aute d’accord de paix ce début juin, la plainte d’avril dernier du négociant Castel Frères exigeant 100 528 euros de réparation aux deux syndicats agricoles (FDSEA et JA) et au collectif Viti 33 ayant manifesté devant son siège de Blanquefort en février poursuit sa vie au tribunal judiciaire de Bordeaux et redevient médiatique avec la publication d’un communiqué de presse ce 10 juin. « Si la plainte n'est pas retirée, le procès aura lieu et nous en ferons une tribune pour dénoncer l'abus de position dominante, l'exploitation de tout un territoire et de ses acteurs principaux » annonce le collectif Viti 33. L’association explique sortir de son silence après avoir « laissé le temps à la diplomatie et à la raison de s'exprimer » lors de négociations suivies par le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) et aboutissant sur un ultime bras de fer avec Castel (400 millions de bouteilles vendues/an pour 720 millions d’euros de chiffre d’affaires dans le monde).
« Nous étions prêts à signer un communiqué stipulant qu'il était dommageable à l'image de Bordeaux que les familles composant la filière se cherchent querelles. Mais la formule retenue sans appel fut : "toute atteinte à l'image des négociants entraîne par là même une dégradation de l'image de Bordeaux". Nous pensons que de manifester un désaccord doit rester un droit inaliénable. Nous pensons que le Négoce, Tout Castel qu'il est, ne doit pas être plus protégé que la production » détaille le collectif, expliquant ainsi l’impasse des négociations. Castel ne souhaitant pas communiquer, sa version de l’affaire n’est connue que par des échos de négociants évoquant des syndicats agricoles n’étant pas fiables, validant un texte pour le dédire après et proposer une nouvelle rédaction.


« Si l'entreprise Castel n'avait pas été aussi arrogante, elle en serait sortie grandie » tranche pour sa part le collectif Viti 33, estimant que son action en justice est infondée dans la forme : « ce blocage était à l'initiative de la FDSEA33 et des CDJA33. […] Nous, collectif, n'étions pas organisateurs, n'avons rien dégradé et appelé à aucune dégradation. Notre président en la personne de Didier Cousiney présent sur la voie publique s'est même vu assigné personnellement. » Dans la forme, certes « parfois, il y a eu des épandages malheureux de fumier, de plastiques ou de pneus comme dans tout mouvement de foules. Ces débordements sont aussi habituels qu'inutiles et nous les regrettons » indique le communiqué du collectif Viti 33, rappelant qu’« autant de mouvements en Gironde est extrêmement rare. Nous sommes des terres bourgeoises où les paysans et ouvriers habituellement souffrent en silence. »
Dans le fond, le collectif note que l’action de Blanquefort s’inscrivait dans les manifestations agricoles du début d’année qui « ne furent que l'expression désorganisée d'une confrontation nécessaire, mais jusque-là impossible ». Et qui aboutirent pour le vignoble bordelais à « une réunion dite "historique" le 8 avril dernier avec pour la première fois l'ensemble de la production, des négociants et même de la grande distribution sous la présidence du préfet de région, Étienne Guyot. Le but étant de travailler enfin ensemble et non plus en contre des uns et des autres. » Se référant aux principes de Responsabilité Sociétale des Entreprise (RSE) revendiquées par Castel*, le collectif estime que la « notion de respect [des fournisseurs] ne peut s'arranger de pratiques de prédation de cette multinationale à l'encontre de la petite viticulture en proposant des prix inférieurs de 50 % aux coûts de production ».


Dans sa lettre ouverte, Castel déclarait pour sa part avoir « décidé de maintenir notre choix de pratiques tarifaires qui valorisent les vins de Bordeaux, envers les viticulteurs, même si, nous le reconnaissons, cela reste lié à un contexte marché très difficile. Un choix qui, aujourd’hui, n’a pas été remis en question par nos partenaires. » Le premier négociant français annonçait « également le choix de nous retirer provisoirement de toutes les institutions de la filière des vins de Bordeaux, afin de faire entendre notre voix et notre colère ! Au-delà des viticulteurs, chaque membre de la filière, et tout particulièrement nos institutions, porte également une part de responsabilité dans l’image des Vins de Bordeaux et doit participer activement à la réhabilitation de l’image du Négoce. »
Mais « Castel n'a pas besoin de nous pour dégrader son image avec les multiples affaires déjà énoncées dans la presse » rétorque le Collectif Viti 33, en référence à l’enquête pour complicité de crimes contre l’humanité en Centrafique et aux anciennes procédures avec le fisc suisse.
* : Dans le rapport RSE 2023 du négoce, Philippe et Alain Castel, PDG et directeur général de Castel Frère, déclarent que « sur le plan économique, environnemental, social et sociétal, ensemble, avec nos équipes et nos partenaires, nous nous efforçons chaque jour de piloter et ajuster un développement qui soit à la fois pérenne, durable et profitable à tous. Avec pragmatisme, détermination et efficacité. »