l cause plus… Il flingue. « Si je vous ai choqué, honnêtement, ce n'est pas très grave. Si ça a permis de phosphorer, de provoquer vos réflexions par ailleurs, ça m'ira très bien » lance le journaliste et chroniqueur Olivier Dauvers au terme d’une demi-heure des plus iconoclastes pour les membres de la filière vin ce 21 octobre à Strasbourg, lors de l’European Wine Day. Se définissant comme le monsieur conso du groupe M6 (officiant aussi sur RTL), l’expert de la grande distribution n’a pas fait dans le détail. « Il n'y a pas une crise de surproduction. Ne vous trompez pas. Le sujet c'est pourquoi on ne consomme plus assez de vins et non pas pourquoi on en produit trop » pose Olivier Dauvers, l’ingénieur de Purpan (Haute-Garonne) reconnaissant qu’« évidemment on pourrait dire que l'un et l'autre sont liés, mais il faut quand même prendre le problème par le bon bout. »
Menant tambour battant sa conférence « sans faire dans la nuance », le chroniqueur originaire du Gers estime tout simplement qu’« il faut presque tout casser et tout reconstruire » et appelle la filière à sortir de sa zone de confort pour s’extraire d’une spirale décliniste : « les mêmes causes produisant les mêmes effets, dans dix ans on se retrouve ici et vous chroniquerez encore le fait qu'il y a trop de production ». Confirmant qu’« objectivement il y a un état d'urgence » sur la consommation de vin, Olivier Dauvers plaide pour une vision de marché dépassionnée, froide et clinique pour permettre une analyse juste. Commercialement, « le vin n'est pas un produit différent des autres (viande, yaourt…). C'est un produit où le client peut acheter ou ne pas acheter. Et pourquoi le fait-il ? C'est ça qu'il faut comprendre : les ressorts de consommation » explique le journaliste.
Transferts du vin vers la bière
Concrètement, les ressorts de la déconsommation d’alcool en général et de vin en particulier sont générationnels : les consommateurs de vin sont âgés et de classes sociales aisées, les jeunes consomment moins d’alcool en général et préfèrent la bière au vin. Sachant que la déconsommation de vin touche tous les âges (-37 % pour les plus de 65 ans et -48 % pour les moins de 35 ans entre 2019-2023 et 2007-2011 d’après Circana), comme le développement des bières (+32 % sur cette période pour les plus de 65 ans et +47 % pour les moins de 35 ans).
D’après les panels Nielsen IQ, 27 % des pertes de chiffre d’affaires des vins tranquilles en 2024 se sont faites au bénéfice d’autres boissons alcoolisées : +28 millions € pour les bières et +6 millions € pour les vins mousseux. En somme, « le marché naturel du vin est en train de se rétrécir » et « dans le même temps, il y a une bascule au sein des consommateurs d'alcool entre le vin et la bière. Le vrai sujet, c'est comment on crée de la désirabilité sur le vin par rapport à la bière, qui est aujourd'hui bien meilleure que le vin vis-à-vis de cette jeune génération » résume Olivier Dauvers, pour qui « vous avez un sujet dans la filière vin avec la bière. Ne faites pas semblant de ne pas le voir. »
Face à ces constats, « vous avez bien compris qu'il faut renverser la table. Sinon, il n'y a aucune raison que ça aboutisse » poursuit le chroniqueur, qui relève des tendances inspirantes pour relancer la filière vin. À commencer par le développement des ventes de vin rosé « désormais pas loin de se rapprocher du rouge » porté par « une compréhension de l'usage : le moment de consommation du rosé, je n'ai pas besoin de vous le décrire, vous l'avez tous compris. Le moment de consommation du rouge, alors là, c'est vachement plus compliqué, surtout pour des jeunes générations » prévient Olivier Dauvers.
Qui relève une deuxième tendance positive : le développement des IGP de cépage par rapport aux vins AOC : « quand on parle de cépage, on est sur un produit qui est plus facile à comprendre. Et vous, vous êtes en train de lui vendre la complexité d'un assemblage où vous avez 18 cépages, où le merlot rajouté en fin de truc fait toute la complexité... Personne ne comprend rien, à part vous, peut-être, et des experts, mais pas le consommateur » interpelle Olivier Dauvers, qui invective la filière : « arrêtez de me casser les pieds avec des sujets que je ne comprends pas. Le consommateur n'a pas votre connaissance. Il est con, le consommateur. C'est d'ailleurs la première syllabe. Je force le trait, vous avez bien compris. »
Mais au-delà de la provocation, le cépage est un outil de reconnaissance et de réassurance pour le client : « le coup d'après, ça va être plus facile de racheter un chardonnay puisque je sais ce que j'aime. Alors que quand vous me vendez des vins hyper compliqués, c'est la loterie. D'ailleurs, combien de consommateurs disent "j'espère que je ne me suis pas trompé" ? Vous imaginez la consommation d'un produit dont c’est le claim du client quand il rentre à la maison ? »
Se concentrer sur le consommateur
Le développement des ventes en bag-in-box (BIB) constitue une autre tendance positive à suivre pour Olivier Dauvers, qui appelle les producteurs réticents à sortir de leur tour d’ivoire : « n'oubliez pas que celui qui a le pouvoir, c'est celui qui vous fait vivre, c'est le consommateur. S'il a décidé que le fractionnement de sa consommation était la manière dont il voulait consommer une partie du vin qu'il va acheter, alors faites en fonction de lui. » Le BIB ayant une valeur d’usage, comme le rosé et les cépages : « ces trois tendances majeures vous donnent la clé de consommation. Je consomme un produit si je comprends ce que j'achète et si j'en comprends l'usage » résume le chroniqueur qui propose donc une révolution.
