our élaborer un vin apte à détrôner de grands crus, le diable est dans les détails. Pouvez-vous expliquer certains principes que vous mettez en œuvre ?
Marcus Notaro : Je ne saurais trop insister sur le fait que mon équipe et moi-même cultivons et vinifions nos vins en fonction de chaque saison. Il faut être en mesure de réagir à ce que Dame Nature nous donne à chaque moment de l'année, qu'il s'agisse de la taille ou des couverts végétaux, par exemple. Actuellement, nous nous focalisons sur notre manière de gérer ces couverts végétaux, en termes de labour, en fonction de l'humidité dont nous disposons. Ce que nous recherchons, notamment pour le cabernet-sauvignon, ce sont des raisins à la maturité homogène, mais pas en sur-maturité, et la façon dont nous y parvenons change légèrement chaque année. A titre d’exemple, nous avons récemment arraché un hectare de cabernet-sauvignon du vignoble FAY pour augmenter notre capacité de stockage d'eau. Cela doit nous permettre, en cas de fortes chaleurs, de disposer de suffisamment d’eau pour continuer à irriguer les vignes en septembre et éviter que les raisins ne flétrissent d'un côté du couvert.
Vous avez récemment développé une nouvelle parcelle de 5 hectares. Quelle a été votre philosophie ?
Sur ces 5 hectares, nous avons mis l’accent sur l'orientation des rangs : il ne s'agit pas d'une plantation nord-sud ou est-ouest. Nous avons regardé là où se trouve le soleil pendant les deux premières semaines de septembre, entre les heures les plus chaudes de la journée, c'est-à-dire entre 13 et 17 heures, et nous avons ensuite orienté les vignobles de manière à ce que le soleil se positionne juste au-dessus. De même, avec le palissage, au lieu d'un positionnement vertical droit des sarments, nous avons compris que pour gérer les grosses chaleurs, il est préférable d'avoir un couvert un peu plus ouvert. Nous avons donc installé un petit palissage en V pour que la lumière du soleil soit un peu plus diffuse et uniforme. Nous avons également introduit un nouveau clone que nous apprécions et qui fonctionne bien – le clone N° 2 – ainsi qu'un nouveau clone 169, et des pieds de cabernet franc. A mon sens, il s’agit d’un cépage formidable qui complétera à merveille nos vins.
Vos vins flirtent souvent avec les 15 % d’alcool. Envisagez-vous de modifier votre encépagement et vos pratiques pour abaisser ce niveau ?
Pour notre cabernet-sauvignon signé FAY, nous avons commencé à planter du cabernet franc en 2014. Ce cépage apporte un peu de parfum et d'arômes floraux à l'assemblage, ce qui était notre objectif. En ce qui concerne les teneurs en alcool, je pense qu'au-delà de 15 %, on commence à perdre en complexité. Mais que nos vins titrent 14,2 ou 14,8 %, cela m’importe peu. Je veux que les raisins soient mûrs, mais pas trop, lorsqu'ils sont récoltés, et je pense que la décision doit être fondée sur la dégustation. Effectivement, en cas d’année chaude, nos vins peuvent atteindre 15% d’alcool, mais surtout je recherche la complexité, une multitude de saveurs différentes qui intriguent les gens et les incitent à déguster nos vins.
Le profil de vos vins a-t-il évolué au cours des derniers 10-15 ans en raison du changement climatique ?
