ans le commerce, il faut connaître à fond les forces et les faiblesses de ses produits pour réussir à bien les vendre. Quitte à tirer des constats désagréables, mais nécessaires pour se repositionner et regagner des marchés : « la marque Bordeaux est très forte internationalement, mais elle a le défaut d’être monolithique, alors que les instants de consommation sont pluriels » pose Xavier Migeot, le directeur général de la maison A. de Luze (propriété de la famille Castéja). Le négociant en veut pour exemple la tendance du no-low, qui se définit par l’absence de profil type dans ses consommateurs : il n’y a pas un acheteur exclusif, mais évolutif selon les jours, les humeurs, les envies…
Face au « monolithe puissant » du vin de Bordeaux, « je suis convaincu qu’il faut apporter des aspérités » en diversifiant les produits et donc les instants de consommation martèle Xavier Migeot. Car « si l’on mise tous sur l’ouverture de bouteilles de Bordeaux le dimanche midi pour belle-maman, on est tous morts. Il faut répondre aux attentes du consommateur » développe le négociant d’origine bourguignonne, l’illustrant par l’abandon de la mention « élevé en barriques » sur les étiquettes, cette précision n’étant pas vendeuse. Au contraire même, l’étude du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) sur le profil des vins bordelais indique que les consommateurs n’aiment pas entendre de vins boisés, même si ce sont des profils qu’ils apprécient au final…
Répétant que « Bordeaux est un monolithe puissant », Xavier Migeot souligne que c’est aux opérateurs girondins de le doter de points d’accroche pour dégager de nouvelles approches de consommation. Alors que les relations entre viticulture et négoce sont tendues, « nous sommes tous dans le même bateau. Il faut adapter l’offre du vignoble et du négoce. On ne peut pas produire un seul type de Bordeaux » désamorce le négociant, indiquant que sur un même domaine il faudra avoir des vins rouges classiques, des vins rouges plus légers à boire frais (y compris avec les travaux actuels sur les clairets), des vins de cépages, des rosés répondant aux attentes, des vins blancs, des crémants… Et alors qu’« il y a des AOP à vil prix pour tout le monde (personne ne gagne sa vie avec, dans le négoce et la viticulture) pourquoi pas arrêter de tout mettre en AOP Bordeaux pour redonner de la profondeur de gamme » avec des IGP Pays de l’Atlantique et/ou des vins de France (donnant plus de latitudes sur la sucrosité, les cépages…). « Il faut se donner la capacité de se diversifier. Demain on ne proposera pas le Bordeaux, mais les Bordeaux » pointe ce fan de la dernière campagne de communication du CIVB, qui « permet casser les codes et se rapprocher du consommateur ».
Mettant en application ses conseils, la maison A. de Luze vient de commercialiser ce printemps 6 000 bouteilles d’un bordeaux rouge bio plus rond et frais dans son style organoleptique, et encore plus modernisé dans son packaging : une étiquette dans le style d’un tarot (par l’illustratrice Alice Bottiglieri) avec un nom cryptique (88-89, en référence à l’adresse historique du négociant sur les quais de Bacalan), une bouteille réemployée (via EcoInPack en Charente), un bouchon marqué à chaud (et pas à l’encre), l’absence de capsule… Et d’autres tirages sont prévus, y compris en blanc pour continuer de décloisonner et d’actionner les leviers de différenciation avec cette cuvée programmatique. De quoi donner du travail au négoce, représenté par de besogneuses fourmi sur l’étiquette. Réfutant l’idée de cigales négociantes faisant leur beurre sur les fourmis vigneronnes, Xavier Migeot fait état d’un négoce au travail : « je suis confiant, ça va finir par fonctionner. Mais le timing est court pour les vignerons qui sont dans le dur immédiatement ».
Se définissant comme un opérateur conséquent, mais modeste, la maison A. de Luze réalise un chiffre d'affaires de 45 millions € (dont 40 % pour les grands crus).