Joseph Helfrich : Nous n’affirmons rien ! Nous parlons de sélection. Nous avons décidé sur un certain nombre de domaines, on va dire le top, d’essayer de trouver une façon de les lier. Nous les mettons sous la famille Helfrich, pas uniquement de sang, mais [dans un sens] beaucoup plus large. Voici l’idée de ce travail fait en équipe. Nous segmentons énormément les circuits de distribution. C’est uniquement réservé aux cavistes et restaurateurs, pas seulement de France, c’est global.
Cette signature, est-ce une façon de passer un cap dans la valorisation de vos vins sur ces réseaux traditionnels ?
Valorisation, je n’aime pas le terme. On ne va pas vendre plus cher pour ça, il faut être clair, c’est un lien entre nos différentes propriétés dans ce circuit de distribution. Aujourd’hui, on essaie de débloquer de la notoriété et de faire de la notoriété entre ces propriétés.
Est-ce l’occasion de rappeler que la famille Helfrich est ancrée dans le vignoble ?
Vous ne m’en voudrez pas, il n’y a que les journalistes qui ne le savent pas. Nos clients savent comment nous sommes implantés, surtout à l’export (80 % des ventes du groupe). Nous ne faisons pas du vin de manière industrielle, nous sommes le premier vinificateur en France. Ce n’est pas parce que nous n’avons pas communiqué que nos clients ne le savent pas.
Le vignoble français sort d’un millésime chaotique : comment allez-vous gérer les pénuries qui s’annoncent et les hausses de prix ?
Les prix vont augmenter très fortement, c’est évident. D’après les estimatifs, on sait qu’en France on va globalement manquer entre 12,5 et 13 millions d’hectolitres. Ce qui fait, on va être clair, 2,5 fois la production de Bordeaux. Peu de gens le mesurent, mais c’est important d’être pragmatique. Le gros problème, c’est que 80 % [du vin manquant] est du blanc. On va forcément manquer de blanc. Nous avons géré comme nous avons pu en anticipant. Mais évidemment, on n’aura pas tous les vins. Comme par exemple Chablis. On est obligés de faire avec. Dans notre propriété au Jura, nous n’avons pas fait de récolte. Ce que l’on est en train de subir, on ne l’a pas subi depuis 70 ans au moins. 1991 n’a pas été aussi catastrophique que cette année. Il y a eu le gel, le mildiou, la sécheresse, des pointes de chaleur… et de la grêle, comme en Bourgogne du Sud. C’est difficile d’avoir plus de catastrophe. Même chose en Mancha, en forêt noire, en Italie du Nord… Et partout en blanc.
Concrètement, des gammes de GCF vont-elles manquer de vins ?
Que voulez-vous, je ne peux pas créer du vin ! La plus belle femme ne peut donner que ce qu’elle a. C’est clair, on va manquer de vins blancs. Chardonnay en priorité et sauvignon blanc après. Le colombard se porte un peu mieux. Au niveau mondial, il y a le même souci aux États-Unis, au Chili, en Nouvelle-Zélande… Alors qu’il y a une consommation mondiale de blancs et de bulles qui augmente, dans la suite logique des rosés (alors que les rouges baissent). On est obligé de rationner, mais on livre tous nos clients. La politique du groupe est de répondre aux besoins de tous nos clients. Pas seulement cette année, mais aussi les autres.
En parlant de politique de groupe, parmi vos confrères négociants, certains semblent avoir une approche d’achats "quoiqu’il en coûte". Comme on le voit actuellement dans le Beaujolais, pour les primeurs
Même avec les prix du "quoiqu’il en coûte" qu’ils ont eu, les producteurs dans le Beaujolais ont besoin de cet argent pour survivre. Nous avons une propriété et quand on ne récolte que la moitié, les frais fixes sont les mêmes et théoriquement les prix doublent. Mais si on double les prix, on est morts pour l’année d’après... Surtout au Japon. Il y a des efforts à faire de toute part.
Avec ces hausses annoncées des prix, y-a-t-il un danger de déférencement des vins français pour l’avenir ?
Forcément. En France, on restera sur une consommation de vins français, mais les augmentations de tarifs vont forcément réduire la consommation à l’export. Où l’on va perdre des parts de marché par rapport à d’autres pays, qui n’ont pas cette problématique. Il y aura des déréférencements, comme le Chablis au Royaume-Uni. De toute manière, on n’aura pas les volumes, que ce soit nous ou un autre. Le millésime est un vrai problème. Il n’y a pas de miracle.
Vous êtes connu pour avoir lancé la marque JP Chenet. La création d’une bannière familiale marque-t-elle un besoin de nouveau souffle ?
GCF est l’addition de grandes marques. Notre gamme est structurée, rien n’est laissé au hasard. Pour gagner une guerre il faut la préparer de manière militaire. Notre objectif c’est d’être dans les trois premiers de chaque région : c’est notre philosophie. Nous proposons des marques nationales et des spécialités régionales : nous croyons aux appellations.
D’après des échos, il semblerait que vous ayez des retards d’enlèvement chez vos fournisseurs sous contrat. Cela traduit-il une usure de la marque JP Chenet ?
Ça m’étonnerait que vous ayez entendu ça, ce n’est pas du tout le cas. On est justement en avance, et depuis plusieurs années.
Vous indiquez croire aux appellations. En matière d’AOC, quelles évolutions appelez-vous de vos vœux ?
Les AOC ont beaucoup de côtés positifs, mais un côté négatif est qu’elles ne bougent pas. Alors que les choses devraient s’adapter beaucoup plus vite. En Alsace par exemple, il est difficile pour un consommateur de s’en sortir et de savoir ce qu’il achète. Savoir si le vin est sucré ou non est un problème. A Bordeaux, il y a le problème de la limitation du sucre résiduel à 2 g/l sur les rouges, aller jusqu’à 4 ou 5 g/l est une question d’adaptation au marché. Le monde est grand : nous devons nous adapter, ceux qui ne s’adaptent pas disparaissent. C’est aussi simple que ça.