eau est récupérée dans un bac de 700 litres où elle est filtrée pour être recyclée aussi longtemps que possible.
« En plus de la poussière, on enlève beaucoup de matière végétale : capuchons floraux, débris de feuilles, insectes, baies millerandées… C’est un outil de tri supplémentaire », indique Laurent Chancholle.
Si Denis Arquié a testé cette laveuse, c’est pour éliminer la fine pellicule qui recouvre ses raisins bien qu’il arrête les traitements au cuivre et au soufre quarante jours avant la récolte. Ce vigneron, qui vinifie 90 % de ses rouges en biodynamie et donc en levures indigènes, n’avait qu’une seule crainte : « Que le lavage enlève des levures présentes sur les baies. »
Pour le savoir, il a séparé la vendange en deux lots – un témoin, l’autre lavé – qu’il a fait fermenter dans deux cuves différentes avec un résultat inattendu : « Les raisins lavés ont fermenté plus vite que ceux du témoin : la densité descendant plus vite et plus régulièrement. On a eu une meilleure cinétique de fermentation. Et coïncidence ou pas : les raisins non lavés ont eu du mal à finir les sucres. »
Au domaine La Rouviole, les raisins, une fois lavés, passent dans l’égreneur Le Cube puis dans la trémie vibrante Viniclean de Socma qui répartit les baies sur une ligne de tri manuel. Un circuit suffisant pour les égoutter, comme l’a montré la mesure du degré probable, identique dans les deux lots.
« Après la fermentation, je n’ai pas senti de différence flagrante entre les deux lots à la dégustation des vins. Mais depuis, le vin issu des raisins lavés paraît plus net, tout comme les lies. Au décuvage, il était également plus brillant. On va soutirer courant avril. Quand on voit tout ce qu’on a enlevé avec la laveuse, on peut espérer de nettes différences. » Prochaine étape avant un éventuel achat de l’équipement : des essais sur les blancs et les rosés « pour avoir moins de bourbes », espère-t-il.
Au Château La Négly à Fleury-d’Aude, dans le massif de la Clape, le lavage des raisins n’a rien de nouveau pour Claude Gros. Depuis plus de dix ans, l’œnologue de ce domaine passe chaque année 15 tonnes de roussanne et de bourboulenc sous… une laveuse de cagettes.
« Ces raisins viennent de 3 ha de parcelles sablo-limoneuses. Lors des traitements phytosanitaires, on projette du limon dans les grappes, ce que l’on ressent à la dégustation des moûts. Cela se dissipe avec la fermentation, mais ces blancs ont toujours manqué de netteté aromatique. Même après lavage, le résultat n’était pas extraordinaire », indique Claude Gros.
Depuis 2022, il teste la laveuse Niagara avec de bien meilleurs résultats. « Une fois les grappes lavées, nous les trions sur table. Les baies étant moins collantes, cette tâche est plus agréable pour les personnes qui s’en occupent. Puis nous les relogeons en cagettes dans la chambre froide en vue de les presser le lendemain. Durant ce laps de temps, l’eau s’évapore, ce qui évite toute dilution », détaille Claude Gros.
En 2023 et 2024, il réalise des analyses qui montrent que certains produits phytosanitaires (fluopyram, zoxamide, fluopicolide, acide phosphonique…) sont indétectables après le lavage des raisins. « Concernant le cuivre, il ne disparaît pas complètement, rapporte Claude Gros. Bien qu’on n’ait pas de forte pression de mildiou, on en avait de 2 à 3 mg/l dans nos moûts. En 2024, après lavage, cette teneur a baissé de 55 %, passant de 3,1 à 1,4 mg/l. »
Et dans la cuve, le résultat est sans appel : « On n’a plus de masque aromatique : les jus sont plus propres, plus nets et plus francs. Les bourbes sont plus qualitatives et plus faciles à filtrer. » Un gain suffisant pour franchir le pas. « On est en discussion avec Socma pour acquérir Niagara », indique-t-il. Reste à confirmer si cette étape supplémentaire dans la réception de la vendange fera des émules.
Après plusieurs années de mise au point, Socma commercialise sa laveuse Niagara aux alentours de 40 000 € HT. « Nous en avons déjà vendu une en Bourgogne et nous allons sans doute proposer une offre de location pour les prochaines vendanges », indique Rémi Ferrandez, directeur commercial de Socma. Autre acteur sur ce marché, AP3M propose deux modèles (3 t/h et 5 t/h) de sa table de lavage Œnoclean, respectivement à 25 000 et 40 000 € HT. Cette machine intègre un séchage et recycle également l’eau. « On la loue à partir de 900 € la journée », précise Christophe Pereira, dirigeant d’AP3M. Amos Industrie propose de son côté une table vibrante avec une rampe de lavage et une soufflerie en option, le tout à partir de 15 000 € HT. Ici, l’eau n’est pas recyclée.