yant accompagné de nombreux vignerons du Beaujolais dans l’observation au microscope des pieds de cuve et des moûts en fermentation lorsqu’elle travaillait pour la Chambre d’agriculture du Rhône, l’œnologue Delphine Engel a fait un saut à la maison des vins de Tain-L’Hermitage ce 5 septembre pour partager son expérience à 12 vignerons venus de la Drôme, d’Ardèche, et même de Haute-Loire et de Haute-Savoie. La majorité réalise des vinifications carboniques en grappes entières sans levures sèches actives. Qu’ils fassent ou non des pieds de cuve et soient équipés d’un système de refroidissement, tous ces vignerons ont déjà dû faire face à des piqûres acétiques ou lactiques. Ils espèrent que le microscope les aidera à mieux lutter contre la flore indésirable.
Avant de passer derrière la paillasse et d’observer les moûts qu’ils ont amenés avec eux, Delphine Engel fait un tour de table pour lister les conditions d’une bonne fermentation.
Les vignerons pensent d’abord à la teneur en azote assimilable des moûts. « Elle doit être comprise entre 140 et 200 mg/L en fonction de la richesse en sucres, et n’est pas si élevée cette année malgré l’importante pluviométrie du printemps », prévient l’œnologue. Ils pensent ensuite à la température de la vendange. Delphine Engel leur préconise de refroidir les grappes à 15°C pour sélectionner les levures au détriment des bactéries. « Jouer sur le pH est également une bonne idée », continue l’œnologue. Dans la salle, personne ne veut acidifier. Le pH idéal de Saccharomyces cerevisiae se situant autour de 3,2, « voire 3,4, mais pas 4 », Delphine Engel propose d’autres solutions, comme de vendanger deux à trois semaines plus tôt des raisins très acides et de congeler le jus pour l’ajouter dans les fonds de cuve. « Vous pouvez le faire sur les parcelles tardives qui vous embêtent parce qu’elles n’arrivent jamais à pleine maturité, indique-t-elle. Rajoutez 1 hl de jus acide dans une cuve de 5 hl, c’est suffisant. »
A ceux qui acceptent de sulfiter, Delphine Engel conseille 1 gramme par hl de jus de fond de cuve pour « secouer les bactéries et Kloeckera apiculata, la levure qui vous embête lors des macérations en grappes entières ». Elle préconise aussi de priver la flore indigène d’oxygène entre la récolte et le départ de la fermentation, et rappelle l’importance de l’hygiène en cave, en conseillant d’arrêter d’utiliser le karcher en cas de contamination par des Brettanomyces pour éviter leur dispersion.
Après leur avoir donné la recette d’un bon pied de cuve, l’œnologue apprend aux vignerons à reconnaître les principales levures et bactéries pouvant être présentes durant la fermentation. Elle les invite à passer derrière un des huit microscopes mis à leur disposition. Ces appareils sont capables de faire un grossissement x600. Les vignerons déposent une goutte de leur moût en respectant un angle de 45° entre la pipette et la lamelle sèche. Certains testent une cellule de Malassez, plus pratique à utiliser et permettant de décompter les populations. Certains ajoutent du bleu de méthylène pour distinguer les cellules mortes. Ils attendent 10 minutes, le temps que les vivantes excrètent le colorant et que les éventuelles bactéries, 40 fois plus petites que les levures, sédimentent. « Vous pouvez profiter de ce temps pour déguster vos échantillons, sans laisser la lame sous la lampe pour éviter que le liquide s’évapore », indique Delphine Engel.
Les vignerons peuvent enfin se pencher sur l’oculaire et faire la mise au point en jonglant avec la petite et la grosse molette. En observant tour à tour les moûts de leurs voisins, ils découvrent des levures Saccharomyces, des Kloeckera apiculata reconnaissables à leur forme de citron, des Schizosaccharomyces démaliquantes, et toute une flore indésirable qu’ils comptent surveiller de plus près lors de ces vinifications.