’est la mauvaise surprise de ce début d’année. Le 29 décembre 2024, en pleine trêve des confiseurs, l’Europe plafonne à 30 g/hl la dose de gomme arabique que l’on peut ajouter aux vins. « J’ai été très surpris de découvrir cette réglementation début janvier car aucune information n’avait filtré auparavant. Or cette décision remet en cause nos pratiques. Avec les produits liquides dosés à 24 % de gomme que nous utilisons, nous sommes souvent à 25 cl/hl sur les vins rouges, soit 60 g/hl de gomme. Cette nouvelle règle nous limite donc à 13 cl/hl. Et on apprend ça au dernier moment, alors que les vins sont déjà prêts pour la mise et que la gomme arabique est le dernier recours pour les peaufiner », peste Valentin Ledys, technicien au Laboratoire d’Analyses du Groupe AEB.
Matthieu Rey, Å“nologue conseil au laboratoire d’Å“nologie Gauthier à Sauveterre de Guyenne, est tout aussi agacé. « Cette décision a été prise sans aucune concertation avec les professionnels. Le texte européen a repris la recommandation de l’OIV, qui est basée sur des études vieilles d’une dizaine d’années. Or avec le réchauffement climatique, les vins rouges sont plus riches en tanins et polyphénols. Certains cépages comme le petit verdot ou certaines pratiques Å“nologiques comme la thermo accentuent la concentration en matière colorante. On obtient des vins avec des IPT entre 80 et 100 dont on ne stabilise pas la couleur avec 30 g/hl. Et dans bien d’autres cas, il faudra choisir entre stabilisation de la matière colorante, faculté des gommes verek, et enrobage des tanins, que l’on obtient avec les gommes Seyal. Or le marché réclame des vins plus ronds et plus souples. Cette limitation va à contre-sens de cette tendance », déplore-t-il.
Chez les vignerons bordelais, la nouvelle passe tout aussi mal. Xavier Lumeau gère avec son père et sa sÅ“ur une propriété familiale de 150 ha de vigne à Sauveterre de Guyenne. Il produit 90 % de rouge, le reste en blanc. « J’élabore des vins concentrés et tanniques. J’utilise la gomme arabique quasiment systématiquement pour stabiliser la couleur de mes rouges. Sur notre 100% petit verdot, il nous en faut 40 g/hl. Le problème, c’est que nous n’avons pas de produit de remplacement aussi efficace et bon marché », s’inquiète-t-il.
Pour Julien Rivière, vigneron sur 30 ha à Saint-Martin-de-Sescas, se gratte la tête. « Je ne produis que des rouges, à base de merlot et cabernet sauvignon. J’extrais énormément pour avoir des vins riches et concentrés. Du coup, j’ajoutais entre 45 à 60 g/hl de différentes gommes, jusqu’ici, pour stabiliser la couleur et arrondir les tanins alors même que je pratique la micro-oxygénation avant malo pour arrondir les tanins. Je ne sais pas comment je vais faire pour stabiliser mes vins ».
En Languedoc, Nicolas Dutour, Å“nologue conseil au Laboratoire Dubernet, est moins inquiet. « Il nous est arrivé d’ajouter jusqu’à 40 g/hl mais jamais au-delà . Le plus souvent, on se situe entre 10 et 30 g/hl. Il faut d’ailleurs éviter le surdosage qui peut provoquer une remontée tannique. Il va falloir être vigilant avec les embouteilleurs à façon, car ce sont eux qui ajoutent la gomme ».
Jacques Trannoy, Å“nologue conseil basé à Carcassonne et spécialisé dans la préparation des mises en bouteille le rejoint. « Il y a 15 ans, j’ai fait une série d’essais avec 15 gommes à trois doses différentes. Avec certaines d’entre elles quelle que soit la dose, les vins traités étaient moins bons que le témoin. Depuis, je travaille sur les collages pour ne plus avoir à utiliser de gomme. Je n’en utilise que sur les vins jeunes. Et je n’atteins quasiment jamais la limite »
Même discours pour Guillaune Valli, directeur du centre Å“nologique ICV de la Vallée du Rhône. « Nous utilisons la gomme arabique à faible dose, essentiellement pour gommer les sensations tanniques. Suite à l’obligation d’étiquetage des ingrédients, nos clients nous ont demandé de réfléchir à des alternatives. Nous avons obtenu de très bons résultats avec des autolysats de levures à libération rapide qu’on l’utilise à 10 g/hl, ce qui revient à 0,40 €/hl. On a également réfléchi à tous les leviers à mettre en Å“uvre pour tamponner la masse tannique : de la date de récolte au pilotage des macérations, en passant par l’utilisation de l’oxygène et des lies. Il y a des solutions pour limiter l’usage de la gomme arabique, mais elles nécessitent de l’anticipation ».
Pourquoi plafonner à 30 g/hl l’ajout de gomme arabique dans les vins alors que ce produit est largement utilisé dans l’agroalimentaire et sans danger pour la santé ? C’est la question que de nombreux professionnels se posent. « Jusqu’alors, ce plafond était une recommandation de l’OIV (Organisation Internationale de la Vigne et du Vin commente Stéphane La Guerche, directeur général d’Oenoppia, l’association des producteurs de produits Å“nologiques. L’Europe s’est s’alignée sur cette recommandation comme elle le fait pour toutes les pratiques Å“nologiques. Dans sa résolution, l’OIV explique que cette limite vise à « préserver l’authenticité et l’identité des produits vitivinicoles ». En clair, c’est l’utilisation des gommes enrobantes qui est visée. « La gomme arabique n’est autorisée que pour la stabilisation de la couleur. Mais dans les faits, les gommes type seyal servent à arrondir les tanins, poursuit Stéphane La Guerche qui reconnaît que les experts n’ont sans doute pas perçu l’impact de l’instauration d’un plafond.