Dr Carlo Paoli : Sur cette superficie, le vignoble de la DOC Bolgheri Sassicaia s’étend sur 108 hectares, soit environ 5% de la Tenuta San Guido. Cette superficie est nettement supérieure aux besoins de Sassicaia mais elle offre la possibilité de réaliser de véritables sélections. La production de Sassicaia est, de ce fait, bien inférieure à son potentiel.
CP : Le millésime 2023 a été difficile dans bon nombre de régions italiennes à cause des précipitations abondantes au printemps qui ont entraîné des maladies cryptogamiques, surtout le mildiou. A la Tenuta San Guido, où les parcelles sont localisées sur des coteaux surplombant la mer, une bonne ventilation a empêché le développement d’une humidité stagnante. De même, grâce à notre expérience et à certaines techniques, comme l’utilisation de kaolin, nous avons réussi à contrecarrer les températures excessives.
Graziana Grassini : Il est encore trop tôt pour savoir comment vont évoluer les moûts et les vins de 2023, mais on peut dire que les raisins affichaient une maturité parfaite à leur arrivée en cave avec, surtout, un bon équilibre entre les maturités techniques et phénoliques. Cela nous donne bon espoir pour la suite. Cette année, nous pratiquons des macérations plus longues, contrairement à 2022 lorsque tous les raisins sont arrivés au chai en même temps et que nous avons dû les traiter beaucoup plus rapidement en cave.
CP/GG : A la Tenuta San Guido, le concept du développement durable fait partie de l’ADN du domaine. La biodiversité est à la base de nos valeurs. Le domaine se compose à 80% de forêts et de cultures traditionnelles, à 15% d’une zone marécageuse – habitat naturel pour la faune qui favorise l'entretien et la reproduction d'insectes et de micro-organismes – tandis que la vigne représente environ 5 % de la superficie totale. Nous n'envisageons pas d'étendre la surface viticole, mais nous investissons massivement dans des vignobles anciens, dotés d'un système racinaire profond et résistant mieux aux aléas climatiques. La nature a toujours besoin d’adaptations. Par exemple, on sait qu'il faut entretenir un espace forestier car les zones boisées crée des senteurs, de l'ombre, de l'humidité, de l'humus et offrent un abri aux insectes. C'est un concept que nous devons transmettre aux générations futures. Hier ces questions étaient importantes, aujourd’hui elles ne peuvent être ignorées.
GG : L’expérience et les compétences techniques des agronomes font la différence. Le changement climatique doit être géré au vignoble, en faisant appel à des spécialistes qui connaissent la physiologie de base de la vigne et comment elle réagit aux changements climatiques, et en utilisant des équipements appropriés. Si l’on met en pratique cette philosophie, la probabilité d’atteindre un niveau de qualité élevé indépendamment des variations saisonnières est importante. Globalement, les effets provoqués par le changement climatique peuvent être gérés, à court et à moyen terme, grâce à des techniques d’adaptation, et à long terme, par des mesures d’atténuation. La chaîne de valeur du vin comporte plusieurs exemples d'adaptation : cultiver des vignes à des altitudes ou des latitudes plus élevées, atténuant ainsi le problème des températures excessives conduisant à des profils de vins atypiques ; recourir à une taille hivernale tardive pour retarder le cycle végétatif afin de mieux éviter les dommages causés par le gel et répartir la maturation dans une période plus fraîche, donc plus qualitative ; utiliser des composés naturels et inertes tels que le kaolin pour protéger les feuilles et les grappes d'une surchauffe excessive.
GG : La taille d’été est adaptée pour éviter l’exposition entière de la grappe à une luminosité et à des températures élevées. L’effeuillage se pratique désormais, soit avec moins de régularité, soit avec moins de sévérité. Une autre stratégie à notre disposition consiste à utiliser des pratiques culturales qui nous permettent, d’une part de ralentir l’accumulation trop rapide de sucres, d’autre part d’éviter des retards dans la réserve et la complexité des composés phénoliques. Récemment, les recherches dans ce domaine ont beaucoup avancé et plusieurs solutions se présentent à nous.
Les trois cuvées élaborées par la Tenuta San Guido.Crédit photo : Mirror Digital Agency
CP : La superficie du vignoble de Sassicaia est nettement supérieure à nos besoins, ce qui nous donne la possibilité de sélectionner uniquement les raisins les plus adaptés. Il n’est absolument pas question de changer de philosophie ! L’entreprise élabore des vins depuis 60 ans selon une orientation stratégique bien définie. Notre devoir consiste à suivre ce chemin et à y sensibiliser tous ceux qui y travaillent. Notre équipe d’agronomes, en particulier, a une lourde responsabilité en tant que véritables interprètes des besoins de la nature.
GG : Ce n’est pas forcément vrai que les cépages autochtones sont plus adaptés au changement climatique. Je préfère reformuler cette idée de la manière suivante : dans un pays comme l’Italie, le plus riche au monde en termes de variabilité du matériel génétique, des cépages locaux, encore inexplorés ou sous-utilisés, pourraient devenir une alternative aux variétés les plus connues. Par exemple, certains d’entre eux affichent un taux d’accumulation des sucres plus lent, permettant de détendre la période des vendanges. Il en est de même pour certains nouveaux clones de différents cépages. Mais à la Tenuta San Guido, l’inspiration vient toujours et encore de la doctrine de Mario Incisa. Le choix des cépages à planter dépend, entre autres, du type de sol et celui de la Tenuta San Guido est parfaitement adapté aux cépages bordelais. C’est notre conviction que l’adaptation du cépage au terroir doit primer.
GG : Même en tenant compte des scénarios actuels et futurs de changement climatique, trois facteurs nous indiquent que la qualité ne sera pas menacée : le cabernet sauvignon est connu dans le monde entier pour être tout à fait adapté à la culture dans de nombreux contextes, ce qui démontre intrinsèquement sa souplesse ; les pratiques d'adaptation au climat sont nombreuses et à notre disposition ; l'interaction si étroite et positive entre le génotype et le territoire est toujours très précieuse et, bien souvent, déterminante.
CP : Nous sommes fiers, en effet, de notre vision stratégique, dont les origines remontent à Mario Incisa della Rocchetta, qui était déjà un pionnier dans les années 1940. Il est important de noter que le premier millésime de Sassicaia a été commercialisé en 1968, après 30 ans d’expérimentations et de consommation en interne. Cette longue genèse visait à proposer un produit qui devait d’abord convaincre son producteur sur le plan qualitatif. Au fil des ans, nous avons mis nos choix à l’épreuve et restons engagés dans cette démarche. Nos objectifs consistent à investir dans les terroirs les plus appropriés, à viser un niveau qualitatif sans être influencés par la quantité, et à protéger la biodiversité et prôner le développement durable dans chacune de nos actions.
CP : Le vin italien est encore très jeune. Il suffit de remonter trente ou quarante ans en arrière pour voir que le contexte était très différent. La croissance actuelle est rapide et très positive et, dans l’esprit des producteurs et des entrepreneurs, elle s’exprime de plus en plus en termes qualitatives et non pas quantitatives.