En gestation dans le vignoble du Beaujolais, la stratégie de montée en gamme compte transformer l’usage ponctuel de cuvées parcellaires en signe officiel débouchant sur une valorisation tarifaire. L’enjeu étant démontrer que le vignoble du Beaujolais est assis sur une mine d’or, la zone la plus avancée en la matière est logiquement celle des Pierres Dorées. Ayant déposé en 2018 un premier dossier de Dénomination Géographique Complémentaire (DGC) auprès de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), la section du syndicat des Beaujolais et Beaujolais Villages espère soumettre une nouvelle proposition d’ici la fin de l’année 2022.
En réflexion depuis une vingtaine d’années sur les vins blancs et rouges (les rosés ne sont pas inclus), ce projet témoigne de la diversité des terroirs du Beaujolais : « le vignoble le plus complexe géologiquement (avec l’Alsace) » souligne Benjamin Caumont, chargé de mission à l’Organisme de Défense et de Gestion des Beaujolais et Beaujolais Villages (ODG Beaujolais et Beaujolais Village). Se basant sur les cartes du terroir du Beaujolais, les propositions de délimitation parcellaire de la DGC s’affinent avec les rencontres de terrain et les dégustations cherchant à définir les critères organoleptiques des Pierres Dorées. « On cherche la concentration des vins » résume le vigneron Cyril Sapin, à la tête de la commission de dégustation du projet de DGC, qui passe au crible toutes les cuvées revendiquant actuellement la mention complémentaire des Pierres Dorées sur leurs déclarations de récolte.
Définissant le terroir des Pierres Dorées, un cahier des charges spécifique est en cours de rédaction. Si ses contours ne sont pas encore arrêtés, l’approche est bien esquissée avec une obligation de certification environnementale (bio, Haute Valeur Environnementale, Terra Vitis…), des rendements plus faibles (aux alentours de 45 à 50 hl/ha), une date de mise en marché décalée pour imposer un élevage (sous bois ou non), et une dégustation d’agrément définitif après la mise en bouteille de chaque cuvée (pour revenir à une forme de dégustation). Sans aller jusqu’à la création d’un cru, cette démarche exigeante doit « redonner de la notoriété au Sud du Beaujolais avec une belle DGC [regroupant] les meilleurs terroirs [et des] produits élitistes » indique Jean-Pierre Rivière, le vice-président de l’ODG Beaujolais et Beaujolais Villages.
Visant un maximum de 20 % des surfaces de l’AOC Beaujolais en Pierres Dorées, Jean-Pierre Rivière compter y trouver un argument pour « aider à réinstaller des jeunes. C’est l’émulation qui va créer de la valorisation. L’objectif est de vendre la bouteille [de DGC Pierres Dorées] au-dessus de 10 €, quand le prix moyen avoisine actuellement 6 € HT départ cave. » Pilotant la commission de communication des Pierres Dorées, le vigneron Benoît Merchier souligne l’« objectif de créer de la cohérence dans les prix. Ce qui manque dans le Beaujolais, entre ceux qui n’assument pas et ceux qui augmentent leurs tarifs. »


Réfléchissant à une capsule unique pour les cuvées titulaires de la DGC (achetable seulement quand l’agrément est obtenu), l’AOC compte reposer un dossier à l’INAO d’ici la fin 2022. Avec les temps d’analyse, de nomination de commissions (d’enquête et de délimitation territoriale), il y en aurait au moins pour 3 ans d’instruction estime Évelyne Lacondemine Barraud, chargée de mission à l’ODG Beaujolais et Beaujolais Villages. Qui suite un autre projet de DGC en AOC Beaujolais Villages : avec Lantignié, sur vins rouges et blancs. Étudiée depuis 2016, cette demande a pour objectif de pouvoir étiqueter "Beaujolais Villages Lantignié" et non "Beaujolais Lantignié" sur les cuvées. Visant également un dépôt à l’INAO d’ici la fin 2022, l’AOC construit actuellement son cahier des charges, qui doit comporter un volet agroécologique renforcé (agroforesterie, certifications…).
Les 10 crus du Beaujolais ne sont pas en reste, avec 5 crus engagés à différents niveaux de réflexion pour la création de "premiers crus" indique la juriste Cécile Robinet, chargée de mission à l’ODG des crus du Beaujolais, évoquant les crus Brouilly et Côtes de Brouilly, Fleurie, Juliénas et Moulin-à-Vent. Idéalement, l’ODG compte dépose un premier dossier à l’INAO d’ici la fin 2023. Particulièrement avancés, les crus de Brouilly et côte de Brouilly ont déjà déterminé 17 lieux-dits. « L’enjeu est d’aller vite sur le sujet du premier cru » souligne Emmanuel Jambon, qui siège à l’ODG et note que le dossier est hautement stratégique pour l’avenir du vignoble : « des vignerons ont appréhension sur prix, ils se disent que ça ferait peur aux clients. La thématique n’est plus là. »
« Monter en gamme va au-delà d’un dépôt de dossier à l’INAO, ça fait naître une fierté et une envie de valoriser les produits. C’est u grand projet structurant » analyse Nathalie Chuzevielle, la directrice de l’ODG des crus du Beaujolais. « Cette démarche fédère tout le monde : caves particulières comme coopératives. Ça créé beaucoup de dynamisme et redonne espoir à certains vignerons. Ça attire » confirme Jean-Pierre Rivière, rappelant que « ceux qui ne sont pas intéressés par la démarche continueront à produire du Beaujolais comme aujourd’hui ».


Ces sept démarches de montée en gamme sont soutenues par le négoce, qui y voit une réponse aux tendances de marché. « Cela constitue une promesse globale d’aller vers le terroir » indique Pierre Gernelle, le directeur général de la Fédération des Négociants-Eleveurs de Grande Bourgogne, qui a confiance dans la capacité de la filière à valoriser et communiquer sur ces nouvelles mentions sans tomber dans une pyramide des AOC incompréhensible pour les consommateurs : « quand on se trouve face aux attentes de fond du marché, on peut accompagner les clients vers un message qui est plus complexe qui a du sens ».