José Luis Benítez : Nous prévoyons une récolte moyenne par rapport aux derniers cinq ou dix ans, soit entre 38 et 40 millions d’hectolitres de vins et moûts. L’Espagne centrale et du sud représentent autour de 60-65 % du total donc ce sont des régions décisives. Il y a des variations régionales : la Rioja, par exemple, prévoit une production légèrement plus faible que prévu et Ribera del Duero a souffert de gelées printanières. La Catalogne s’attendait à une meilleure production que l’an dernier mais au final elle pourrait être plus faible tandis que des secteurs comme Jerez et Rias Baixas misent sur une récolte normale ou au-dessus de la moyenne.
Comment ce volume sera-t-il accueilli par le marché ?
La principale problématique concerne la commercialisation des rouges. Nous avons débuté la campagne avec les stocks les plus faibles de ces dernières années. Cela devrait engendrer des attentes positives, mais ce n’est pas le cas car le marché mondial ne se porte pas très bien, surtout pour les rouges. L’orientation des prix des blancs est plus positive. Globalement, nos prix n’ont pas chuté comme ils l’ont fait dans d’autres régions productrices comme la Californie, où beaucoup de producteurs sont en difficulté, leurs raisins ne trouvant pas preneurs. Je ne pense pas que nous assistions à ce phénomène en Espagne. Je pense que les caves achètent les raisins. Certes, les prix n’ont pas beaucoup progressé, sauf dans des zones bien spécifiques comme la Catalogne pour le cava ou Ribera del Duero, mais ils n’ont pas chuté non plus. Sur le marché intérieur, on ressent une certaine reprise, le marché progresse. Les données émises par les principales appellations montrent une augmentation des ventes. Il en est de même à l’exportation, même si le climat n’est pas euphorique.
Le mois dernier a eu lieu la première réunion du groupe de haut niveau mis en place par la Commission européenne. Quels ont été les points clés de la réunion pour la FEV ?
Le principal résultat de la réunion, c’est le fait qu’elle se soit tenue ! Que la Commission ait décidé de réunir un groupe à haut niveau constitue un point très important : cela montre que la Commission et les Etats membres considèrent que les problématiques du secteur sont telles qu’elles doivent être traitées de manière spécifique. Ceci étant, on dirait qu’au niveau européen il n’y a pas de réelle concertation avec la filière. A l’origine, la réunion devait avoir lieu entre la Commission et les Etats Membres et pour les mois à venir, l’ouverture aux propositions de la filière n’est pas claire. En collaboration avec notre représentant européen, le Comité Européen des Entreprises du Vin (CEEV), nous avons publié un document qui réunit nos propositions. Parmi nos priorités figure le changement climatique, où nous avons été pionniers. Nous voulons également que la Politique Agricole Commune (PAC) conserve une orientation marché et que les fonds dont nous avons besoin pour la promotion, l’innovation et la réponse au changement climatique ne soient pas priorisés pour la résolution des problèmes. Nous sommes également particulièrement préoccupés par le débat autour du vin et de la santé, parce que nous pensons que la légitimité du vin est en train d’être mise à mal par un grand nombre de personnes. Nous voulons que le groupe à haut niveau définisse la future PAC, l’engagement en faveur du vin au sein de la PAC, et nous pensons qu’il peut servir à cela.
Quelle est la position de la FEV sur les arrachages comme moyen de réduire le potentiel de production ?
Nous ne sommes pas favorables aux arrachages, mais nous ne sommes pas totalement opposés au fait que la Commission apporte de l’aide sur ce volet. Si certaines régions ont besoin de soutien à ce niveau, nous voulons que ce soutien réponde à certaines conditions. Les fonds devraient provenir des mesures de restructuration et non pas de la mesure en faveur de la promotion, par exemple. De même, on ne peut pas soutenir l’arrachage d’un vignoble qui a été planté il y a une dizaine d’années – ce ne serait pas acceptable pour les contribuables. Par ailleurs, l’arrachage ne peut pas rendre les régions plus productives avec moins d’hectares plantés. Cela s’est déjà produit. Il faut que les fonds destinés aux arrachages fassent l’objet d’un contrôle rigoureux. Ils ne peuvent pas servir à arracher de vieilles vignes qualitatives à faible rendement dans l’objectif d’augmenter la productivité. Nous allons défendre ce point de vue. Globalement, nous ne sommes pas opposés aux arrachages mais nous ne sommes pas favorables à des mesures indifférenciées.
Plusieurs syndicats agricoles espagnols ont demandé l’interdiction des nouvelles plantations dans l’Union Européenne d’ici 2027 et des arrachages temporaires soutenus sur des périodes de 3 à 6 ans. Quelle est la position de la FEV là-dessus ?
Les arrachages temporaires sur 3 à 6 ans ne nous posent aucun problème. Les caves peuvent ne pas avoir besoin de droits de plantation aujourd’hui mais souhaiter y avoir recours à l’avenir. Concernant une interdiction des plantations nouvelles, si l’on prend l’exemple de l’Espagne, il n’y a pas eu d’augmentation importante des superficies plantées ces dernières années, donc c’est déjà une réalité. Mais de notre point de vue, si certaines zones d’appellation ont des marchés et sont en croissance, elles devraient pouvoir planter. Sans doute que l’UE n’a pas besoin de superficies supplémentaires, mais qui dit interdiction de planter, dit interdiction pour tout le monde. Or, il se peut que certaines régions comme la Champagne, la Bourgogne ou le Barolo, par exemple, aient besoin d’étendre un peu leurs vignobles. Nous pensons par ailleurs que, si des régions comme Bordeaux touchent des fonds pour arracher, ce serait un non-sens que de les laisser planter de nouveau.
