e vendredi 7 juillet en soirée, une tempête a soufflé sur le Sud-Ouest et ses vignobles : une de plus depuis le début du millésime 2023. Un orage sans grêle, mais avec de pluie et, surtout, un vent si puissant que des arbres sont tombés, privant encore d’électricité des communes ce lundi. Localement, des rangées de vignes se sont également renversées, les piquets de métal se tordant et le palissage tombant à terre sur les appellations Saint-Mont (Gers) et Madiran (Hautes-Pyrénées). Le coup de vent a également soufflé les feuilles mangées par le mildiou, ne laissant plus que des rameaux nus sur certaines parcelles.
« Sur nos deux rangs et demi de témoin non traité, franchement il ne reste plus que des sarments » soupire Brigitte Dousseau, du domaine Sergent (22 ha de vignes à Maumusson-Laguian en conversion bio). Après des orages de grêle le lundi de la pentecôte et le mercredi 21 juin, ce vendredi 7 juillet « c’était une tornade » rapporte la vigneronne, qui déplore une chute d’arbre, des tuiles tombées et surtout une pression mildiou ayant déjà réduit à zéro la récolte de certaines parcelles (notamment 2 hectares de merlot en coteaux du Marmandais) et ce malgré des traitements dès que possible (avec une quinzaine de passages à date). « Ça commence à nous porter sur le système » reconnaît-elle, alors que son domaine n’est pas assuré, une succession de petites récoltes pesant sur la moyenne olympique de ses rendements (la référence de production demandée pour une assurance climatique).


« Ça s’acharne sur ce secteur. En 2021, il y a eu le gel. En 2022, c’était gel, grêle et sécheresse. En 2023, on a échappé au gel, mais pas à la grêle et au mildiou » énumère Nadine Raymond, la directrice des caves coopératives d’Aignan, Plaisance et Saint-Mont (groupe Plaimont), pour qui « c’est très compliqué pour la troisième année d’affilée. Nous avons peur de perdre du rendement, mais aussi des vignerons avec la remise en question de la pérennité économique des exploitations. » Orientant les travaux viticoles vers la préservation du végétal et de la récolte, Nadine Raymond note que « malgré tout ce qui a été fait, avec le maintien de la cadence et le bon choix des produits, il y a des moments où il est impossible de couvrir. »
Face au rythme des pluies et l’impossibilité de lutter en préventif, « la bonne stratégie cette année c'était d'utiliser des phytos classés CMR (Cancérigènes, Mutagènes et Reprotoxiques), la mauvaise c'était d'être en bio. Les conditions surpassent le cadre d'utilisation du cuivre et du soufre » constate Grégory Laplace, à la tête du château d’Aydie (60 hectares en appellation Madiran). Ayant supprimé les CMR cette année (avec comme fongicides le diméthomorphe, le folpel…), le vigneron estime avoir perdu 25 à 30 % de sa récolte. Heureusement la sortie de grappe était belle, lui permettant d’espérer un rendement de 45 à 50 hl/ha.
Plaie touchant nombre de vignobles (dont Bordeaux, voir encadré), le millésime reste compliqué. « Ce qui tenait cette année, c'était le folpel. Ceux qui avaient cette stratégie avec ces produits ont tenu le cap, en traitant tous les 8 jours, sur une cadence de 10 à 12 jours ça ne passait pas » ajoute Grégory Laplace, qui s’est retrouvé à traité quasiment toutes les semaines : « on traite quasiment toutes les semaines : cette année va coûter cher en produits phytosanitaires, en carburant, en personnel. Et ce n'est pas encore fini. » Le vigneron espère qu’une météo nettement ensoleillée va sécher les champignons : « j’espère que dans deux semaines la végétation sera refaite et que l’on ne verra plus qu'il y a eu du mildiou. Ce n'est pas fini, il peut y avoir une pluie au 20 août qui peut permettre de faire grossir les baies. »


« Aujourd’hui nous sommes à deux mois des vendanges, j’ai confiance : le feuillage va se refaire. Je n’ai pas peur sur la qualité de la vendange (il n’y a ni oïdium, ni botrytis, ni vers de la grappe à date) » confirme Olivier Dabadie, viticulteur à Viella (25 ha en bio). Le président de l’union coopérative Plaimont (400 viticulteurs pour 5 000 hectares de vignes sur le piémont pyrénéen) ne cache pas sa crainte sur les volumes : « nous avons déjà eu deux millésimes à petits rendements, il n’en faudrait pas un troisième. Rien de pire pour la pérennité des marchés qu’un client que l’on ne voit pas pendant trois années. »
Rien de pire également que des revirements de météo : après 2021 « l’année la plus arrosée sur le cycle végétatif des 30 dernières années » et « 2022 la plus sèche », voici 2023 où « il ne fait que flotter » constate Olivier Dabadie. Si dans le piémont pyrénéen, « le mildiou on sait faire avec, quand on peut intervenir… Ce qui nous perturbe c’est la récurrence des orages. À chaque fois qu’il y a un abat d’eau, on ne peut pas rentrer dans les parcelles : les vignes sont impraticables et on ne peut pas intervenir en temps et en heure » note le viticulteur gersois, qui a enregistré sur son exploitation 400 mm de pluie depuis avril. « Les vignerons ne sont pas réfractaires au changement [agroéologiqe]. Le monde se dérègle et on essaie d’être au rendez-vous, mais ça va trop vite » résume Olivier Dabadie, soulignant l’urgence d’aides publiques (à l’assurance, à l’investissement dans la prévention…) et aux consommateurs (en soutenant les pratiques vertueuses).
En attendant, « on tremble à chaque orage » confirme Alain Desprats, le directeur du syndicat des vins de Côtes de Gascogne, qui note que sur les 20 000 ha de l’IGP, 1 400 à 1 500 ha de vignes ont déjà été touchées par la grêle cette année (avec 40 % de dégâts en moyenne), ce qui est « moins qu’en 2021, mais reste significatif ». Surtout si l’on ajoute les pertes de récolte liées au mildiou.
Frappant actuellement la Gironde dans une deuxième vague, « la virulence du mildiou [met sous pression les vignerons] inquiets de voir disparaître des solutions techniques. Certains sont très désespérés et sans beaucoup de perspectives » rapporte Jean-Louis Dubourg, président de la Chambre d’Agriculture de Gironde (CA33), ce 10 juillet lors de l’Assemblée générale du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB). Déjà forte en 2018 et 2021, la pression mildiou s’expliquerait en 2023 par la recrudescence des friches contaminant le voisinage pour Jean-Samuel Eynard, le président de la FDSEA 33, et par le manque de moyen/de main d’œuvre pour traiter correctement pour Dominique Techer, porte-parole de la Confédération Paysanne.
Pour le député Grégoire de Fournas (Rassemblement National), « je pense que l’on est allé sur une voie où bientôt l’on va se rendre compte que l’on a fait fausse route. Comme sur le nucléaire où l’on a fermé des centrales. Là on est partis sur une voie où l’on voit se multiplier les impasses techniques et les phénomènes de résistance. » Viticulteur dans le Médoc, l’élu va porter le sujet dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire « sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale ».