ien n’est sûr, mais la viticulture pourrait clairement perdre le Nord si la Commission Européenne met en place sa proposition de règlement SUR (sur l’usage durable des pesticides). Déjà vives depuis des mois (notamment sur la baisse de 50 % des usages de phytos d’ici 2030 et des zones d’interdiction de traitement trés élargies), les craintes de la filière vin s’accentuent dans les 227 pages de l’étude d’impact complémentaire remise ce 5 juillet par la Commission Européenne. Loin de répondre aux demandes de précisions nouvelles du Conseil Européen (ayant sollicité cette étude en décembre dernier), cette étude bibliographique défend les propositions de Bruxelles en faisant passer par pertes et profits les perspectives de chutes significatives des rendements dans le vignoble
Se basant sur une étude néerlandaise de la fin 2021, qui modélisait l’impact agricole d’une réduction de 50 % de l’usage des phytos, la Commission rapporte que « l'étude a conclu à une perte de rendement variable, avec des effets plus importants sur les cultures pérennes, et un impact potentiel considérable sur les échanges avec les pays tiers. » La plus forte réduction de productivité concerne la viticulture française, où la perte de rendement serait de 28 % (elle avoisinerait -20 % en Italie et -15 % en Espagne). Mais la Commission relativise : « les impacts les plus importants sur le rendement [concerneraient des] cultures qui ont une pertinence limitée pour la sécurité alimentaire et animale, telles que les raisins, le houblon et les tomates ». La productivité viticole, une perte acceptable faute d’être indispensable à la souveraineté alimentaire ? La filière vin ne partage, évidemment, pas cette vision…


Si « les viticulteurs européens partagent l'objectif général de la Commission européenne de réduire l'usage des produits phytopharmaceutiques les plus dangereux », un communiqué d’organisations viticoles européennes* alerte que « cette trajectoire vers une durabilité croissante ne peut être renforcée que si les objectifs fixés sont réalisables ». En l’état, « la proposition législative de la Commission européenne est irréaliste pour la viticulture, sauf à remettre en question l'avenir de ce secteur dans l'Union Européenne » indiquent les organisations viticoles, pour qui « l'approche qui découle des conclusions de l'analyse de la Commission est inquiétante pour l'avenir de la filière et laisse entrevoir un manque total de considération pour ce que représente la viticulture européenne » (en termes de contribution économique à l’export, d’impact social sur les territoires et de poids culturel dans l’identité européenne). Et la filière d’ajouter que « ces chiffres alarmants ne tiennent pas compte de l'impact des aléas climatiques (grêle, gèle, sècheresse etc.) qui ont régulièrement des répercussions sur la viticulture européenne ».
Dans son rapport complémentaire, la Commission se veut rassurante, assurant que « ces estimations des impacts potentiels sur le rendement doivent être considérées comme une limite supérieure en raison de plusieurs facteurs qui ne sont pas pris en compte dans ces études ». Bruxelles ajoutant qu’« une grande variété d'alternatives agronomiques et de stratégies technologiques permettent également de réduire l'utilisation des pesticides et les risques tout en maintenant les rendements ». Et la Commission de citer une étude américaine de l’été 2021 avançant que 70 % des phytos viticoles pourraient être retirés par l’utilisation d’outils de viticulture de précision.
La filière européenne des vins est plus prudente sur ces perspectives de miracles technologiques : « malgré des décennies de recherches et d'expérimentations, il n'y a pas encore de réponses efficaces aux maladies cryptogamiques tels que le mildiou et l'oïdium. La vigne ne dispose pas de résistance naturelle à ces maladies et, en année de forte pression, 100 % des raisins peuvent être perdus en quelques jours sans l'utilisation d'intrants. Bien que l'expérimentation de variétés résistantes, qualitatives et respectant les propriétés organoleptiques des vins soient en cours, il s'agit d'une évolution qui s'inscrit dans le long terme car il faut du temps pour adapter et ensuite valider ces démarches issues de longs processus de recherche. »
Un message qu’il faudra aussi porter au ministère de l’Agriculture en France, où la confiance dans les solutions technologiques d’avenir pourrait occulter la réalité des difficultés technico-économiques à venir. En marge de la la réunion des ministres européens de l'Agriculture à Luxembourg fin juin, le ministre français Marc Fesneau rappelait ses demandes de clarifications sur les traitements à proximité de zones sensibles, tout en reliant la possibilité de réduire les phytos et résoudre les impasses avec l’adoption de nouvelles techniques génomiques (NGT). Comme indiqué par la filière, l’articulation temporelle s’annonce difficile entre réduction rapide des phytos et déploiement à long terme de variétés résistantes aux maladies (et adaptées à la poduction de vins).
Devant sensibiliser la Commission et le Conseil des ministres, la filière vin doit aussi alerte les parlementaires européens sur les enjeux de la réglementation SUR. Si le vote en séance plénière est prévu courant octobre au parlement, des décisions sont attendues sur le texte en commissions dédiées à l’agriculture et à l’environnement (votes prévus respectivement le 19 juillet et le 11septembre). Alors qu’un autre texte agricole mobilise les organisations et institutions communautaires (sur la restauration de la nature) et que des échéances électorales approchent (9 juin 2024 pour les élections européennes en France), le défi est d’ampleur pour que la filière vin mobilise les décideurs afin de ne pas perdre la boussole. Au Nord, c’étaient les vignerons, au SUR c’est la menace sur leur production ?
* : Le communiqué est signé par l'Assemblée des Régions Européennes Viticoles (AREV), la Confédération Européenne des Vignerons Indépendants (CEVI), la Fédération européenne des vins d'origine (EFOW), le Comité des Organisations Professionnelles Agricoles de l'Union européenne (Copa) et le Comité Général de la Coopération Agricole de l'Union européenne (Cogeca).