024, l’année de la désalcoolisation pour la filière vin ? Les projets et investissements se multiplient dans le vignoble, entre les opérateurs cherchant d’urgence à se diversifier pour trouver de nouveaux débouchés et ceux voulant tester une innovation répondant à de nouvelles demandes sociétales. Appartenant à la deuxième catégorie, le château Edmus (1,7 hectare de vignes en AOC Saint-Émilion Grand Cru et en biodynamie) lance cet hiver sa cuvée : Zero by Edmus. « Je n’ai pas de problème de vente ou de stocks d’invendus » précise Laurent David, à la tête du château Edmus, indiquant que son « intention est d’offrir l’expérience d’un grand vin à ceux qui ne peuvent pas boire d’alcool » pour diverses raisons (flexibuveurs, religions, sportifs, femmes enceintes, respect des limites d’alcoolémie au volant…). « Nous, vignerons, devons répondre à la demande du sans alcool » affirme Laurent David, qui a validé le projet avec ses allocataires et a mené 60 essais avec le cabinet de conseil Derenoncourt et l’agence de développement de boissons désalcooliséesB&S Tech.
« Nous avons opté pour l’osmose inverse qui permet de conserver un maximum d’arômes » rapporte Laurent David, faisant état d’une « osmose douce » pendant 3 jours avec de petits volumes pour tomber à 0,2°.alc. « Le procédé de filtration membranaire prend du temps. Normalement, il est utilisé pour descendre de quelques degrés d’alcool, on l’a ici adapté pour descendre à 0,5°.alc » pointe Stéphane Brière, le PDG de B&S Tech (qui a lancé 10 nouveaux produits en 2023 seulement). Membre de la WineTech (présidée par Laurent David), Stéphane Brière note que chaque travail de désalcoolisation doit se faire sur mesure pour s’adapter au cas par cas de la matière première. Ici une vin d’appellation : « en général, les vins utilisés pour la désalcoolisation sont des vins sans Indication Géographique ou un IGP, plus rarement des AOP (comme il n’y a pas de désalcoolisation pour les AOP, mais aussi les IGP). »


Après la désalcoolisation, « il faut retravailler le vin pour le rééquilibrer » indique Laurent David, qui a ajouté du moût de 2023 (pour le fruit et la sucrosité : 1,8 g/l au final) et de la gomme arabique (pour le toucher de bouche). « Le process est complexe, il nécessite des outils [technologiques inhabituels en œnologie] et la prise en compte des conséquences du retrait de l’alcool » souligne Julien Lavenu, le responsable du pôle technique de Derenoncourt Consultants. « Désalcooliser cause une modification fondamentale. Comme un instrument désaccordé, il faut tout rééquilibrer. Surtout sur un vin rouge : la réduction de l’alcool fait ressortir l’acidité et les tanins » pointe l’œnologue, qui relève le paradoxe d’un vin sans alcool, mais pas sans intrant (pour rééquilibrer le profil organoleptique, mais aussi veiller à la stabilité microbiologique).
Ayant dégusté des vins désalcoolisés se trouvant dans le commerce, Julien Lavenu rapporte que « beaucoup de vins désalcoolisés sont à défaut. Je ne sais pas si cela vient d’un manque de maîtrise de la désalcoolisation et de l’instabilité des produits, ou si le vin de base était à défaut et a tenté la désalcoolisation pour être vendu » esquisse Julien Lavenu, pour qui « il faut penser le vin sans alcool dès le vignoble pour réussir la désalcoolisation. Il faut anticiper pour avoir le moins d’intervention : peu extraire, conserver du sucre dans le vin pour moins ajouter de sucres… »
Avec 1 200 bouteilles pour cette première production, le ballon d’essai Zero by Edmus représente le cinquième de la production 2022 de la propriété (6 000 bouteilles/an). Affichant un prix de vente au consommateur de 45 €, ce vin désalcoolisé est dans la gamme de prix du vin conventionnel (45 à 50 €). Recevant de premiers retours positifs de clients, Laurent David indique que de nouveaux acheteurs l’ont contacté pour tester et commander ce vin désalcoolisés. Ne pouvant utiliser le label bio (le cadre du vin désalcoolisé étant encore à affiner pour le conventionnel) ou l’appellation Saint-Émilion (conformément à la réglementation actuellement en vigueur). « Nous sommes en avance. L’AOC va prendre son temps, mais si le niveau qualitatif est là, on pourra se poser la question » avance le propriétaire du château Edmus.
En cette période Dry January, Laurent David réplique qu’il n’est « pas pour ou contre l’alcool, je fais du vin. Peut-être qu’à l’avenir la désalcoolisation sera une nouvelle étape de vinification, comme la fermentation malolactique ou l’élevage dans 10 à 20 ans. Il ne faut pas être dogmatique. »