Aly Leonardy : Le secteur vitivinicole et les représentants politiques ont peut-être tardé à prendre conscience de l'impact réel de la proposition de la Commission Européennee sur l'utilisation durable des pesticides. Il faut aussi avouer que la stratégie de la Commission de mettre tout azimut des paquets volumineux de nouvelles règlementations sur la table n’aide pas. Comme si le fait de noyer sous les textes les responsables politiques et professionnels allait l’aider à faire passer ses idées d’orchestration du Green Deal européen.
Dans le cas de sa proposition de nouveau règlement sur les pesticides, elle n’a même pas publié une étude d’impact de sa proposition ! Chose rare, il a fallu que le Conseil des ministres lui demande formellement de compléter ses analyses d’ici à fin juin. Et on n’est pas sûr de ce qui en sortira.
De fait, il a fallu des mois de débat et de réflexion pour qu’on se rende compte que réduire l'utilisation et le risque des pesticides de 50 % d'ici 2030, c'est-à-dire en quelques années seulement, est pratiquement impossible. La modernisation des équipements de traitement ne peut être renouvelée en 6 ans. La production d'équipements de traitement et le développement de nouvelles techniques prennent au moins 12 à 15 ans. La plus grande difficulté est maintenant de trouver une stratégie commune pour amender efficacement la proposition de la Commission.
Quels sont selon vous les principaux risques de ce nouveau règlement pour le vignoble ?
S’il était appliqué en l’espèce, ce nouveau règlement entraînerait la disparition de jusqu’à 60 % de certains vignobles dans beaucoup de régions européennes. Ces chiffres ne sont pas exagérés ou alarmistes. Les viticulteurs doivent avoir les moyens de se défendre contre les ravageurs de la vigne et ce risque évolue en fonction des conditions climatiques d'une année sur l'autre. Tous les agriculteurs ont intérêt à réduire l'utilisation des pesticides chimiques, notamment en raison aussi de leur coût, mais ils doivent pouvoir défendre le fruit de leur travail. Le développement effectif d'alternatives crédibles, telles que les NGTs (nouvelles techniques de génie génétique) ou l'agriculture de précision, nécessite de nombreuses années et des investissements ; la politique doit encourager ce changement de paradigme sans interdictions ni obligations afin de ne pas courir le risque de détruire la viticulture européenne, pilier économique, social et culturel de nos territoires.
En réponse à ces enjeux, la Commission Agriculture (Comagri) du Parlement Européen prépare ses amendements : vont-ils dans le bon sens pour vous ?
Soyons clairs, nous attendions plus de courage de la part du rapporteur de la COMAGRI. Il nous semble essentiel de souligner que les amendements proposés aujourd'hui par le rapporteur ne remettent pas en cause l'essentiel de la proposition de la Commission européenne, à savoir la fixation d'un objectif contraignant pour les Etats membres en matière de réduction de l'utilisation et des risques liés aux pesticides, sans aucune idée de savoir si l’objectif est crédible ou atteignable. Nous apprécions que le rapporteur COMAGRI propose un horizon temporel de 2035 au lieu de 2030 comme proposé par la Commission ; cela donnerait aux États membres et aux agriculteurs plus de temps pour atteindre un objectif qui reste encore trop radical.
La Comagri souhaite également accroître "la disponibilité, l'accessibilité et le caractère abordable des alternatives à faible risque et l'utilisation de la lutte biologique et d'autres alternatives non chimiques, y compris les nouvelles techniques génomiques et les technologies numériques et de précision". Tout cela est très positif, mais doit être accompagné de mesures concrètes. Les NGT sont pour l'instant soumises dans l’Union Européenne à la règlementation des OGM et ne sont donc pas utilisables de facto. Et lorsqu'il y aura un cadre législatif pour faciliter leur autorisation (ce que nous espérons !) il faudra encore de nombreuses années pour qu'elles soient concrètement utilisées par les viticulteurs. Les technologies numériques n'en sont qu'à leurs balbutiements. Avez-vous une idée du temps qu'il faudra pour renouveler le parc de traitement ? Sans parler du manque de moyens pour développer toutes ces innovations à l'échelle européenne.
