ui n’entend pas dans le vignoble l’impatience d’opérateurs souhaitant arracher des vignes après l’historiquement peu généreux millésime 2025 ? On peut désormais chiffrer ce besoin avec les résultats du sondage réalisé par FranceAgriMer en septembre-octobre et présentés ce jeudi 6 novembre aux représentants de la filière vin par la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard. Président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer, Jérôme Despey rapporte que 12 314 viticulteurs ont répondu au sondage, dont 4 511 voulant d’une nouvelle mesure de réduction du potentiel viticole et 1 709 se déclarant intéressés selon les conditions d’accès (dont la prime, inconnue). Parmi ceux intéressés, il y aurait 34 428 hectares à arracher : 11 821 ha en Languedoc-Roussillon, 8 384 ha en Nouvelle-Aquitaine, 5 701 ha en Vallée du Rhône et Provence, 3 958 ha pour le Sud-Ouest, 1213 ha en Val de Loire, 963 ha pour Cognac et les Charentes, 413 ha en Alsace, Bourgogne, Beaujolais, Jura et Savoie.
Sur ces 35 000 ha, « 20 % s’inscrivent dans un arrachage total d’un domaine pour arrêter l’activité et 80 % correspondent à un arrachage partiel pour adapter la surface à sa capacité commerciale. C’est un point très intéressant » souligne Jérôme Despey, notant que le vignoble du Languedoc-Roussillon est majoritairement demandeur d’arrachage partiel quand la moitié des surfaces s’inscrirait dans de l’arrachage total en Nouvelle-Aquitaine et dans le Sud-Ouest. Le sondage n’étant qu’indicatif, le président du conseil spécialisé vin pense que s’il y a une vraie campagne d’arrachage, « on ne sera pas loin des 50 000 ha. Pour comparaison, un sondage similaire de 2024 avait mobilisé 5 125 répondants pour des demandes de 15 400 ha d’arrachage définitif et 6 800 ha d’arrachage temporaire (un dispositif toujours demandé par la filière, mais pas débloqué réglementairement) : au final, le plan d’arrachage était dimensionné pour 30 000 ha d’arrachage définitif à 4 000 €/ha, avec une dotation de 120 millions d’euros de fonds nationaux (liés à la guerre en Ukraine), les demandes d’arrachage s’élevaient à 27 500 ha pour 25 500 ha qui ont été arraché sur l’année 2025. En tablant sur 50 000 ha à 4 000 €/ha, « quand on demande 200 millions €, on est dans la réalité de ce qui remonte du terrain » pointe Jérôme Despey.
« L’année passée, nous estimions le besoin d’arrachage entre 60 et 100 000 ha. Avec 20 % de répondants à l’enquête et 34 000 ha demandés. Nous sommes encore loin de cette estimation… » analyse Jérôme Bauer, le président de la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d'Origine Contrôlées (CNAOC), soulignant que ce résultat de sondage « est tout de même une très bonne base de réflexion pour la filière et le ministère : on voit qu'on ne peut plus attendre et qu'il faut un soutien fort pour nos exploitations en difficulté. »
Distillation en complément
Tout l’enjeu étant d’obtenir rapidement les « 200 millions € a minima » pour financer un arrachage définitif et de la distillation, qui serait combinée pour réduire les volumes sans marché et sans prix. « Il faut apurer les stocks qui pèsent. Avec une production tombant à 36 millions d’hectolitres, nous ne sommes pas loin de l’équilibre, mais les stocks continuer d’enrayer le marché » souligne Gérard Bancillon, le président de la Fédération des Vins à Indication Géographique Protégée (Vin IGP), qui rapporte que si la ministre indique recevoir chaque année les mêmes demandes de la filière, la crise est bien plus violente que prévue : « peut-être faut-il un équilibre de production à 33 millions hl ».
Pour recalibrer le potentiel de production à un tel niveau, encore faut-il financer l’arrachage demandé par la filière, avec un déblocage de la réserve de crise européenne et de fonds nationaux. Ce qui n’est pas sans poser de problèmes. Au niveau européen, des divisions existent entre les États membres à propos du financement communautaire de l’arrachage (l’Allemagne et la France sont pour, l’Italie contre et l’Espagne demande des justifications) et le commissaire européen chargé de l'Agriculture, Christophe Hansen, répétait à Strasbourg qu’il « préfère exporter nos vins plutôt que de détruire leur potentiel de production » (et ne relevait pas le sujet viticole dans son bilan officiel d’échanges avec le gouvernement français ce 28 octobre à Paris).
