uand un article de recherche entre en résonnance avec une aspiration vigneronne. Développée en 2023 par le professeur Ronan Raffray, directeur du master en droit de la vigne et du vin de l'Université de Bordeaux, l’idée d’une Appellation d’Origine Durable (AOD) a immédiatement tapé dans l’œil du vigneron Frédéric Berne, fondateur en 2017 de l’Association Vignerons & Terroirs de Lantignié (VTL). « J’ai tout de suite vu la fusion entre la qualité et l’environnement : c’est le même combat que le nôtre » indique le producteur du Beaujolais lors du colloque sur "les voies multiples de l'appellation d'origine durable" se tenant ce vendredi 8 novembre à la Cité du Vin (Bordeaux). VTL portant son origine une demande de montée en cru pour son village du Beaujolais (320 hectares pour une quarantaine de producteurs), Frédéric Berne rapporte qu’il s’agissait dès l’origine d’« entremêler qualité et environnement [pour à l’avenir] cultiver sur des terres fertiles et avoir des plantes saines, produire des vins de qualité, vivre de son métier, créer un réseau d’entraide ».
Pour le vigneron du Beaujolais, Lantignié a tout le potentiel pour devenir le premier vin AOD, l’association s’étant progressivement imposée un cahier des charges de plus en plus cadré : interdiction des engrais chimiques de synthèse en 2019, interdiction des pesticides de synthèse à l’exception des désherbants en 2020 et obligation de certification bio en 2024 au lancement de la marque VTL. Des obligations qui sont contrôlées, ce qui a causé le départ de 15 des 30 premiers adhérents de l’association. Qui indique avoir suivi l’installation d’une dizaine de néovignerons depuis sa création. Le cahier des charges de VTL réduit également les doses de sulfites autorisés, le désir de réduire les macérations préfermentaires à chaud, un souhait de privilégier les levures indigènes pour la fermentation alcoolique, un délai plus long avant la commercialisation…


Rapportant que l’Organisme de Défense et de Gestion des appellations Beaujolais et Beaujolais Villages avait pleinement soutenu ce projet de montée en gamme de l’AOC face à l’effondrement des villages*, « on a servi de dossier pilote », Frédéric Berne partage l’impression de se heurter désormais à « un plafond de verre ». Si aucun veto n’est opposé au projet d’un cru intégrant des engagements environnementaux, l’ancien président de VTL s’impatiente de ne voir aucune avancée : « tout le monde dit qu’il faut rentrer des mesures environnementales dans les cahiers des charges, mais on sent une tendance au protectionnisme, à vouloir rester dans sa zone de confort. Certains peuvent être agressifs, disant que si notre initiative marche, ils vont être obligés de faire pareil. » Un conversatisme qui semble généralisé : « on a l’impression que tout changement au sein de l’AOC semble [politiquement] vécu comme un combat : c’est laborieux, compliqué. L’inertie est assez forte » témoigne la journaliste Julie Reux (contributrice sur Vitisphere et autrice de Vinofutur).
Ballon d’essai
Le projet de cru de Lantignié est le candidat idéal pour la première AOD estime le professeur Ronan Raffray, séduit par « l’argumentaire d’un cru d’un genre nouveau. Sui generis comme disent les juristes : de son propre genre. » Ayant partagé une idée de prospective juridique « pour poser des questions au regard de la période charnière » que traverse la filière vin, l’enseignant propose la piste d’une appellation garantissant toujours l’origine et la qualité, auxquelles s’ajoute la durabilité. Une dimension qui est spontanément mobilisée par les vignerons émergents pointe Ronan Raffray, citant le cas du vignoble breton : « pour eux, la définition d’une appellation n’est pas tant le choix du cépage que des engagements durables ».
En témoigne le vignoble belge, où en Wallonie la réforme actuelles des appellations travaille à l’intégration de critères de durabilité, comme le rapporte Anouck Stalport, enseignante-chercheuse à la Haute École Condorcet. Pour les vignerons de Lantignié, l’AOD a l’intérêt d’offrir « un cadre officiel pour faire reconnaître à la fois la qualité de l’origine et les pratiques environnementales vertueuses » avance Frédéric Berne, qui fait état de la performance économique de l’association AOC + logo VLT. « Nous arrivons de mieux en mieux à vivre de notre métier. C’est un gros point positif : économiquement on y est. Nous arrivons à valoriser notre travail : c’est audible, compris et ludique » pointe-t-il.


Ça tombe bien, « l’appellation, c’est la différenciation » résume Jacques Gautier, inspecteur national à l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), alors que le temple des AOC vient de signer en mars dernier un contrat d’objectif et de performance devant répondre aux nouveaux enjeux sociétaux, dont la durabilité (intégrable depuis 2016 dans les cahiers des charges AOC avec les 15 mesures agroenvironnementales types). Il n’y a plus qu’à auditer la possibilité d’une passerelle entre AOC et AOD. Cité par Ronan Raffray, Henri Bergson disait que « l'avenir n'est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire ».
* : Au lancement de l’association, « on voyait chaque année une baisse du nombre de vignerons dans notre village, une baisse des ventes… On voyait nos villages en phase de s’effondrer » indique Frédéric Berne, pointant des modèles à bout agronomiquement (vignes trop âgées, sols pauvres en matière organique...). En réaction, l’association VLT a misé sur la formation (technique et commercial), la communication (auprès de la presse et du grand public) et la constitution d’un dossier de montée en cru (pour l’INAO).