Revendiquant de ne pas faire dans la finesse*, Olivier Dauvers propose de répondre aux principaux défauts du vin : face à une offre pléthorique, élitiste et impénétrable pour le commun des consommateurs, il propose aux points de vente de réduire de moitié l'assortiment en GD et de mettre le consommateur au centre du rayon (avec des sélections par prix ou accords mets et vins, plus par région de production). Pour les opérateurs du vin, il appelle à « sortir de l'étiquette à la française. Il y a en a plein le cul de vos blasons, de vos typographies, de vos dorures à chaud, de vos superlatifs de grande réserve... » attaque le chroniqueur, qui cite des marques de bières plus décontractées : la quéquette, l'extralarge, la levrette… Appelant à un « marketing de l’audace », Olivier Dauvers conseille un repositionnement de marques du vin pour se rapprocher des consommateurs et de leurs usages.
Marques > AOC
Ce qui implique de faire primer les marques sur les AOC pour le consultant : « le monde n'est plus aux appellations, il est aux marques » assène-t-il, soulignant que si des appellations sont des marques (comme Champagne), il faut rehiérarchiser la présentation des vins pour que l’AOC cède le pas aux marques pour gagner en visibilité auprès du consommateur. « Je ne suis pas en train de dire qu'il faut tuer les AOP, l'INAO, que sais-je encore » nuance Olivier Dauvers, pour qui « une marque, c'est quelque chose qui définit une promesse qui va toujours être réalisée à peu près de la même manière ».
Appelant à la création de marques prenant le pas sur les AOC pour homogénéiser la lecture du marché, Olivier Dauvers conseille également de simplifier l’offre en retirant la mention de millésimes pour les vins vendus moins de 5 € qui n’apporte rien pour lui : « vous avez en face des gens qui ne sont pas capables de voir la différence », alors que se passer de cette information « n'a que des avantages : plus de souplesse dans la production et dans les assemblages, un lissage des prix d'une campagne à l'autre... » Faisant le show, Olivier Dauvers enchaîne les punchlines à faire naître le clash. Président de la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d'Origine Contrôlées (CNAOC), le vigneron alsacien Jérôme Bauer interpelle le conférencier sur la suppression du millésime : « je suis tout à fait convaincu, le millésime est une connerie pour les vins pas chers, mais seulement c'est bien la grande distribution qui le demande. Comment peut-on faire pour convaincre la GD qu'on n'a plus besoin de mettre un millésime ? »
« Est-ce que la GD met du millésime sur ses marques de distributeurs ? De moins en moins, elle a déjà fait ce mouvement » réplique Olivier Dauvers, critiquant une filière vin qui a « la fichue habitude d'oublier les faits, et parfois même de les rhabiller pour que ça serve vos convictions ». Appelant à une plus grande « ambition intellectuelle » dans le vignoble, le journaliste estime que « le sujet ce n'est pas la GD, c’est déjà qu'il n’y ait plus de millésimes de manière collective. Vous n'avez pas besoin de la GD pour ça. » Également interpellé par Jérôme Bauer sur le risque que des marques soient délocalisables dans leur approvisionnement contrairement à des AOC ancrées dans le terroir, Olivier Dauvers reste ferme : « à un moment donné, acceptez l'idée qu'il va falloir renverser la table et ne mettez pas de côté des solutions. Acceptez au moins de ne plus raisonner comme avant. Le terroir, n'est plus la clé pour le consommateur ordinaire. Peut-être qu'on produira du vin ailleurs, s'il est mieux compris par le client, mais ce n'est pas grave. »
Enfonçant le clou, le chroniqueur se veut prophétique : « si vous ne faites rien, vous allez quand même crever. À un moment donné, il faut qu'on vous le dise les yeux dans les yeux. Le niveau de consommation actuel est tel qu'on a trop de vignerons en France et en Europe. Donc il va falloir faire une sélection. Elle va se faire naturellement, c'est triste, socialement je suis totalement d'accord. » Secouant son auditoire, Olivier Dauvers apporte cependant un peu plus de nuance qu’il ne l’assume : « je ne vous dis pas que j'ai la vérité en vous montrant quelques exemples comme ça, mais je veux juste vous provoquer sur le fait qu'il va falloir changer la façon de le vendre. » Ne nous fâchons pas…
* : « Ça manquera un peu de nuance par moment, mais de toute façon, vous n'êtes plus au stade de la nuance. Vous êtes au stade de vous faire challenger » martèle Olivier Dauvers.