Cette période n’est pas suffisamment longue pour l’évaluer. Depuis mon arrivée sur la propriété nous avons connu des millésimes très classiques, frais, comme le 2021 et le 2023, puis le 2022 qui était très chaud. En 2020 et 2017, nous avons observé de grosses vagues de chaleur. Il est donc difficile d’identifier une véritable tendance. En revanche, j’aime bien discuter avec ceux qui pratiquent l’agriculture dans la Napa Valley depuis des décennies et ils évoquent deux points qui me semblent significatifs. Le premier, c’est qu’il y a beaucoup plus de vent, notamment au printemps, et cela peut avoir un impact. C’était le cas en 2021 et 2023 : lorsqu’on subit une météorologie complètement anarchique pendant la floraison, on peut se retrouver avec une nouaison plus hétérogène, une petite baisse des rendements et potentiellement, un peu plus d’irrégularité au niveau des grappes. Le deuxième point, c’est que les hivers sont moins froids, même si les deux derniers hivers n’en sont pas un bon exemple. Lorsqu’il fait moins froid l’hiver, cela peut entraîner plus de problèmes de maladies et de ravageurs. Nous avons dû arracher et replanter des parcelles de chardonnay et de sauvignon blanc à cause de la maladie de Pierce sur le domaine. Est-ce dû au changement climatique, ou bien à la proximité de la rivière, lieu fréquenté par les cicadelles ?
La cuvée SLV Cabernet-Sauvignon 1973 de Stag’s Leap Wine Cellars a triomphé contre certains grands crus français lors du fameux Jugement de Paris. Selon vous, la Napa Valley a-t-elle réussi à tirer parti de cette victoire ?
En 1976, j'étais assez jeune, je regardais encore des dessins animés à la télévision ! Dans les années 1970, il se produisait toute sorte de vin dans la Napa Valley, de l’alicante bouschet au riesling en passant par le gewurtztraminer, par exemple. À l'époque, la région sortait tout juste de la Prohibition, c'était donc une période de découverte. Des vins étaient élaborés, mais il n'y avait pas forcément d'identité. Hormis le prestige qu'il a conféré aux maisons elles-mêmes, le Jugement de Paris a permis de démontrer ce que pouvait être l'identité de la Napa Valley. Il a montré que nous pouvions élaborer des chardonnays et des cabernets-sauvignons d’envergure mondiale. Cette dégustation a donné confiance aux chefs de culture, confirmant leurs orientations en matière de pratiques culturales. D’une certaine façon, on a brisé "un plafond de verre". La dégustation a montré que nous pouvions réussir, qu'il était possible de produire de grands vins dans d'autres régions du monde. En dehors de la Californie, elle a eu une influence sur d'autres régions, très certainement en Italie et en Espagne. Nous savons tous que de grands vins sont élaborés en Bourgogne et à Bordeaux, mais ils proviennent également d'autres parties du monde.
Enfin, beaucoup de producteurs américains balayent le concept de terroir, estimant qu’il s’agit d’une logique européenne/française infondée. Quel est votre opinion ?
Je dirais que le terroir est très important. L'un des aspects passionnants de la production de vin dans la Napa Valley, c’est la diversité de terroirs, à commencer par les vignes de cette propriété. A mon arrivée, j’ai commencé par faire une dégustation verticale de quelques vieux millésimes de FAY et SLV pour comprendre les différentes parcelles. Les deux sont typés Stag's Leap, mais ont leur personnalité propre car nous avons deux types de sol différents. Le vignoble SLV se caractérise par des sols à l’érosion plus récente, tandis que ceux de FAY sont plus anciens. Leur aspect et leur texture diffèrent également. Tout ce qui influe sur la manière dont les raisins se développent va forcément avoir un impact sur leur saveur, et l’alliance des différents composants donne des arômes et une texture distincts. Mon approche est très peu interventionniste – je préfère aller goûter à la cuve. Pendant la vinification, on voit bien les différentes personnalités et le terroir dans les vins. C'est le cas dans d'autres domaines de la Napa Valley. Le cabernet de montagne ne goûte pas de la même façon qu’un cabernet de plaine, car le sol y est plus volcanique, il y a plus de soleil parce qu'on est au-dessus du brouillard, il fait moins chaud, et ainsi de suite. Tout cela se retrouve dans le vin et il est important de conserver cette typicité lors de la vinification. Si l'on ramasse les raisins en sur-maturité ou à des rendements trop élevés, par exemple, on risque de perdre l’effet terroir. Les meilleurs vins sont ceux où l’œnologue et le chef de culture s'adaptent au terroir pour l'exprimer.