’est une petite phrase qui cause une grosse colère. Dans la récente étude d'impact du règlement SUR, sur l’utilisation durable des pesticides et leur réduction de 50 % d’ici 2023, la Commission Européenne fait passer par pertes et profits la chute des rendements viticoles, en réagissant par la minimisation à une estimation de chute de 28 % des rendements du vignoble français comme si ça n’avait guère d’importance (les baisses seraient aussi de -20 % en Italie et -15 % en Espagne). « Les impacts les plus importants sur le rendement [concerneraient des] cultures qui ont une pertinence limitée pour la sécurité alimentaire et animale, telles que les raisins, le houblon et les tomates » indique l’étude. De quoi alarmer le vignoble, qui se sent bien seul face à des impératifs ne prenant pas en compte ses améliorations passées et ses besoins d’accompagnement futurs.
« On ne peut pas considérer qu’un secteur n’est pas stratégique parce qu’il ne produit pas d’alimentation. On ne peut pas rester sur une étude d’impact où il est acceptable de sacrifier un pan de l’économie agricole » s’emporte Jérôme Despey, le président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer. Rappelant que SUR ne concerne pas que la filière vin, le premier vice-président de la FNSEA plaide pour la concertation : « on est dans la transition, on a besoin de politiques d’accompagnement, d’investissement, d’innovation pour des alternatives… On travaille tous dans la même direction : soutenir la recherche et l’expérimentation, arrêter d’interdire des matières actives s’il n’y a pas d’alternative (comme on a pu le voir en cerise et betterave)… »
Le message a été envoyé au ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, alors qu’il prépare « une nouvelle stratégie nationale en construction sur les produits phytopharmaceutiques », soit une révision du programme Écophyto pour 2030, comme annoncé ce 11 juillet lors du Comité d'Orientation stratégique et de Suivi d’Écophyto 2+. Si le gouvernement annonce la volonté de « préserver les filières françaises d’une distorsion de concurrence européenne et internationale : articulation avec la négociation du règlement SUR et la mise en place de mesures miroirs », le vignoble alerte sur les impacts de retraits de phytos qui mettrait la filière en difficulté (comme Métiram de zinc ou Folpel contre le black-rot, mais aussi la réduction des insecticides contre la flavescence dorée, sans oublier les herbicides avec le glyphosate).


Ces débats tombent à point alors que le mildiou tape comme un sourd sur les feuilles/grappes des vignes et le système des vignerons (notamment à Bordeaux, mais plus généralement dans le Sud-Ouest et dans des pans du Languedoc et de la Provence). « C’est une catastrophe sur merlot, les cabernet et les cépages blancs sont touchés, c’est du jamais-vu, partout où il y a eu ce climat tropical, chaud et humide » rapporte Éric Chadourne, le président de l’Interprofession des Vins de Bergerac et de Duras (IVBD), qui souligne que personne n’a résisté : « que l’on soit un vigneron moins vigilant ou plus strict, que l’on soit en bio ou que l’on utilise des phytos CMR (Cancérigènes, Mutagènes et Reprotoxiques), que l’on ait un atomiseur à gouttes droites ou un face par face, que l’on ait un grand ou un petit vignoble… il n’y a pas de jaloux, tout le monde est touché. »
« Le mildiou est l’ennemi public numéro 1 de la vigne. L’important est d’avoir les armes, même si on les utilise moins » témoigne le président de la Fédération des Vins de Bergerac Duras (FVBD). Pour le viticulteur de Pécharmant, « il y a un vrai souci dans le projet SUR, dans les limitations des AMM (Autorisations de Mise sur le Marché)… Petit à petit, ça rogne et on arrive peut-être à une point où il n’est déjà plus possible de cultiver la vigne à certains endroits. »


« Il faut pouvoir traiter et protéger les raisins » résume Éric Pastorino, le président du Conseil Interprofessionnel du Vin de Provence (CIVP), qui témoigne de la chance du Sud-Est d’avoir été épargné par la sécheresse et arrosé copieusement : « mais nous avons désormais une pression mildiou fantastique. Des gens perdent de la récolte comme les produits sont moins adaptés. On a besoin de rendements : il faut l’assumer. Il faut arrêter cette hypocrisie française et européenne : se réjouir des performances export et taper sur les phytos. » Pour le président de la Fédération Régionale de vins AOC du Sud-Est, la question globale est de savoir ce que les gouvernants veulent faire d’une filière d’excellence : « c’est un sujet de ruralité pour le territoire. Il faut aussi parler d’économie : ça fait partie des bons exportateurs. Nous avons besoin d’un message clair des pouvoirs publics. »
Un éclaircissement pour les enjeux sanitaires au vignoble, mais aussi dans les moments de consommation. « On ne peut pas avoir un jour le président qui soutient la consommation responsable sur le salon de l’Agriculture et la première ministre qui après propose un durcissement, alors que la filière est précurseur en prônant la modération avec Vin & Société » regrette Éric Pastorino, pour qui « il faut se poser les bonnes questions pour la filière, mais aussi à l’Etat. On ne peut pas être les meilleurs à l’export et attaquer la filière. »