Il a fait 47°C à l’ombre et jusqu’à 56°C au moins dans les vignes pendant plusieurs jours, juste au moment de la floraison », relate l’ancienne directrice du syndicat de Pessac-Léognan, diplômée de SupAgro Montpellier. « Je n’avais jamais vu une telle vague de chaleur, même dans le Sud de la France », poursuit l’ancienne directrice de la cave de Sommières dans l’Hérault, désormais directrice de deux domaines, Le Vieux Pin et La Stella dans la Vallée de l’Okanagan, pour une superficie globale d’une quarantaine d’hectares en propre. Comme la floraison n’était pas au même stade partout, toutes les variétés n’ont pas été affectées de la même manière. « Sur certaines variétés et avec certaines expositions, on a eu des raisins brûlés. Si la floraison était toute proche, on a des grappes qui sont toutes desséchées, on n’a pas eu de formation de baies ».
Autre constat : le type de sol joue de manière significative. « Au moment de la récolte, je me rends compte que les vignobles dont la capacité de rétention d’eau était importante sont impeccables : la vigne a récupéré, les raisins se sont développés, les saveurs sont parfaites. En revanche, dans les zones où les sols sont très drainants, les feuilles ont jauni prématurément, les raisins ne se sont pas vraiment développés et on a de toutes petites baies avec des équilibres perturbés. Comme il y a très peu de jus, la quantité de sucre est forcément plus importante, le pH est très élevé et l’acidité très basse ». En termes de cépages, le pinot noir a souffert, les cabernets franc et sauvignon aussi. La stratégie déployée par Séverine Pinte a consisté à s’appuyer notamment sur l’irrigation : « Nous avons basculé toutes les vignes en irrigation au goutte-à-goutte la nuit et nous avons augmenté la quantité d’eau utilisée ». Dans cette vallée désertique, l’irrigation n’est pas une question de choix, sachant que la pluviométrie annuelle avoisine les 200 mm.
Séverine Pinte devra composer avec de très petites baies cette année et le risque de goût de fumée
Autres pratiques modifiées : les traitements. « Même si on arrête de traiter à 25°C, s’il y avait un peu de résidu, dès 8 ou 9 heures du matin les températures étaient trop élevées et ça brûlait tout de suite. On a donc pulvérisé moins longtemps et la nuit ». L’effeuillage a également été adapté : « En Colombie britannique, on a les mêmes degrés jours qu’à Montpellier, mais la saison dure un mois et demi de moins parce que la vigne débourre plus tard. Parfois, nous effeuillons pour augmenter l’exposition des grappes au soleil pour accélérer la maturité. Cette année on a laissé les feuilles jusqu’au dernier moment, à la veille de la récolte, pour protéger au maximum les baies du soleil ». Résultat : une récolte à deux vitesses. D’un côté la vendange des parcelles très stressées, où les raisins iront sans doute dans les cuvées d’entrée de gamme, puis par la suite, celle des raisins qui seront laissés à mûrir plus longtemps.
S’il est encore trop tôt pour évaluer la qualité du millésime 2021 – les vendanges ont débuté le 23 août – le risque est d’obtenir des vins avec des teneurs en alcool et des pH élevés. « La maturité physiologique est au rendez-vous, mais pour l’instant la maturité phénolique n’est pas encore là », note Séverine Pinte, qui devra éventuellement gérer des problèmes de goût de fumée par ailleurs. En effet, un incendie s’est approché du Vieux Pin fin juillet, dernier d’une série annuelle de feux de forêt depuis 2017. « La fumée était très présente mais elle est arrivée avant la véraison. Or, on s’est rendu compte que la véraison est l’étape clé où la vigne absorbe ces composés de fumée ». Là aussi, des stratégies ont dû être développées : « Au niveau des rouges, on essaie de réduire les macérations, d’avoir des fermentations à des températures plus fraîches pour essayer d’augmenter le côté aromatique et éventuellement masquer ce côté fumé. On fait des soutirages rapides pour essayer de « nettoyer » le vin le plus rapidement possible », explique l’œnologue. Reste à savoir quel sera l’impact à long terme sur les vignes dans ce climat rude : « Les vignes qui ont souffert n’ont pas eu le temps d’amasser des réserves. Donc si on a un hiver très froid, on aura peut-être une mortalité plus importante ». Et d’espérer que le mercure ne descend pas jusqu’à -22°C comme il a eu tendance à le faire ces dernières années à cause de la multiplication des événements climatiques extrêmes.
Séverine Pinte est également présidente du programme de développement durable de la Colombie Britannique, Sustainable Winegrowing BC. Avec comme mission désormais d’encadrer la mise en œuvre de la démarche de certification lancée en novembre 2020 dans la province, elle estime que la gestion de la ressource en eau y représente « un énorme challenge. Il y a une éducation à faire et de nouvelles configurations de l’irrigation dans les vignes à mettre en place parce que beaucoup de gens utilisent encore le système de l’aspersion où on perd environ 50% de l’eau », déplore-t-elle. Le dôme de chaleur va-t-il provoquer une évolution des mentalités ? « Cette année aura certainement un impact. Sera-t-il immédiat ? Il est trop tôt pour le dire ».