« Il faut engager un bras de fer avec le commissaire » réagit Jean-Marie Fabre, le président des Vignerons Indépendants de France, pour qui « quand on voit qu’il y a eu un financement de la distillation du Portugal sur la réserve de crise, la France doit pouvoir y accéder. La ministre s’est engagée à être notre meilleure avocate auprès du commissaire. » Alors que Christophe Hansen ne veut pas être le commissaire de la décapitalisation viticole, les 80 % de demandes d’arrachage partiel dans l’enquête FranceAgriMer sont un argument clé pour Jean-Marie Fabre : « quand on parle d’arrachage définitif, on ne parle pas que de sortie de métier » et les 80 % des surfaces s’inscrivant dans un arrachage partiel veulent « sont dans une dynamique de se recentrer sur ce qu’ils peuvent valoriser et se débarrasser de charges d’exploitation les entrainant vers le bas. 80 % ne souhaitent pas sortir du métier mais être soutenus dans leur recalibrage. »
Portée à la ministre, la demande de la filière de passer rapidement de l’enquête à un dispositif de soutien financier de 200 millions € se heurte à des négociations à mener avec Bruxelles pour aboutir. « La Commission a reçu la lettre de la France demandant des mesures de soutien » indique à Vitisphere son porte-parole Balazs Ujvari, précisant que « la Commission a répondu le 8 octobre. La Commission se réjouit de la poursuite des échanges avec les autorités françaises et de la réception des calculs plus détaillés demandés à ces mêmes autorités. »
Regrettant qu’il n’y ait pas d’avancée prévue sur l’accès aux réserves de crise avant la fin novembre (après la manifestation du samedi 15 novembre à Béziers et avant le salon Sitevi des 25-27 novembre à Montpellier), Jérôme Despey pointe que durant les 2h30 d’entretien avec la filière, la ministre a montré « son écoute très attentive, étant consciente de la gravité de la situation, de la fragilité des vignerons et du fait qu’il fallait apporter des réponses. Le sujet a été très bien reçu et compris de sa part. » Désormais, « le temps est vraiment venu d’avoir des réponses parce que le désarroi est là. Il faut que le commissaire délivre. On ne peut plus se permettre d’attendre des mois dans le contexte actuel. Tout retard accentuera le sentiment d’abandon, on ne peut pas se le permettre. La ministre nous a dit revenir vers nous d’ici la fin novembre pour apporter des éléments de réponse. On va veiller à ce que ça délivre. »
Cette impatience se retrouve dans les sentiments mitigés des participants de ce rendez-vous avec Annie Genevard. « Je suis satisfait de son écoute, mais inquiet concernant le calendrier et les engagements » témoigne Jérôme Bauer, rappelant qu’« au mois de juillet dernier nous avions déjà tout mis sur la table, l’enquête a été réalisée, j’attendais que la ministre annonce des actes forts et du concret, or celle-ci nous annonce ne pas avoir d’orientation de l’Europe et qu’elle ne sera en mesure de faire des annonces concrètes qu’à la fin du mois de novembre… Sur le terrain les vignerons sont à cran, et je les comprends ! Nous allons tout droit vers des drames pour nos exploitations si rien n'est fait et vite ! »
Même impression d’incertitude pour Gérard Bancillon, qui juge les choses « encore en suspens, parce qu’il n’y a pas de réponses concrètes et de grosses avancées notables. La ministre écoute, mais il faut que ses services travaillent rapidement les sujets évoqués. » Pour le viticulteur gardois, « la ministre est au fait de ce qui nous arrive, elle connait bien les dossiers, mais je ne suis pas sûr du tout qu’elle ait les moyens de répondre à nos attentes. Il va falloir que ça se bouge au niveau européen. Il y a des lignes qui évoluent, comme on l’a vu au comité mixte franco-italien-espagnol. » Alors que l’urgence est là sur le terrain. « Plus les jours et les semaines passent, plus la gravité de la situation est perceptible. On ne peut pas, à un moment où le secteur est aussi fragilisé, prendre plus de temps » ajoute Jean-Marie Fabre, relevant que « la ministre est consciente de la gravité et de la lourdeur du moment. Ce qui exige des réponses rapides, fortes, courageuses et à la hauteur. »
Annonces ministérielles
Si le ministère n’a pas finalisé l’aide de 10 millions € aux caves coopératives (la conclusion du rapport attendue fin octobre étant prolongée d’un mois), Annie Genevard a cependant annoncé des mesures concrètes de soutien à la filière ce 6 novembre. A commencer par l’amélioration des prêts de reconsolidation des dettes viticoles, actuellement très limités dans leur mise en œuvre. Annie Genevard a ainsi annoncé reconduire le dispositif pour 2026, l’ouvrir à la coopération et le réviser pour éviter l’impossibilité des entreprises demandeuses d’y accéder. « L’outil est actuellement déceptif » résume Jean-Marie Fabre, notant « l’écueil du critère des fonds propres, qui est obsolète, mais rend l’outil totalement inopérant, alors que l’étalement de la dette est urgentissime. » Rapportant que deux tiers des dossiers candidats à cette restructuration bancaire ont été retoqués sur le critère d’une baisse des fonds propres supérieure à 50 %, le vigneron demande la levée de cette condition, ainsi que l’augmentation du plafond des encours (fixé à 200 000 € actuellement). « La ministre a donné son accord pour redéployer l’outil dès 2026 avec un meilleur accès aux entreprises » relate Jean-Marie Fabre. Qui relève une autre annonce d’ampleur : la mobilisation pour la viticulture de 5 millions d’euros de prise en charge de cotisation de la Mutualité Sociale Agricole (MSA).
