’attaque s’est produite dès la fin mai. Sur le domaine du Rouchet à Escoussans, en Gironde, une propriété familiale de 30 ha dont un tiers est en bio, le mildiou s’est d’abord déclaré sur les feuilles des vignes en bio. Puis, autour de la mi-juin, il s’est développé sur les grappes. Et, le week-end du 24 juin, le mildiou mosaïque est apparu sur les feuilles les plus âgées. Baptiste Millet, 24 ans, à la tête de la propriété, est sans illusion : « Je prévois une perte de récolte de 10 à 15 % en bio. Si les pluies reviennent, cela pourrait même aller jusqu’à 40 % », lâche-t-il.
Comment expliquer cette situation ? Problème de main-d’œuvre ? Retard pris dans le relevage ? Sous-évaluation du risque ? Non. Baptiste Millet pointe le cuivre du doigt : « Nous intervenons depuis fin mai deux fois par semaine sur les vignes bio. Après une forte pluie, le cuivre est totalement lessivé. Les produits ne tiennent pas », explique-t-il.
Le jeune vigneron a fait ses comptes : en bio, habituellement, il réalise dix passages par saison. Là, fin juin, il en est déjà à dix-sept passages. Et la saison est loin d’être finie. Ses coûts de traitement explosent. Baptiste Millet pense arriver à 700 €/ha en fin de campagne, contre 350 €/ha en année normale. À cela s’ajoutent des cours qui dégringolent, des négociants qui se détournent du bio après en avoir réclamé : « La situation est catastrophique », indique-t-il. Seule consolation : fin juin, ses vignes en conventionnel sont épargnées par le mildiou.
Non loin, sur la même commune, André Faugère, à la tête de 37 ha en conventionnel, a vu la situation se dégrader le 27 juin sur ses 10 ha de merlot. « Vingt pour cent des grappes sont touchés, alors que la semaine précédente, il n’y avait quasiment rien », assure-t-il. Jusque-là, les symptômes étaient minimes, autant sur feuilles que sur grappes, excepté dans une parcelle de sauvignon de 60 ares qui jouxte une vigne abandonnée, où la perte de récolte pourrait être de 15 %.
Pour expliquer cette situation, André Faugère évoque des orages importants à une période où la vigne poussait très vite. À cela s’est ajouté un manque de personnel qui a retardé le relevage. « Habituellement, j’emploie sept à huit saisonniers pour réaliser cette opération. Mais je n’ai pas trouvé de candidats. Du coup j’ai fait appel à un prestataire, qui n’a fini les travaux que la troisième semaine de juin car il est aussi en flux tendu. Normalement, cela aurait dû être terminé dix jours plus tôt. Ce retard a favorisé la contamination », rappelle-t-il, les rameaux non relevés proches du sol ayant servi d’échelles au mildiou.
Autre facteur : l’indisponibilité de certains produits : « On ne trouve plus de fongicides à base de folpel seul car il est classé CMR 2 [agents cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction, NDLR]. Avant, les distributeurs avaient un stock tampon. Ce n’est plus le cas », indique André Faugère.
Face à cette situation, il a renforcé ses traitements : « J’ai baissé la vitesse d’avancement de 5 à 4 km/h et j’ai augmenté le volume de bouillie de 115 à 150 litres/ha », explique-t-il. Depuis fin mai, il utilise un produit qui associe folpel, fosétyl et cymoxanil à dix jours au lieu de quatorze. Sur la parcelle qui jouxte les vignes abandonnées, le 16 juin, il a intercalé un diméthomorphe entre deux traitements. Malgré ses efforts, il redoute que les dégâts causés par le mildiou s’accentuent jusqu’à la véraison.
Le mildiou donne aussi des sueurs froides aux vignerons audois. Pierre Jammet, 45 ha en conventionnel, Haute Valeur Environnementale (HVE), à Cournanel, l’a vu se déclarer sur feuilles dès la fin mai, dans toutes ses vignes. La syrah et le chenin sont moins impactés que le chardonnay, le pinot noir, le grenache ou le cabernet sauvignon. Pierre Jammet a du mal à estimer les dégâts : certaines parcelles sont très touchées, d’autres moins. « En deux jours, sur une parcelle de 2 ha, j’ai perdu 20 % de la récolte. » Et pourtant, le risque n’a pas été sous-évalué. « Les suivis des techniciens de chambre d’agriculture nous ont alertés du potentiel infectieux. Mais nous n’avons pas de produits suffisamment forts pour lutter. Ceux dont nous disposons ne sont pas aussi efficaces, pour de grosses pressions, que ceux que l’on utilisait il y a dix ans », juge-t-il. Et de regretter l’interdiction en HVE du diméthomorphe, classé CMR1.
Face aux attaques, Pierre Jammet a augmenté ses cadences de traitement. « Habituellement, j’interviens tous les quatorze jours et je réalise cinq traitements pour les rouges et six pour les blancs. Là, fin juin, je suis déjà à huit traitements en rouge et autant en blanc. » Le 26 juin, le cers, ce vent sec du nord, s’est levé. Un soulagement car avec lui le mildiou a moins de chance de sporuler.
Dans l’Hérault, Samuel Masse, à la tête avec son frère du domaine de Favas, 25 ha en bio à Saint- Bauzille-de-Montmel, s’en tient à une règle : « Quand on est en bio, Il faut savoir vivre avec le mildiou. Il faut anticiper les risques, traiter préventivement, tenir les cadences et protéger au bon moment », explique-t-il. Il a réalisé son premier traitement autour du 25 avril, avec 150 g/ha de cuivre métal et du soufre contre l’oïdium. Un traitement qu’il a renouvelé dix jours plus tard. Entre-temps, la pluie s’est mise à tomber, puis les orages se sont accumulés, au point qu’il a plu 260 mm en deux mois. De suite, Samuel Masse a resserré les cadences pour intervenir tous les cinq à sept jours, et augmenté les doses de cuivre, jusqu’à 800 g/ha lors d’un traitement.
« Les dernières feuilles sont remplies de mildiou. Mais ce n’est pas très grave car on n’a rien sur grappes. En bio, il faut vivre avec le mildiou », signale-t-il tout début juillet, alors que de fortes chaleurs font sécher la maladie depuis une semaine. En 2018, Samuel Masse a perdu 60 % de sa récolte de grenache, son principal cépage. Lui et son frère en ont tiré une leçon : la réactivité face à ce parasite foudroyant dès lors que les conditions s’y prêtent.