uand une matinée de conférences scientifico-économiques touche à sa conclusion, l’heure avancée du déjeuner fait rapidement ronronner d’impatience ses orateurs et auditeurs. Sauf si l’un des participants met les pieds dans le plat et relance les débats. Directeur commercial du négoce Barton & Guestier (groupe Castel), Philippe Marion a secoué la fin de la matinée sur le business model du Vin du cluster Inno’Vin (ce 21 octobre à Bordeaux Sciences Agro). « Les vins de Bordeaux ont le problème d’être trop austères à la dégustation. Aujourd’hui, quantité de vins de Bordeaux d’entrée de gamme ne trouvent pas preneurs. Il faudrait pouvoir leur donner plus de sucre pour qu’ils soient plus appétissants » lance le négociant bordelais.
« Je partage complétement [cet avis] » réagit immédiatement Eric Hénaux, le directeur général de l’union coopérative de Tutiac (4 000 hectares dans les appellations bordelaises), pour qui l’avenir du vignoble girondin passe par la conquête de nouveaux consommateurs dans le monde. « Quand vous faîtes une dégustation à l’aveugle auprès d’un panel de consommateurs américains, le profil qui sort le mieux à la dégustation c’est 9 grammes de sucre » souligne-t-il, estimant qu’« aujourd’hui, soit on fait de l’intégrisme et on continue à faire de l’AOC sans sucre et on a beaucoup de mal à répondre à la demande. Soit on déclasse en IGP ou vin de France pour récupérer de la capacité à s’adapter aux consommateurs […] élevés au Coca-Cola et aux boissons sucrées. »


Relancé, le débat sur l’adaptation des AOC ne peut pas être local et doit s’adapter à un cadre national, voire européen, souligne Bernard Farges, le président du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux et de la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie à AOC (CNAOC). « Oui, les consommateurs demandent des produits un peu différents. Oui, on pourrait monter à 5 grammes résiduels sans trop de difficultés à l’intérieur des règles collectives des AOC » pose le viticulteur girondin, mais « après, il y a la question de la stabilité des produits. Et de l’édulcoration, qui n’est pas encore dans la logique des AOC, sauf quand on s’appelle Champagne. »
Admettant qu’il faut travailler le sujet de la sucrosité des vins, Bernard Farges appelle à la réflexion sur d’autres pistes d’adaptation, nécessaires pour relancer la commercialisation des vins de Bordeaux : « c’est indéniable. Nos vins dégustés à table sont les meilleurs. Mais ils ne sont pas toujours funs quand ils sont dégustés seuls par rapport aux autres vins. Comme il y a de moins en moins de personnes qui consomment du vin à table, on a ce marché dont on se coupe et qu’il faut conquérir par une autre voie. »


D’autant plus que la mode des sucres résiduels pourrait déjà être passée. « Attention à ne pas sacrifier AOC à tendances qui peuvent disparaître » souligne Alexandre Imbert, le directeur de l’Union Générale des Viticulteurs de l’AOC Cognac (UGVC). « Qui est en capacité aujourd’hui de savoir ce que le consommateur va effectivement demander comme vin de Bordeaux dans 10 à 15 ans, le temps nécessaire pour mettre en ordre de marché le vignoble ? » renchérit Gwénaëlle le Guillou, la directrice du Syndicat des Viticulteurs Bio de Nouvelle Aquitaine (SVBNA). Estimant qu’« il faut de la flexibilité et la capacité revenir en arrière sans trop de dégâts. Se dire tout à coup que l’on va être un grand vignoble de production de blancs et de rosés permettra juste de perdre notre ADN et si le vin rouge est demandé dans 15 ans… »
Dans la filière vin, « ceux en charge des consommateurs sont plus aptes à évoluer que les producteurs qui sont fermes dans leur conviction de produire de la même façon » résume le professeur en économie Jean-Marie Cardebat (Université de Bordeaux). Estimant pour sa part qu’il « faut plus de flexibilité pour occuper les segments séduisant de nouveaux consommateurs en accompagnant les tendances. Quitte à s’en désengager quand elles sont passées. »
Le débat sur l'évolution du profil des vins bordelais reste entier pour la prochaine conférence scientifico-économique.