écessité fait loi. La crise viticole s’exacerbant en Allemagne, son gouvernement a demandé à la dernière minute, le vendredi 19 septembre, que les outils de soutien au vignoble soient évoqués dans les questions diverses du conseil de l’Agriculture et de la Pêche du Conseil européen ce lundi 22 septembre. Représentant le ministre fédéral, Alois Rainer, la délégation allemande a rappelé qu’alors que le marché européen des vins se trouve dans une situation toujours plus difficile (« avec une consommation en baisse depuis des années sur les secteurs de la distribution et de l'hôtellerie-restauration, marchés d'exportation en baisse de la demande et barrières, des stocks élevés »), ses entreprises sont prises à la gorge : « de nombreux producteurs de vin ne sont plus en mesure de percevoir un revenu suffisant. Beaucoup d'entre eux sont confrontés à de graves problèmes de liquidités. Les faillites dans le secteur viticole ont des conséquences importantes, tant en amont qu'en aval. »
Unanimement partagé par les États membres ayant pris la parole à la suite de l’Allemagne (et la remerciant pour avoir mis le sujet à l’ordre du jour), ce constat débouche sur une proposition beaucoup moins consensuelle, comme en témoignent les conclusions de la fin 2024 du Groupe à Haut-Niveau sur la politique vitivinicole (GHN vin du 16 décembre 2024) ayant abouti à un projet réglementaire introduisant l’arrachage mais pas son financement communautaire (au sein du paquet vin arrêté par la Commission ce printemps et actuellement à l’étude au Parlement).


Pour l’Allemagne ce 22 septembre, le paquet vin est une nécessité urgente, mais il ne sera pas suffisant sans financement pour l’arrachage. « Les conditions du marché et la situation des revenus ne s'amélioreront pas sans une réduction du potentiel de production » indique la délégation allemande, qui demande « des efforts supplémentaires à l'échelle européenne, allant au-delà du paquet vitivinicole. Une option clé serait un programme paneuropéen d'arrachage similaire à celui mis en œuvre de 2009 à 2011. Outre les mesures permanentes, nous devrions également autoriser des mesures d'arrachage temporaire dans le secteur vitivinicole, complétées par des mesures de soutien écologique mises en œuvre sur les surfaces arrachées » pour éviter les risques de friche. En somme, l’Allemagne demande des financements pour le déploiement d’un arrachage définitif et la création d’un arrachage temporaire : les deux outils réclamés depuis des années par la filière des vins français.
Soutien français
Ayant récemment demandé pour la France l’accès à des fonds européens de réserve de crise afin de financer l’arrachage, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, « partage le diagnostic » allemand et la nécessité d’aboutir rapidement sur le paquet vin, en rappelant notamment « que dans les conclusions du GHN fin 2024, l’accompagnement à l’arrachage volontaire de vigne a été reconnu comme un outil important pour résoudre les effets de déséquilibres en offre et demande. J’invite dès lors la Commission à envisager l’ensemble des possibilités de financement via des crédits européens pour cet outil. Il est à craindre en effet que le recours à cet outil soit nécessaire dans les prochains mois. »
Une position partagée par la Pologne et la Croatie. Comme l’Autriche, qui « soutient la demande de l’Allemagne visant à un arrachage paneuropéen pour aider réduire les difficultés et stabiliser les prix », les autres gouvernements ayant pris la parole se montrent nettement plus réservés, pour ne pas dire opposés.
Tour de table très mitigé
La Hongrie indique être « convaincue que l’arrachage général n’est pas la forme de soutien approprié » et propose de « se concentrer sur les populations vieillissantes d’exploitants agricoles ». La ministre luxembourgeoise, Martine Hansen ne soutient pour sa part que « la proposition d’un régime d’arrachage temporaire en combinaison avec un dispositif environnemental sur les surfaces libérées » afin de lutter contre les friches. Pour le ministre grec, Costas Tsiaras, « la solution ne se trouve pas dans un programme paneuropéen d’arrachage » alors que la Grèce n’affronte pas d’enjeux de surproduction, mais perd des vignobles à cause du changement climatique.