Il s’agit d’une réaffectation des fonds restants dans le dispositif de Prise En Charge des cotisations sociales pointe Jérôme Despey : un outil doté de 30 millions €/an et dont il reste 15 millions € à affecter pour le deuxième semestre 2025. Le besoin viticole de prise en charge des cotisations étant estimé à 17 millions €, la FNSEA, dont Jérôme Despey est le premier vice-président, porte un amendement au Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2026 (PLFSS) pour que 20 millions € supplémentaires soient fléchés vers la filière viticole. Une demande que la ministre a indiqué être prête à soutenir.
Parmi les dossiers évoqués, on trouve aussi la protection du revenu des vignerons, d’Egalim aux nouveaux outils européens. « Il nous faut avancer rapidement sur de la construction de valeur, notamment à travers des outils de pilotage et de régulation "filière" comme la mise en œuvre d'indicateurs de prix facultatifs permis par l'article 172 ter » alerte Jérôme Bauer. Qui souligne aussi l’importance du maintien des moyens de production viticole était un sujet clé, avec le cas emblématique du cuivre, fortement limité dans son nombre de solutions et ses modalités d’application. « Nous avons en priorité le fait de pouvoir encore produire… Donc accès à l’eau, réglementation phyto, renouvellement d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) » esquisse qui demande « un cadre règlementaire stable pour produire et vendre sereinement : c'est vrai pour la technique, mais aussi le social et surtout la fiscalité. »
Faut faire GAFAM
La filière s’étant notamment opposée lors de ce rendez-vous aux projets parlementaires de taxes comportementales (amendements au PLFSS de fiscalité accrue sur la consommation et la publicité). Comme elle s’est prononcée pour une protection de l’accès des vins au marché américain, les projets français de taxe pas des groupes du numérique (GAFAM) pouvant les exposer dans leur accès aux États-Unis (déjà secoué par les droits de douanes et taux de change défavorables). « La France veut jouer au chevalier blanc, et ça va encore retomber sur la filière viticole » soupire Gérard Bancillon. « La filière viticole n’a pas besoin de ce genre d’initiative ! La France veut jouer le bras de fer en parlant en premier pour passer devant, alors que les autres pays se taisent sur le sujet » abonde Jérôme Despey, pour qui « ça ne peut pas se repasser comme d’habitude et que le vin s’en prenne plein la figure avec des mesures de rétorsion ». Même alerte pour Jean-Marie Fabre, qui appelle à « reprendre rapidement les négociations sur les 15 % de taxes américaine (pour obtenir 0 pour 0) » et à « faire attention aux expressions dans le débat du budget d’idées de taxer les entreprises du numérique. Il ne faudrait pas que la France soit surexposée, sinon ce sera encore notre filière qui sera visée. »
Au sortir de ce rendez-vous fleuve, les représentants viticoles interrogés espèrent avoir cranté la mise en œuvre d’une rapide sortie de crise, s’appuyant sur la mise en œuvre du plan de filière (Cap’Vins). Désormais, « il faut des réponses dans les prochaines semaines sur les points urgents : l’arrachage et l’apurement des stocks, sur la consolidation bancaire des trésorerie, sur la préservation des marchés » rapporte Jean-Marie Fabre, qui conclut : « il faut passer aux actes. La grande erreur que l’on pourrait commettre, c’est d’être dans l’incapacité de mobiliser les solutions qui ont été exposées et qui sont bien connues. Sinon on verra des situations difficiles s’aggraver et des entreprises disparaitre. C’est une question de semaine. Nous devons pouvoir mobiliser ces dispositifs d’ici décembre à janvier. »




