Les anciens mettaient des pommes dans leurs cuves pour apporter de l’acide malique et aider la fermentation malolactique. C’était n’importe quoi, mais la légende perdure », assure Daniel Granès, directeur scientifique de l’Institut coopératif de la vigne et du vin (ICV). Dans sa cave expérimentale, il ne voit aucune corrélation entre la teneur du moût en acide malique et la durée de la malo. « Lorsqu’il y a peu d’acide malique, la phase de latence est parfois un peu plus longue. Mais comme les bactéries ont moins d’acide à consommer, elles mettent moins de temps à réaliser la FML », explique-t-il.
Un message qui ne passe pas. « Voyant cette année la faible teneur en acide malique des moûts, beaucoup de vignerons, craignant des difficultés, ont anticipé leurs achats de bactéries », témoigne Sandra Escot, chez Lallemand.
Finalement, à de rares exceptions près, « les malos se sont très vite déclenchées », rapporte Gaëlle Rifflet, œnologue à l’Enosens de Grézillac, dans le Bordelais. À tel point que cette conseillère a souvent vu les bactéries attaquer l’acide malique bien avant la fin des sucres. « Dans certaines cuves de rouge, le phénomène a débuté alors qu’il restait 30 g/l de sucres. Nous avons dû écouler et légèrement sulfiter pour assurer la fin de la fermentation alcoolique sans compromettre la fin de la malo. »
Des bactéries ont même pris le pas sur les levures dans des blancs et des rosés. « J’ai encore eu le cas hier [le 2 novembre, ndlr] sur un clairet qui patinait, poursuit Gaëlle Rifflet. À l’analyse, nous nous sommes rendu compte qu’il renfermait déjà moins de 0,2 g/l d’acide malique. Nous avons prévu de le levurer à nouveau. »
Chez Œno-service, propriété d’AEB, à Leynes, à mi-chemin entre le Beaujolais et le Mâconnais, Arnaud Lavesvre a vendu beaucoup de bactéries Armonia. « Les moûts blancs affichaient en moyenne 2 g/l de malique avant la FML. La teneur des rouges était plus variable. Les vignerons s’attendaient à des malos difficiles. Ils n’ont pas voulu prendre le risque d’avoir à chauffer leur cave alors que le prix de l’électricité flambe et qu’ils avaient des opportunités de mise en marché rapide », témoigne-t-il. L’œnologue a été lui aussi très surpris par le démarrage fulgurant des malos, y compris en l’absence d’ensemencement.
Comment expliquer le phénomène ? À Bordeaux, Gaëlle Rifflet a d’abord constaté que la teneur en acide malique avait été sous-évaluée lors des contrôles de maturité. « Trois jours après l’encuvage, l’acidité totale est souvent remontée autour de 4,5 g/l et l’acide malique de 0,8 à 1,2 g/l, contre 0,3 à 0,4 à l’encuvage », rapporte-t-elle.
La conseillère croit surtout que les malos ont profité des importantes populations de bactéries sur les raisins [lire encadré]. Daniel Granès le pense aussi : « En outre, les pH élevés ont facilité la tâche des bactéries. Les grenaches que nos clients ont laissés surmûrir n’affichaient plus que 0,3 g/l d’acide malique au moment des vendanges. Cela n’a pas posé la moindre difficulté pour les malos, alors que dans les caves pratiquant la thermovinification, les temps de latence ont été plus longs. »
Chargée de projets techniques et de valorisation R&D chez Lallemand, Marion Bastien s’est fait une règle. Pour savoir si des malos risquent de peiner, elle regarde le degré alcoolique, les teneurs en SO2 libre et total et la température des cuves avant de s’inquiéter de l’acide malique. « Entre 1 et 5 g/l, il ne pose pas de difficultés », assure-t-elle.
En fin de fermentation alcoolique, André Fuster a trouvé moins de 0,4 g/l d’acide malique dans des vins rouges de Bordeaux, du Languedoc-Roussillon ou de Provence. « Des vignerons ne se sont pas embêtés. Ils les ont tout de suite assemblés à d’autres cuvées ayant déjà fait leur malo pour leur redonner un petit peu d’acidité », relate le responsable technique d’AEB.