ous le patronage de figures historiques de l’Å“nologie bordelaise, Jean Ribéreau-Gayon, Émile Peynaud, Jacques Blouin ou Denis Dubourdieu, la sixième édition de Connaissance et travail du vin vient de paraître aux éditions Dunod (448 pages, 49 €) souhaite « rappeler tout l’intérêt des connaissances de l'Å“nologie pour guider les vinificateurs, dans leurs intuitions, dans leurs choix » explique le professeur Philippe Dariet, le directeur de l’Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV à Bordeaux). Ayant actualisé l’ouvrage paru en 1971 sous la signature du père de l’Å“nologie moderne Émile Peynaud et révisé en 2012 par le chercheur Jacques Blouin (voir encadré), la faculté d’Å“nologie de Bordeaux* promeut l’élaboration « des vins originaux, valorisant les cépages et les terroirs, ces connaissances n’étant pas un registre de pratiques à vocation de développer une typicité standardisée des vins » précise Philippe Dariet.
Défendant une approche d’élèvement technique et non de nivellement organoleptique, les auteurs de Connaissance et travail du vin réagissent à l’exhortation « au cellier, ne faites rien ! » par l’analyse « d’un regard paradoxal sur un produit millénaire, pourtant symbole culturel de nombreuses civilisations, et dont la dimension anthropologique est évidente. De fait, l’Å“nologie, à la fois science appliquée et technologie, peut se trouver considérée parfois, à tort, comme un outil de banalisation de l’expression sensorielle du vin, un procédé de standardisation du goût. Sans doute, chez quelques technologues égarés, cette dimension existe mais là n’est pas le rôle de l’Å“nologie. » En la matière, Émile Peynaud professait dans sa préface de 1971** que « produit par le travail de l’homme, le vin en définitive vaut ce que vaut l’homme et l’ignorant ne fait du bon vin que par hasard. L’Å“nologie n’est pas une science abstraite ; elle est née de la recherche de solutions à des problèmes pratiques » (de physique-chimie, de biochimie, de microbiologie…).


Plus récemment, le professeur Denis Dubourdieu disait que « vinifier consiste à guider le phénomène naturel de la transformation du raisin en vin pour atteindre l’objectif esthétique que l’on s’est fixé, en intervenant le moins possible, mais à bon escient ». Ce qu’Antoine de Saint-Exupéry résumait par le constat que « la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retrancher » (Terre des Hommes, 1939). Concrètement, « à partir d’une matière première donnée, l’univers des possibles n’est pas infini » écrivent les professeurs Axel Marchal et Philippe Darriet dans l’édition 2024 de Connaissance et travail du vin, pointant qu’« il serait bien naïf de croire que l’expression du lieu dans un vin est une évidence qui s’obtient sans effort, qu’elle relève de l’immanence. Elle requiert au contraire une heureuse combinaison de connaissances et de savoir-faire. »
Se penchant sur la notion de vin nature, les deux Å“nologues bordelais notent que « rigoureusement, le vin n’est pas un produit de la nature » ne serait-ce que parce que « le vignoble consiste en une surconcentration de pieds de vigne, dont l’architecture est modelée par la main de l’Homme ». Dans l’offre actuelle des bouteilles nature, « certains de ces vins, embouteillés jeunes, sont exquis, tandis que d’autres, revendiquant une originalité de goût ou une référence au terroir, sont en fait révélateurs de grossiers défauts dans la maitrise de la vinification et de l’élevage : caractères d’oxydation, odeurs d’écurie, de cage à souris, etc. qui traduisent une méconnaissance des recommandations de l’Å“nologie. » Ce qui amène les chercheurs bordelais à relever un paradoxe : « alors que l’idée directrice de leur concept est la négation de la technique et la primauté de la nature, leur élaboration nécessite, pour éviter les défauts qui risqueraient d’en masquer l’identité, un savoir-faire technique et une rigueur incomparable. L’une des manifestations de ce paradoxe est la revendication par certains producteurs ou observateurs d’un "goût nature", commun à des vins de régions, de cépages et de terroirs différents, qui, s’il est avéré, est la démonstration de l’effacement de l’origine au profit de la façon de faire le vin ! »
Dans tous les cas, le « seul "maître du vin" » reste « le consommateur – l’Å“nopote – qui, dans le cadre d’un consommation raisonnable, savoure le Plaisir dans le verre » concluait Jacques Blouin dans sa préface de 1972.
* : Soit les enseignants-chercheurs Philippe Darriet, Laurence Geny-Denis, Rémy Ghidossi, Patrick Lucas, Axel Marchal, Claudia Nioi et Sophie Tempère de l’Université de Bordeaux, avec la chargée de recherche Soizic Lacampagne et l’ingénieur de recherche Alexandre Pons de l’ISVV, ainsi qu’Isabelle Masneuf-Pomarède de Bordeaux Sciences Agro.
** : Émile Peynaud faisait de son ouvrage de vulgarisation le préambule à la lecture du Traité d’Å“nologie et d’Analyse et contrôle des vins de son professeur, la figure tutélaire Jean Ribéreau-Gayon. « Bien qu’il ne porte pas sa signature, ce livre est profondément imprégné de ses travaux et de sa doctrine » écrivait son « premier élève ».
Et si vous pensez que le monde du vin a beaucoup changé cette dernière décennie (entre changement climatique et déconsommation), Jacques Blouin pointait dans sa préface de 2012 qu’à l’époque de la première édition de 1971, « il y a deux générations, on ignorait les ordinateurs personnels, le téléphone portable, le GPS... Mais aussi la lutte efficace contre la pourriture grise, la machine à vendanger, la maîtrise efficace des températures, les levures sèches actives, la filtration tangentielle… On discutait de la fermentation malolactique comme bienfait ou maladie du vin, les laboratoires d’analyses étaient à peu près les mêmes que du temps de Pasteur, le "goût de bois" était un défaut… » Et la crise du vin n’était pas inconnue à l’épique, « la surface du vignoble mondial a chuté de 24 % (7,6 millions d’hectares), sa production de 14 % (266 millions d’hectolitres), la consommation de 12 % (238 millions d’hectolitres) » notait le chercheur, évoquant déjà les changements sur la place du vin dans la société : « la consommation de vin-boisson s’est effondrée. Le "gros rouge", le "six étoiles"... sont (heureusement) inconnus des plus de vingt-trente-quarante ans. On est passé au BIB, au bar à vins, aux rubriques vineuses dans toute la presse... »