Marc Fesneau : J’entends pleinement la détresse qu’ont exprimée les viticulteurs girondins qui ont manifesté à Bordeaux le 6 décembre. Ils ont été reçus par la Préfète de région qui a proposé, face à l’urgence de la situation sociale de certains, de monter une cellule de crise. La première réunion s’est tenue ce 16 décembre. La cellule de crise s’est appuyé, notamment, sur les travaux du groupe de travail qui a été mis en place et piloté par la Direction Régionale de l’Agriculture de l’Alimentation et de la Forêt (DRAAF). En effet, je l’ai mandatée, suite à mon échange avec les professionnels viticoles girondins le 18 octobre dernier, pour organiser une concertation avec l’ensemble des acteurs de la région et proposer des solutions cohérentes et en lien avec l’approche stratégique territoriale de la filière.
D’autres vignobles envisagent de la distillation de crise et du recours au stockage privé : souhaitez-vous actionner ces dispositifs sur des fonds nationaux comme le prévoit la réglementation européenne ? La demande d’arrachage temporaire via une restructuration différée est relancée : la soutenez-vous auprès de Bruxelles ?
Des outils de régulation de l’offre existent, notamment via les mécanismes de stockage ou de réserve, dont un nouveau dispositif de réserve interprofessionnelle mis en place cette année. Mes services et moi-même sommes prêts à accompagner la réflexion de la filière viticole sur le déploiement d’autres mécanismes de régulation afin de répondre aux défis conjoncturels et structurels. Dans cette optique, comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire avant les vendanges, je rencontrerai le 26 janvier 2023 les représentants professionnels de la filière viticole au niveau national pour étudier avec eux les pistes de travail.
Comment allier les défis d'investissement dans l'avenir du vignoble, face aux changements climatiques et agroécologiques, et les difficultés de trésoreries, mises à mal par l'inflation et les craintes de récession ?
Les vignobles sont particulièrement impactés par le changement climatique. Les vendanges sont de plus en plus précoces, les vins plus riches en alcool, il existe une réelle modification des profils aromatiques et une évolution des rendements dans certaines régions. La filière viticole s’est saisie très tôt de la question, en s’inscrivant dans une dynamique partenariale qui lui a permis de se doter d’une véritable stratégie face au changement climatique. Je tiens à saluer le travail mené par la filière sur ce sujet et son approche prospective en la matière.
L’Etat est fortement engagé puisqu’il soutient financièrement la recherche et les innovations nécessaires aux grands enjeux du secteur en matière d’adaptation au changement climatique et de transition agro-écologique vers des systèmes agricoles plus résilients et plus économes en eau. Face aux défis à venir, le plan de relance (2021-2023, 1,2 milliard €) a apporté un soutien d’ampleur avec des mesures d’aide à l’investissement dans des équipements de protection contre les aléas climatiques (175 M€). Le plan "France 2030" doit nous permettre d’aller plus loin et d’investir dans l’agriculture et la viticulture de demain.
Soutenez-vous les demandes vigneronnes de décalage des remboursements des Prêts Garantis par l’État (PGE) pour soutenir les trésoreries et permettre aux opérateurs des vins français de tenir le choc de l’inflation ?
Je sais l’inquiétude de la profession face à l’inflation, y compris celle liée au remboursement des PGE, outil largement mobilisé par la filière viticole. Je suis pleinement mobilisé pour trouver des solutions afin d’accompagner les entreprises agricoles et agroalimentaires, préserver leur trésorerie et leur production. Un travail est en cours avec les professionnels, en lien avec les ministères qui pilotent ces dispositifs, pour s’assurer que les mesures d’urgence prises répondent à toutes les situations d’acteurs économiques impactés par la hausse des prix de l’énergie, plus particulièrement dans l’agriculture et l’agroalimentaire.
La nouvelle assurance climatique est opérationnelle depuis ce premier janvier : la France porte-t-elle le projet de réformer la moyenne olympique (suite aux propos d'ouverture de l'Organisation Mondiale du Commerce, OMC, sur la révision du cadre agricole international) ? Quels sont vos messages aux assureurs pour la gestion des prix et caractéristiques des nouveaux contrats ?
La multiplication et la récurrence des évènements climatiques récents mettent en relief l’urgente nécessité d’offrir à l’ensemble de nos agriculteurs des outils appropriés pour faire face à de tels risques. A la suite de ce constat, le Président de la République a annoncé une réforme ambitieuse des outils de gestion des risques climatiques en agriculture. La loi du 2 mars 2022 qui traduit ces annonces est le fruit d’un très large processus de concertation conduit dans le cadre du Varenne de l'eau et de l'adaptation au changement climatique. La réforme a fait l'objet d'un large consensus et s’appuie sur la réalisation d’un calendrier ambitieux. Nous sommes au rendez-vous. Un nouveau dispositif d’assurance récolte est ainsi mis en place au premier janvier 2023, afin de protéger davantage les exploitants agricoles affectés par les événements climatiques.
C’est une réforme essentielle et structurante qui prend forme. Les paramètres retenus, en particulier sur l’application du règlement Omnibus, doivent permettre d’engager de plus en plus d’agriculteurs dans le système assurantiel : un système simple, protecteur, qui ambitionne la résilience des exploitations face aux effets du dérèglement climatique. Les décrets d’application et le cahier des charges sont en cours de publication et le message que je peux adresser aux assureurs c’est de proposer des offres attractives. Même si j’ai conscience de la nécessité de redresser l’équilibre économique du système assurantiel pour qu’il soit viable, la marche ne devra, en effet, pas être trop haute pour les agriculteurs qui n’étaient pas déjà assurés.
La succession des aléas interroge la notion de moyenne olympique mais ne doit pas nous empêcher de mettre en œuvre cette réforme essentielle. Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer dans votre média cet été, la moyenne olympique est un point qui doit être adressé au niveau de l’OMC sur un temps plus long pour le traiter au niveau multilatéral. En cela, l’ouverture exprimée par l'OMC sur une révision du cadre agricole mondial est à saisir en lien avec nos collègues européens.
La réforme de la certification Haute Valeur Environnementale (HVE) est vertement critiquée par des vignerons y voyant une trahison, issue d’un calendrier hâtif pour accéder aux écorégimes de la PAC sans prendre en compte les spécificités viticoles. Qu’en pensez-vous ? Quelles sont les marges de manœuvre ouvertes à la viticulture pour les points considérés bloquants (biodiversité, engrais, produits phytos) ? Ces critères seront-ils modifiables dans une deuxième phase (sur quel calendrier) ?
La filière viticole a porté une vraie dynamique sur la certification HVE, ce que je tiens à saluer. La question du suivi de la mise en œuvre du nouveau référentiel est abordée en Commission Nationale de la Certification Environnementale (CNCE). Un travail important a été mené avec des propositions équilibrées. Un certain nombre d’aménagements ont été décidés pour la filière viticole, notamment dans l’indicateur phytosanitaire avec la création de nouveaux items et des grilles plus favorables qui permettront aux exploitants viticoles de ne pas être pénalisés. Des mesures transitoires ont été mises en place. Enfin comme annoncé en CNCE un groupe de travail spécifique sur la fertilisation suivra la mise en place de ce nouvel indicateur.