Daignez demander grâce, et tout est pardonné » écrivait Voltaire dans la pièce l'Orphelin de la Chine. Discrètement, une conciliation chaperonnée par l’interprofession bordelaise (CVIB) a tenté de désamorcer l’attaque en justice du négociant Castel Frères (400 millions de bouteilles vendues/an pour 720 millions d’euros de chiffre d’affaires dans le monde) pour réclamer 100 528 euros de réparation aux trois organisations ayant manifesté devant son siège de Blanquefort ce 28 février. Faute d’accord partagé par les parties, la conciliation n’aurait pas abouti et la procédure judiciaire se poursuit désormais : avec une première conférence virtuelle ce mardi 4 juin devant la sixième chambre civile du tribunal judiciaire de Bordeaux.
Premier négoce de France et d’Europe d’après sa communication, Castel Frères assigne en justice la Fédération des Syndicats d’Exploitants Agricoles de Gironde (FDSEA 33), les Jeunes Agriculteurs de Gironde (JA 33) et le collectif Viti 33 (via son porte-parole Didier Cousiney). Si FDSEA 33 et JA 33 ne souhaitent pas communiquer à date, le collectif Viti 33 semble retrouver sa liberté de parole… Et compte en user alors que les plaidoiries sur ce dossier ne sont pas attendues avant la fin 2024 ou le début 2025. Après le temps de la diplomatie, voici venu celui des explications pour le collectif Viti 33. « Il y a eu six propositions de protocoles qui ont abouti au refus de la dernière version par Castel ce lundi 3 juin » rapporte Renaud Jean, membre du collectif Viti 33, qui indique que le blocage vient d’une phrase engageant les signataires à ne plus attaquer publiquement le négoce comme cela nuit à l’image de tout Bordeaux. Après un premier accord de toutes les parties, un syndicat agricole aurait fait volte-face, aboutissant à la proposition par les représentants du vignoble d'une rédaction protégeant équitablement les familles de la production et du négoce dans cette rédaction. Mais cela aurait abouti à une impasse.
Dans la production, « nous étions d’accord pour dire que les deux familles ne doivent pas s’attaquer mutuellement, mais il n’est pas question que les négociants aient un traité d’impunité : ils ne valent pas moins et pas mieux que le vignoble » développe Renaud Jean, maintenant la demande d’équité : « il suffisait d’une petite phrase pour retirer la plainte. Si Castel ne le signe pas, c’est que ce n’est pas un détail. » Se sentant désormais libre dans sa communication, le collectif s’attaque aux modalités judiciaires du dossier en demandant que son président/porte-parole ne soit pas attaqué directement (le collectif étant constitué en association loi 1901) et qu’il soit reconnu qu’il n’a pas organisé la manifestation poursuivie (des membres s’y greffant).


Alors que le dossier va s’inscrire dans le temps de la Justice, « Castel à fait une énorme erreur stratégique. Ils sont à l’envers de l’Histoire. Toutes les mobilisations du début d’année ont permis d’organiser la réunion du 8 avril (entre grande distribution et CIVB), ont permis de mettre le sujet des coûts de production, de l’organisation de producteurs et d’Egalim sur la table. Ce sont de vraies avancées obtenues dans la rue… » Si de prochaines mobilisations ne sont pas envisageables à court terme avec l’emballement du millésime dans le vignoble, le collectif n’écarte pas la possibilité de relancer les actions.
Contacté, Castel n’a pas donné suite aux sollicitations de Vitisphere, mais sa lettre ouverte témoignait d’un dépit et d’un ressentiment : « est-ce que cette minorité de viticulteurs irrespectueux et virulents que nous avons vu à l’œuvre, et qui, nous l’affirmons, ont causé des dégradations et préjudices, sont les porte-paroles de toute la viticulture aujourd’hui ? Nous ne le pensons pas, et nous rejetons fermement ces comportements extrêmes qui ne sont pas dignes de notre grande famille viticole, qui a uni jusque-là vignerons et négociants. » Faute d’accord, la filière bordelaise ne va pas pouvoir passer à autre chose tout de suite. Si « pardonner à demi, c'est ne pardonner pas » écrivait Mairet dans Mort de ChrispeI, pas sûr qu’un jugement parvienne plus à gommer les divisions qu’une négociation infructueuse.