Parmi les différentes mesures envisagées pour réduire le déséquilibre entre l’offre et la demande, quelles sont celles que préconise la FEV ?
Il me semble que la vendange en vert représente une bonne mesure pour certains viticulteurs en difficulté. Elle fait partie des mesures que l’on peut choisir dans l’enveloppe et elle me semble très utile. Le problème, c’est qu’avant la crise du Covid, elle n’avait jamais été utilisée en Espagne et le calendrier n’était pas bon : comment décider en avril s’il fallait pratiquer la vendange en vert ? De même, un autre critère rendait la mesure quasi inutile : il fallait que la vendange en vert soit appliquée à l’ensemble de l’exploitation et non pas à la parcelle. Certaines parcelles pouvaient le nécessiter mais pas toute l’exploitation. Pour la distillation de crise, nous ne l’approuvons pas. Pendant le Covid, il faut reconnaître qu’elle a été indispensable. Mais au final, elle coûte très cher et distiller 1, 2 ou 3 millions d’hectolitres ne résout rien, surtout si c’est pour produire les mêmes quantités l’année d’après. Nous y sommes totalement opposés.
Sur le volet promotion, des personnalités comme Miguel Torres et Pedro Ferrer estiment qu’il faut améliorer l’image et la valorisation des vins espagnols à l’international. Quelles mesures la FEV prend-elle pour y parvenir ?
Il s’agit d’un des principaux axes de notre plan stratégique qui est sur le point d’être finalisé et s’appliquera aux cinq prochaines années. Clairement, les gens ne boiront pas plus à l’avenir et pour assurer la pérennité de la filière, nous devons fournir moins de vins à des positionnements prix plus élevés. L’Interprofesional del Vino de España a été fondé en 2014 pour coordonner les actions de promotion des appellations, l’ICEX et d’autres organismes sur les marchés national et international. Nous ciblons prioritairement la gastronomie et la haute gastronomie en tant que passerelles pour promouvoir les vins espagnols. L’ICEX a mis en place un dispositif de certification de plus de 400 restaurants dans le monde. Nous travaillons sur un plan de collaboration entre l’ICEX, l’Interprofesional et le ministère de l’Agriculture. Le ministère a accepté notre proposition de scinder les grands vins espagnols en catégories pour les mettre en avant à l’occasion d’événements importants. La Barcelona Wine Week représente également un aspect important de notre stratégie de promotion, nous permettant de promouvoir l’image des vins de qualité espagnols en bouteilles. Nous considérons aussi l’oenotourisme comme un axe majeur pour mieux valoriser nos vins.
La consommation de vin en Espagne a progressé de 1,3 % pour atteindre 9,76 millions hl sur un an en juillet 2024. A quoi attribuez-vous cette tendance positive ?
L’une des principales motivations de la création de l’Interprofesional del Vino était de consolider la consommation domestique, et je pense que nous y sommes parvenus. Ces dernières années, la consommation progresse légèrement alors qu’auparavant elle régressait. Nos études consommateurs ont montré notamment que l’image de nos vins est particulièrement bien perçue par les jeunes. Je pense que nous allons dans la bonne direction. Nous nous y sommes peut-être pris un peu tard, mais mieux vaut tard que jamais !
Enfin, vous avez lancé récemment un nouveau plan pour le climat. Quelles en sont les principales mesures ?
Notre objectif est d’identifier les projets stratégiques que nous devons mettre en œuvre, de concert avec les coopératives, les syndicats, les gouvernements autonomes etc. Notre plan porte sur deux axes majeurs : l’adaptation et l’atténuation. A l’intérieur de ces axes figurent deux priorités : l’eau et le matériel variétal. La réduction des émissions de carbone permet d’atténuer les risques. Evidemment, cette stratégie a un impact sur les investissements, les innovations, la formation et au final la réglementation. L’utilisation de certains types de matériel végétal nécessite des aménagements réglementaires car tout n’est pas autorisé. Le financement est le nerf de la guerre et nous continuons de travailler sur l’identification et le chiffrage des financements dont nous avons besoin. Nous devons évaluer, par exemple, les améliorations nécessaires au dispositif d’irrigation, son extension et sa modernisation pour optimiser l’utilisation de l’eau. Nous devons planifier les plantations dans les zones les plus vulnérables et nous avons besoin d’outils pour nous protéger contre les gelées et la grêle par exemple. Nous pensons que cela nécessite un plan sur vingt ans, financé à hauteur de 60% par le secteur et de 40% par des financements publiques, qu’ils soient nationaux ou européens. L’an dernier, nous avons présenté à notre comité exécutif les conclusions d’une étude sur notre capacité à cultiver la vigne dans les différentes régions espagnoles à horizon 2040 puis 2100. C’était un véritable signal d’alarme. Ces informations seront partagées avec l’ensemble de la chaîne de valeur.
* Créée en 1978 pour représenter et défendre les intérêts des bodegas espagnoles, la FEV compte plus de 950 membres sur tout le territoire national. Elle est représentée au niveau européen par le CEEV