Nous attendons maintenant plus de courage de la part des autres membres de la Comagri pour déposer des amendements qui prennent davantage en compte la réalité agronomique et les difficultés des viticulteurs et des agriculteurs dans leur ensemble.
Que faudrait-il modifier en priorité pour vous : les objectifs chiffrés/datés, les modalités concernant la lutte intégrée… ?
La première chose est de parler de 2035 pour permettre aux 2.4 millions de viticulteurs de s’adapter. La seconde est de parler d’objectif, mais pas d’obligation. Les obligations ne peuvent venir que si elles sont crédibles. Et donc que des alternatives existent réellement et peuvent être déployées à grande échelle sur le terrain. Pour l’instant, la Commission est dans l’incantation et la prise de pari que de telles alternatives existeront. Qu’elles existent et soient déployables d’ici 2030, on le sait aujourd’hui, cela tiendrait du miracle total.
Alors, il faut être sérieux et responsables ! Car, encore faut-il que les obstacles sur les nouvelles techniques génomiques, l’utilisation de drones, la viticulture de précision, les obstacles règlementaires soient levés soient financés et autorisés et mis en œuvre. De plus et c’est essentiel, nous réclamons une vraie étude d’impact exhaustive sur les propositions de la Commission Européennes.
Enfin, et c’est aujourd’hui le point qui me paraît le plus important dans le contexte de négociations en cours, il faut a minima inscrire une clause de revoyure en 2027 pour mesurer avec des études précises de la possibilité de confirmer les objectifs pour 2035 et les rendre obligatoires ou de les adapter.
Entre la Commission européenne qui doit fournir une étude d’impact pour défendre son projet, le Conseil européen qui semble bloqué et la Commission Environnement (Comenvi) du Parlement qui propose d’aller encore plus loin, la situation politique est difficile à lire… Et donc le résultat impossible à prédire ?
La Commission a indiqué qu'elle ne réaliserait pas d'évaluation d'impact complète, mais seulement quelques données supplémentaires, ce qui est très décevant.
Notre véritable allié est la Comagri et c'est pourquoi nous attendons plus de courage, notamment pour faire contrepoids à la Comenvi, dont la rapporteur semble vivre dans une autre réalité. Le jeu politique est difficile, il y a beaucoup de pression de la part des ONG et d'une partie de la Commission, mais nous devons nous rendre compte que cette proposition met en danger 70 % des vignobles européens.
Est-il possible d’assurer un équilibre satisfaisant pour toutes les parties entre l’amélioration de l’impact environnemental de la viticulture et le maintien de son activité (en termes de rentabilité, d’activité rurale…) ?
La viticulture, les instituts de recherche qu’ils soient Grecs, Italiens, Espagnols, Allemands ou Français, tous travaillent depuis longtemps à la réduction et à la maîtrise des produits phytosanitaire. C’est un travail qui n’a pas attendu la Commission Européenne pour lancer des chantiers importants.
En revanche il y a un pas de temps technique dont on ne peut pas s’affranchir, des règlementations qui empêchent encore d’utiliser les solutions qui existent et nous conclurons en rappelant que dans le même temps des agresseurs pathogènes nouveaux sont en train de se développer en Europe. Si on veut garder un vignoble économiquement viable il faut écouter la profession viticole qui a voté depuis longtemps pour une agriculture de précision et les nouvelles technologies mais on ne peut pas décider d’un coup de baguette magique des réductions de -70% de produits quand de nouveaux agents pathogènes arrivent.
Une telle irresponsabilité risquerait de décourager tout repreneur. Des vignobles entiers pourraient venir à disparaitre. Les conséquences écologiques, en termes de biodiversité et lutte contre les incendies et les inondations seraient incalculables. Les conséquences sociales pour la ruralité seraient dramatiques.