Même rejet pour l’Italie, dont la délégation se déclare « opposée à ce programme d’arrachage qui pourrait affecter surtout les plus faibles » avec un risque pour l’image de la filière qui est attaquée, ainsi qu’un plaidoyer pour des vendanges en vert et la distillation de crise : « des programmes annuels de régulation de la production existent, mais il ne faut pas de mesures qui visent à réduire de manière permanente la production ». Plus partagée, l’Espagne demande des « études d’impact solides » de l’arrachage « sur les marchés et le tissu socio-économique régional/national/européen », tout en confirmant que si le « secteur viticole est confronté à une situation particulière qui correspond à une évolution structurelle sans retour en arrière possible », la nécessité d’agir impose d’abord d’« anticiper la législation secondaire pour appliquer rapidement les mesures du paquet vin », dont l’arrachage. Ministre portugais, José Manuel Fernandes appelle pour sa part à « des financements prévues dans la Politique Agricole Commune (PAC) pour promouvoir le vin, pas seulement sur les marchés extérieurs », mais aussi en Europe (par exemple sur des salons).


Face à ces nuances, le commissaire européen Christophe Hansen prend logiquement des pincettes pour conclure ce point en conseil des ministres : « la proposition de l’Allemagne de programme paneuopéen d’arrachage n’est pas partagée par toutes parties autour de la table » résume-t-il. Reconnaissant que « le secteur viticole est sous pression », l’ancien eurodéputé luxembourgeois martèle que « les financements européens sont limités ». Rappelant que le GHN n’avait pas entériné de consensus sur la question financière de l’arrachage, Christophe Hansen pointe qu’un arrachage « nécessiterait des mesures particulièrement chères avec des conséquences irréversibles pour les régions où cela serait mis en œuvre. De mon point de vue l’arrachage doit être appliqué de manière prudente, avec un niveau élevé de responsabilité et en coopération avec les autorités les plus proches du terrain sur la base d’une planification minutieuse. »
Plus concrètement pour le commissaire européen, les « fonds dans les réserves agricoles sont très limités et vous savez ce que cela veut dire. Les inondations, les sécheresses et tout autre défi auxquels vous êtes confrontés dans vos États-membres respectifs. Si l’on dépense tout l’argent pour des dispositifs paneuropéens d’arrachage, ça n’ira pas. Nous devons investir l’argent dans la promotion. » Évoquant un rendement du simple au double pour les investissements européens dans la communication agricole, Christophe Hansen continue d’appeler à la diversification des marchés pour sortir les vins de la crise : « il est important de chercher à ouvrir de nouvelles opportunités. Dans les régions viticoles que je visite, on me dit que l’on va disparaître si la consommation continue à diminue localement. Il faut exporter pour les garder en vie. » Le commissaire annonce se mobiliser pour ouvrir de nouveaux marchés, ayant visité en juin le Japon et la semaine passée l’Inde, avant d’aller au Brésil dans trois semaines. Alors qu’il doit se rendre prochainement dans le vignoble français pour une visite officielle, les vignerons lui rappelleront sans doute l’enjeu d’ouvrir le marché intérieur avec la création d’un guichet unique pour les droits d’accise dans le cas d’un envoi de bouteilles à un acheteur particulier d’un autre pays européen.
« Au vu des déclarations du commissaire européen Hansen, qui a également souligné le manque de soutien général des États membres, nous ne pouvons pas nous attendre à une réaction immédiate de Bruxelles » analyse Christian Schwörer, le secrétaire général de l'Association Allemande des Viticulteurs (DWV), qui met depuis des mois la pression sur le gouvernement allemand pour mettre en œuvre des mesures de crise. Comme l’arrachage temporaire via « la jachère tournante, qui doit être financée par les fonds initialement prévus pour les cultures permanentes » explique Christian Schwörer.
Le sujet du financement européen d’un plan d’arrachage définitif reste porté par la France, même par un gouvernement démissionnaire. Le mardi 23 septembre, lors d’une autre session du conseil européen, Annie Genevard a relancé Christophe Hansen pour « la mobilisation rapide de moyens européens, dont la réserve de crise », comme elle l’indique sur Twitter. Nécessité fait loi.