Il y a des décennies où rien ne se passe. Et il y a des semaines où des décennies se produisent » : l’adage attribué à Lénine se réalisera-t-il ce début novembre ? Cette semaine politique s’annonce cruciale pour l’avenir des vins de France. Du mardi 4 au mercredi 5 novembre se réunit le comité mixte France-Italie-Espagne à Rome, mettant autour de la table ministères et représentants du vignoble alors qu’approche la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC) et la question du maintien d’une Organisation Commune du Marché vitivinicole (OCM vin). Ce mercredi 5 novembre la commission agriculture du Parlement européen vote les amendements à la proposition législative d’évolution réglementaire vitivinicole européenne (le paquet vin, devant être voté fin novembre en séance plénière). Ce même jour a lieu un meeting viticole à l’initiative du Syndicat des Vignerons de l’Aude à 18h à l’espace culturel de Ferrals-des-Corbières (Aude) pour préparer la manifestation du samedi 15 novembre à Béziers (Hérault). Et ce jeudi 6 novembre les représentants de la filière vin sont attendus en matinée avec la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, reconduite en octobre au gouvernement et maintenue rue de Varenne depuis plus d’un an. Une forme de continuité qui permet à l’ancienne député du Doubs de tenir son engagement de fixer un plan de sortie de crise après sa rencontre cet été avec l'Association Générale de la Production Viticole (AGPV).
« Cette rencontre est attendue avec impatience par la filière » résume Jérôme Despey, le président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer. Entre le bilan de vendanges historiquement basses (36 millions d’hectolitres en 2025), des marchés atones (ne valorisant pas les surcoûts de production et chahutés par les tensions économiques et géopolitiques mondiales), une aide de 10 millions € aux caves coopératives qui se fait attendre (étant suspendue à un rapport devant être rendu fin octobre), une amélioration des prêts de reconsolidation (actuellement limités dans leur mise en œuvre), une aide aux trésoreries avec la prise en charges des cotisations MSA (Mutualité Sociale Agricole) et de la Taxe sur le Foncier Non-Bâti (TFNB) suite aux aléas climatiques, une protection des moyens de production viticole (avec le cas emblématique du cuivre, fortement limité dans son nombre de solutions et ses modalités d’application), une suspension des projets parlementaires de taxes comportementales (avec des propositions de fiscalité accrue sur la consommation et la publicité), des dispositifs pour garantir le revenu des vignerons (d’Egalim aux nouveaux outils européens), une protection diplomatique des vins aux États-Unis en ne surtaxant pas les géants américains du numérique (GAFAM)… Et l’élément central : la demande de la filière de débloquer des fonds européens et français pour financer une nouvelle campagne d’arrachage définitif.
« 200 millions € a minima sont attendus pour le plan de soutien à l’arrachage » rappelle Jérôme Despey, demandant un déblocage de la réserve de crise européenne à compléter par des fonds nationaux. Portée depuis des mois par le vignoble, cette demande se heurte à l’absence de soutien franc de la Commission européenne, qui acte les divisions entre les États membres sur le sujet du financement européen de l’arrachage (l’Allemagne et la France sont pour, l’Italie contre et l’Espagne demande des justifications). Cette fin octobre, le commissaire européen chargé de l'Agriculture Christophe Hansen répétait à Strasbourg qu’il « préfère exporter nos vins plutôt que de détruire leur potentiel de production » et ne relevait pas le sujet dans son bilan d’échanges à Paris avec le premier ministre, Sébastien Lecornu, et sa ministre de l’Agriculture (évoquant plus généralement « l'avenir de la PAC, le soutien aux régions ultrapériphériques et la protection de notre modèle agricole »), alors qu’Annie Genevard indiquait avoir « renouvelé auprès du commissaire la demande d’une réponse européenne urgente face à la crise de la filière viticole, précipitée par les tensions géopolitiques et leurs conséquences commerciales ».
Forte, l’attente du vignoble sur un nouveau plan d’arrachage n’est pas encore chiffrée. Ce jeudi, « il sera présenté lors de cette rencontre le bilan du dernier sondage sur l’arrachage » pointe Jérôme Despey, qui attend de la France l’obtention de fonds européens et le déblocage de crédits nationaux à la hauteur de la demande. Sachant que la filière vin poursuit ses travaux sur une distillation de crise couplée à l’arrachage, avec un usage en biocarburants.
Alors qu’un trio de sénateurs propose la tenue d’Assises de la viticulture début 2026, Jérôme Despey indique que s’il faut un tel évènement « pour embarquer tout le monde » il ne faut pas s’en priver, mais avertit sur l’ampleur de la crise dans le vignoble : « le temps des constats est passé, il faut délivrer. Le temps de l’action est venu ! » Le viticulteur languedocien souligne qu’un intérêt de ce rapport sénatorial « est de poser les questionnements sur l’économie, la commercialisation, le climat et les investissements auxquels la filière doit répondre au-delà des pouvoir publics ». Ce que le plan de filière compte prendre en charge, comme présenté ce début d’année dans son "Cap Vins". Un plan jugé moribond par les sénateurs, mais que Jérôme Despey défend par ses travaux sur la conquête de marchés, des travaux de R&D, des outils de construction de prix, une segmentation de l’offre, une étanchéité entre segments, une réduction du potentiel de production. « Je comprends que pour un certain nombre de personnes n’ayant pas travaillé ce plan cela peut paraître lointain ou abstrait. Mais ce sont des points à concrétiser et que nous porterons auprès de la ministre » souligne Jérôme Despey. Vivement le 6 novembre, pour une semaine où se produira une décennie ?




