Jérôme Schehr : Nous avons une demande croissante à l’export, sur les marchés américains, allemands et asiatiques. Nous constatons que si l’on ne prend pas ce train, nous pouvons rater quelque chose. Il y a un désamour croissant du vin, ce type de produit permet d’aider à recapter des consommateurs. En tant que vigneron, il faut capter les personnes ne buvant pas d’alcool. Il faut leur faire découvrir les sensations du rosé, comme l’a réussi la bière avec le sans alcool.
Nous prenons le parti de répondre à la demande : proposer du sans alcool, c’est de la diversification. Dans nos restaurants, des gens nous disent ne plus boire d’alcool et nous pourrons proposer autre chose que de l’eau, des jus de fruit ou du soda. Cela répond aux besoins de clients qui en achètent au domaine pour ajouter à leurs commandes de mariage. Des distributeurs viennent à nous pour du sans alcool et prennent des vins du reste de la gamme. Nous avons de bons retours, le marché est réceptif.
Quelle est la technique de désalcoolisation utilisée ?
Cela nous a pris trois ans de recherche pour trouver la bonne méthode : la montée en température sous atmosphère contrôlée. Une distillation sous vide à 35-40°C pendant deux heures pour arriver à 0,0°.alc. Cette technique abîme moins le vin, par rapport à d’autres technologies (comme l’osmose inverse). Notre base est un vin bio, il n’y a pas d’ajout de jus de fruit ou d’autres additifs. Il n’y a que du vin. Nous partons de la cuvée bio Rosé d’une Nuit, comme c’est un produit fruité et puissant en bouche.
Nous avons lancé notre sparkling gazéifié (pression de 4,5 bars) lors du dernier salon Bettane et Desseauve, pour faire face aux sceptiques. Le résultat a étonné. Certains consommateurs vont aimer, comme ça se rapproche du vin, d’autres non, comme ce n’est pas sucré. Le point le plus difficile, c’est le nez : l’alcool sublime les odeurs. Il est plus difficile d’avoir un nez qui s’approche du vin sans alcool.
Travaillez-vous avec un prestataire ou avez-vous investi dans la distillation à froid ?
Nous travaillons avec un prestataire, l’investissement serait trop grand pour notre échelle. Le coût de la désalcoolisation augmente de 10 à 20 % le prix du produit. C’est souvent une remarque de nos consommateurs, qui s’étonne que le prix ne soit pas moins cher comme il n’y a pas d’alcool. Et non, ça coûte de retirer l’alcool. Peut-être que cela coûtera moins cher quand il y aura plus de demandes et d’opérateurs.
Faute d’alcool et de droits d’accises, le prix n’est quand même pas réduit mécaniquement ?
L’absence de taxes ne compense pas la totalité du surcoût. Mais l’absence d’alcool facilite la distribution. Il n’y pas besoin de licence en France. Et aux États-Unis il n’y a pas de recours au three tier system (mais certains états interdisent la vente de sans alcool avec des boissons alcoolisées).
Allez-vous vous développer sur les vins partiellement désalcoolisés ?
Nous avons opté pour le 0°.alcool afin d’être le plus large possible dans notre cible. Quand les gens ne veulent pas d’alcool, ils veulent 0 alcool. Le low alcohol est un autre marché, nous verrons pour l’avenir.
N’est-il pas contre-intuitif de passer un millésime à produire des raisins sucrés pour que la fermentation en fasse de l’alcool et qu’il y a désalcoolisation ?
Pour pouvoir retrouver les qualités organoleptiques d’un vin, il faut partir d’un vin. Il faut une fermentation pour avoir la qualité d’un vin.
Combien de bouteilles produisez-vous pour ce premier essai ?
Nous ne communiquons pas sur les volumes, mais ils sont petits. L’idée n’est pas pour nous d’en faire notre marché principal, mais c’est une offre complémentaire. Le sans alcool pourrait représenter au bas mot 5 à 10 % des vins de France à l’avenir. L’un de nos distributeurs japonais dédie au sans alcool 30 % de son portfolio.
Souhaitez-vous que les vins désalcoolisés puissent afficher une appellation d’origine ?
Je n’ai pas d’avis arrêté, mais il serait intéressant de pouvoir revendiquer l’AOC, et le bio, comme notre produit de base l’est.