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Elaboration de vins sans alcool, à chaque vigneron sa recette
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Témoignages
Elaboration de vins sans alcool, à chaque vigneron sa recette

Pour obtenir de beaux vins sans alcool, les vignerons sélectionnent très soigneusement leurs vins de base. Après désalcoolisation, ils y ajoutent du sucre pour les équilibrer. Le point sur l’élaboration de ces nouveaux produits.
Par Pauline Orban Le 07 mars 2023
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 Elaboration de vins sans alcool, à chaque vigneron sa recette
En Alsace, la cave de Ribeauvillé commercialise deux blancs sans alcool. David Jaeglé, le directeur général (photo), et Evelyne Bléger, l’œnologue, choisissent les vins de base après la fermentation. - crédit photo : Cave de Ribeauvillé
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épage, terroir, temps d’élevage, à chacun sa recette pour élaborer son vin sans alcool. Au domaine du Château de Rochefort, à La Haye-Fouassière, dans la Loire, il aura fallu deux années à Guillaume de Rosnay, le propriétaire, pour sélectionner l’assemblage qui supporterait le mieux la désalcoolisation.

« Après un élevage sur lies de 24 mois, nous avons réalisé une quinzaine d’assemblages de nos muscadets que nous avons désalcoolisés pour trouver le vin sans alcool qui se rapprocherait le plus de notre vin traditionnel, un mélange d’agrumes et de fruits frais, révèle Guillaume de Rosnay. Nous avons mené nos essais sur des échantillons de 6 litres que nous avons désalcoolisés par évaporation sous vide afin de définir le meilleur assemblage de départ, mais aussi le degré alcoolique final. Le zéro alcool n’était pas une évidence. Finalement, le vin le plus équilibré s’est avéré être un échantillon avec 0 % d’alcool. »

Une cuvée élaborée à partir du vin rouge le plus aromatique

Coralie de Boüard, propriétaire du Château Clos de Boüard, en appellation Montagne Saint-Émilion, procède plus simplement : elle sélectionne son vin avant la désalcoolisation. « La désalcoolisation entraîne une perte d’arômes, réduit la structure tannique du vin et perturbe l’équilibre entre acidité et sucrosité », rappelle la vigneronne. D’où son choix d’élaborer sa cuvée sans alcool à partir de son vin rouge le plus aromatique et le plus complexe, « Le Clos de Boüard », issu d’un terroir argilo-calcaire exposé plein sud.

Aujourd’hui, Coralie de Boüard réalise un élevage de 16 mois sur lies en barriques avant désalcoolisation. Elle élève 35 % de son vin en fûts neufs, mais réfléchit à lui apporter davantage de sucrosité avec un élevage plus long et, peut-être, 45 % de fûts neufs.

Trois critères déterminants

En Alsace, la cave de Ribeauvillé commercialise deux blancs sans alcool. David Jaeglé, le directeur général, et Evelyne Bléger, l’œnologue, choisissent les vins de base après la fermentation. Trois critères sont déterminants : la teneur en sucre résiduel, la complexité aromatique et le taux de SO2 total.

« Pour la complexité aromatique et florale, notre choix s’est porté sur le muscat et le silvaner, précise David Jaeglé. Le vin de base doit également être sec. La désalcoolisation se fait après un élevage sur lies de 3 mois. Nous ajoutons donc un peu de SO2 en fin de fermentation pour éviter tout risque microbiologique. Les sucres résiduels combinant le SO2, nous choisissons un vin sec de façon à réduire au maximum les doses de SO2 ajoutées. Lors de la désalcoolisation, le SO2 ne s’évapore pas mais se concentre, au risque d’avoir des teneurs trop élevées à la fin. » Les vins de la cave de Ribeauvillé sont commercialisés avec un taux d’alcool de 0,5 %. En deçà, David Jaeglé et Evelyne Bléger considèrent la perte aromatique du vin trop importante.

Un matériel spécifique est requis

Ces trois opérateurs ont tous opté pour une désalcoolisation par évaporation sous vide. « Le vin est juste chauffé à 30-35 °C. C’est la méthode qui l’abîme le moins, argumente Coralie de Boüard. Cela nécessite un matériel spécifique. La désalcoolisation se fait ainsi chez un prestataire. Les vins partent en citerne et reviennent en bouteilles. Le prestataire ajoute du moût concentré rectifié (MCR) et 20 mg/l de SO2 avant la mise pour l’équilibre et la conservation. »

La vigneronne envoie ses vins par citerne de 10 hl tous les mois, en fonction de ses besoins. Elle confie qu’une fois remplies, ses bouteilles subissent une flash-pasteurisation, toujours chez le prestataire (dont elle taira le nom), pour éviter tout risque de déviation par la suite. Puis un laboratoire d’analyse indépendant effectue des contrôles microbiologiques à sa demande. « Entre la désalcoolisation, la mise en bouteille et la flash-pasteurisation, la prestation coûte de 2 à 3 euros par col », précise-t-elle.

À la cave de Ribeauvillé, David Jaeglé envoie ses vins chez un prestataire allemand, basé en Rhénanie-Palatinat. « Avant cela, nous filtrons les vins sur un filtre tangentiel pour éviter tout risque microbiologique, précise-t-il. Nous définissons le pourcentage de désalcoolisation en amont, et au moment de la mise en bouteille, le prestataire ajoute du MCR et ajuste le SO2 libre. L’ajout de MCR est indispensable, sinon le vin ressemble à du jus de citron, et c’est imbuvable. Sur les derniers vins désalcoolisés, on a ajouté jusqu’à 30 g/l de MCR. »

Un suivi très strict de la désalcoolisation

Au domaine de l’Arjolle, à Pouzolles, dans le Languedoc, le suivi de la désalcoolisation chez le prestataire est très strict. « Nous sommes six associés et l’un de nous se déplace systématiquement chez le prestataire pour contrôler les vins à la sortie de l’évaporateur, explique Geoffroy de La Besnardière, l’un de ces associés. Nous prélevons des échantillons que nous dégustons et nous analysons le taux d’alcool et le risque microbiologique, juste avant la mise en bouteilles. Avec la désalcoolisation, on perd en moyenne 20 % d’arômes mais aussi des tannins. Pour rééquilibrer le vin, on ajoute du MCR, mais aussi des arômes naturels dilués. »

Ce dernier songe à produire dans les années à venir un deuxième vin rouge sans alcool, plus structuré, mais selon lui « cela passe par une réflexion, en amont, à la vigne. Plus le degré est élevé au départ, plus on est obligé de désalcooliser et plus on dénature la structure du vin. Il y a sûrement matière à améliorer les vins sans alcool. »

 

Déjà l’étiquetage nutritionnel

En matière d’étiquetage, celui des vins sans alcool s’apparente davantage à un jus de fruits qu’à un vin. Une date limite d’utilisation optimale (DLUO) est obligatoire même si elle est de cinq ans. « Depuis un an, nous avons l’autorisation d’utiliser la mention “vin désalcoolisé”, sourit Stephan Poirier, le maître de chai du Château Clos de Boüard. David Jaeglé, le directeur général de la cave de Ribeauvillé, en Alsace, souligne également que la liste des ingrédients ajoutés après désalcoolisation doit apparaître sur la contre-étiquette. De même que la déclaration nutritionnelle, à savoir la teneur en calories, en lipides, glucides, acide gras saturé, protéines, sucres, sans oublier les sulfites. Un aperçu de ce que l’on lira bientôt sur les bouteilles de vin, avec alcool.

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