ui protégera les vignobles de la poussée de fièvre réglementaire européenne ? En cours de négociation, le nouveau règlement européen « concernant une utilisation des produits phytopharmaceutiques compatible avec le développement durable » doit remplacer la directive 2009/128/CE « pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable » (directive SUD, pour Sustainable Use of Pesticides) et pourrait conduire en l’état à l’interdiction de traiter des milliers d’hectares du vignoble. Le concept français de Zone de Non-Traitement (ZNT) serait ainsi étendu aux abords de toute « zone sensible », définie de manière extensive dans la proposition de la Commission Européenne comme étant « une zone utilisée par le grand public, telle qu’un parc ou jardin public, un terrain de jeu ou de sport, ou un sentier public ; une zone utilisée principalement par un groupe vulnérable [NDLA : femmes enceintes et femmes allaitantes, enfants à naître, nourrissons et enfants, personnes âgées, travailleurs et habitants fortement exposés aux pesticides sur le long terme], un établissement humain (communauté où vivent et travaillent des personnes), une zone urbaine traversée par un cours d’eau ou dotée d’un ouvrage hydraulique, une zone écologiquement sensible »
Actuellement, le projet réglementaire propose une zone tampon de trois mètres entourant la zone sensible, avec interdiction de traitement. Si la Commission a depuis proposé de nouvelles possibilités de dérogation, notamment pour les produits utilisables en agriculture biologique, une ZNT systématique de 3 m autour de toute zone publique pourrait concerner des surfaces considérables de vignes. Incertain, ce cadre laisse crainde une exposition accrue aux risques sanitaires à des parcelles entières. Sans produits alternatifs ni investissements dans de nouveaux matériels, cette évolution aux airs de révolution pourrait condamner rendements et pérennité économique. Et encore, c’est sans compter des propositions de ZNT à 10 ou 50 mètres quasiment sans traitement autorisé…
Encore peu connu en dehors de Bruxelles, ce projet de règlement communautaire doit harmoniser les pratiques phytosanitaires au sein de l’Union Européenne en passant de la simple directive SUD (appliquée de manière incomplète d’après le bilan de Bruxelles) à un cadre obligatoire (commun aux 27 États membres). Cette dernière s’annonçant plus ferme et contraignante, afin d’atteindre l’objectif fixé en 2020 de réduire de 50 % l’utilisation de pesticides chimiques en 2030 : soit le pacte vert pour l’Europe (Green Deal). Dévoilée en juin 2022, la première position de règlement de la Commission Européenne a alimenté de vifs débats depuis. Jugeant trop rapides les obligations de réduction de l’usage des phytos (mise en place de ZNT élargies, mais aussi définition du biocontrôle sans soufre ni cuivre, obligations de tenue d’un registre de protection intégrée et d’un registre de matériel de traitement*…), le conseil des ministres européens bloque toute discussion depuis décembre 2022. Du moins tant qu’une étude d’impact n’est pas fournie par la Commission. Au Parlement européen, les discussions se poursuivent au sein de commissions : celle de l’environnement (Envi, étant désignée avec une compétence principale sur le sujet) et celle de l’agriculture (Agri, avec une compétence partagée).
Alors que le Parlement européen doit se positionner en séance plénière sur le projet de règlement en octobre prochain, les commissions Agri et Envi doivent donner leurs avis respectifs en juillet et septembre. Si la rapporteure de la commission Agri, Clara Aguilera (Parti socialiste ouvrier espagnol) semble prendre son temps, l’étude d’impact manquant toujours, celle de la commission Envi, Sarah Wiener (les Verts allemands) paraît plus pressée, ayant déjà publié un projet de rapport en février dernier. Dans ce prérapport, l’eurodéputée estime qu’« en ce qui concerne les zones tampons, la distance suggérée de 3 m par rapport aux aires protégées n’est pas suffisante. Elle est même trop étroite pour empêcher les pesticides de pénétrer dans les aires protégées par dérive de pulvérisation lors de leur application. La science suggère que les zones tampons efficaces doivent avoir une largeur de plusieurs centaines de mètres pour empêcher l’entrée des pesticides. »


Et de proposer une distance tampon de 10 mètres en général, et de 50 mètres en particulier « pour les zones sensibles utilisées par des groupes vulnérables et pour l’utilisation des pesticides les plus dangereux ». De quoi remettre en cause le modèle de culture de milliers d’hectares de vignes en zones urbaines, avec la proximité de riverains, mais aussi en territoire rural, un sentier suffisant théoriquement. Limitant la possibilité de déroger à cette interdiction aux seuls traitements autorisés en bio, la rapporteur indique encore que « les dérogations à l’interdiction ne devraient être accordées que pour […] permettre une poursuite des activités agricoles existantes ou dans certaines conditions et au cas par cas ».
Pouvant avoir d’énormes conséquences sur l’économie et la physionomie du vignoble, ce règlement ne peut qu’interpeller et mobiliser la filière vin pour éviter un emballement menaçant des milliers d'hectares. Si ses stratégies nationales et locales s’inscrivent depuis des années dans un démarche de réduction progressive des intrants viticoles, l’objectif de sortie pure et simple des phytos est une aspiration partagée, pour ne pas dire consensuelle, dans le vignoble, mais reste inenvisageable sans perte ni fracas si une logique quantitative de court-terme l'emporte sur une transition agroécologique coconstruite, avec des alternatives tout-terrain et de moyens d'investissements adaptés à une culture pérenne**. En l’état de son projet, l’objectif de réduction accélérée des phytos pourrait conduire à une forte déprise viticole : les contraintes techniques et économiques évoquées précédemment pouvant amener des milliers de vignerons à jeter l’éponge. Qui protégera les vignobles des évolutions réglementaires européennes ?
* : À noter cependant dans la liste des nouvelles obligations administratives une déclaration de soutien à l’agriculture de précision. Si la Commission est prudente sur l’autorisation des traitements phytos par drones, le pré-rapport de la commission Envie souhaite clairement les interdire, comme tout traitement aérien.
** : Reconnaissant le besoin de moyens conséquents pour réaliser son projet, la rapporteur Sarah Wiener « propose de créer un fonds d’État qui pourrait, entre autres, être approvisionné par la taxation des pesticides. Une taxe sur les pesticides fondée sur le risque servirait l’objectif du présent règlement de deux manières : d’une part, elle entraînerait automatiquement une réduction de l’utilisation des pesticides, comme le montre l’exemple du Danemark, et d’autre part, elle fournirait des fonds pour la mise en œuvre du règlement et offrirait la possibilité d’indemniser les agriculteurs. »